critique de "Un printemps 76", dernier livre de Vincent Duluc - onlalu
   
 
 
 
 

Un printemps 76
Vincent Duluc

Stock
janvier 2016
216 p.  18 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Chaudron magique

« Au printemps 76, pendant l’ennui, les exploits des footballeurs de l’AS Saint-Etienne en Coupe d’Europe ont battu les cartes de la région et de nos vies, le séisme qui soulevait la ville noire faisait glisser ses répliques jusqu’en nos jardins (…) ». Faut-il avoir aimé ce sport ces années-là, l’aimer encore, pour s’attacher au texte de Vincent Duluc ? Peut-être pas… même si les nostalgiques du football d’hier trouveront plus facilement matière à sourire dans les clins d’Å“il du narrateur et auteur, journaliste à l’Equipe.

Pour les réfractaires à l’ambiance terrains de foot à papa, ambiance survoltée dans les tribunes (à des années-lumière de la consommation en zapping vidéo) et souvenirs de la Grande Epoque des Verts, il reste une histoire joliment troussée, à l’écriture mélancolique. « Grandir dans ma province avec Saint-Etienne juste à côté, en 1976, c’était habiter Naples au pied du Vésuve, c’était savoir que le cÅ“ur de l’univers s’était soudain déplacé ». Vincent raconte l’ex-gamin sans attrait particulier qu’il était, fils de profs sans goût marqué pour les études mais fin connaisseur de géographie footballistique, capable de placer Mönchengladbach sur une carte d’Europe (bien avant le recours à google map !). Sous sa plume renaît un monde ouvrier disparu, des entreprises qui fleurent bon la France d’autrefois « Manufrance » en tête. Les petites anecdotes sportives s’entremêlent de faits plus sociologiques. Les métamorphoses du monde ouvrier et les valeurs qui soutenaient ses représentants, le gamin Duluc semblait les voir en miroir dans le Chaudron vert, Geoffroy-Guichard, le stade mythique de Saint-Etienne. Ses idoles avaient pour nom Dominique Rocheteau ou Dominique Bathenay dont les posters ornaient les murs de sa chambre. Les exploits européens des Verts en 1976 ont décidé de l’avenir professionnel de l’adolescent qui, avec quarante ans de recul, nous offre un beau souvenir de jeunesse mâtiné d’une belle analyse de ce qu’était la province au mitan des années soixante-dix.

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nuit blanche

Un printemps 76… que reste-t-il de l’épopée des Verts?

Il y a des livres que vous rêvez de lire et que vous appréhendez d’ouvrir le jour où ils paraissent. Pour tous ceux qui, comme l’auteur, on vibré durant leur jeunesse aux exploits de l’équipe de foot de Saint-Etienne, il semblait évident que l’épopée des verts méritait d’être contée. Mais l’entreprise est périlleuse, car chacun des acteurs – et surtout des spectateurs – construit son propre mythe, sa propre histoire et entend ne pas être trahi. Vincent Duluc a su fort adroitement éviter cet écueil en nous offrant le témoignage d’un jeune garçon de Bourg-en-Bresse dont la vie a sans doute basculé un jour à cause ou plutôt grâce à onze garçons à peine plus vieux que lui qui lui ont prouvé que le rêve était à portée de main. « Sans cette grande affaire, sans ce feuilleton haletant aux épisodes espacés qui apprenaient le désir par la rareté et la frustration, la thématique d’une éducation judéo-chrétienne dans les années 70, il ne serait resté que l’envie de passer à la suite le plus vite possible, de tenir dans l’heure les promesses de plus tard, de vérifier chaque matin devant la glace que l’on était en train de grandir er que l’évasion serait pour bientôt.» La première vertu de ce court roman qui se lit très agréablement, est d’avoir fort bien su restituer le football de cette époque. On est alors bien loin de la manière actuelle de pratiquer la discipline, mais aussi bien loin des énormes enjeux qui entourent la discipline sportive la plus populaire du monde. Dans les années 70, un monde sans portable et sans internet, la vie en province se résumait pour beaucoup à quelques sorties, histoire de varier le plaisir qu’on pouvait alors avoir devant Champs Elysées, quand Michel Drucker accueillait Michèle Torr, Julien Clerc ou encore Nicoletta. Pour les Français moyens, « la vie réelle avait besoin d’une allégorie qui donne un sens à leurs douleurs, et c’est ainsi qu’ils scrutaient les Verts, quêtant le labeur, suspectant une indolence. Les joueurs aux pieds carrés et aux maillots trop propres, la foule les envoyait à la mine. » À l’époque, le football était surtout l’affaires des «populaires», comme on appelait alors la grande tribune du stade. Ou encore plus précisément pour les ouvriers Stéphanois qui descendaient à la mine ou travaillaient pour Manufrance, il fallait «passer le dimache après-midi au stade pour oublier que l’on est exploité et que l’on mourra fatigué.» Ceux qui s’attandent à trouver un résumé circonstancié des grandes joutes sportives en seront pour leur frais. Le récit se fait ici à hauteur d’hommes. Plutôt que la grande équipe, ce sont les destins individuels qui se rassemblent ici pour former une aventure humaine hors du commun. Les petits secrets des Janvion , Piazza, Revelli, Santini, Bathenay, Curkovic, Larqué sont révélés, sans oublier ceux du très discret « Cht’i » Christian Synaeghel – que beaucoup ont sans doute oublié – ni du très médiatique ange vert Dominique Rocheteau qui doit sans doute à sa confiance aveugle en son kiné et ami Gérard Florissier d’avoir pu être sur la pelouse de Glasgow le 12 mai 1976. Dans cette galerie de portraits, on n’oubliera ni l’entraineur Robert Herbin, ni le président Roger Rocher qui sont, chacun à leur place, deux autres incarnations de l’ascenseur social. Enfin, et pour boucler la boucle, on retrouve les médias. À une époque où les journalistes sportifs passaient vraiment leur vie «aux côtés de ceux qui vivent leurs plus beaux jours (…) et s’ils ne s’en doutent pas il ne faut rien leur dire, l’ignorance leur est une nécessaire innocence.» Si on peut être un peu nostalgique de cette époque, c’est sans doute d’abord pour cela : la fin de l’innocence. Oui, l’été 76 est bien loin. Trop loin !

Retrouvez Henri Charles Dahlem sur son blog 

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