Une fille dans la jungle
Delphine Coulin

Grasset
aout 2017
240 p.  18 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur nuit blanche

Bouleversant mais lumineux !

L’action se déroule à l’automne 2016 lors du démantèlement de la jungle de Calais. On propose aux plus de six mille occupants de prendre des bus pour être répartis dans différents centres. La jungle est détruite et ressemble à un grand terrain de boue, il fait froid, il n’y a plus rien si ce n’est que six enfants déterminés à regagner l’Angleterre.

Six prénoms, ceux de Hawa, Milad, Ali, Ibrahim, Elira et Sawad. Six ados dont nous allons suivre l’histoire, qui ont traversé le monde dans l’espoir d’une vie meilleure. Ils ont tout connu : la crasse, la violence, le rejet, l’indifférence, ils sont devenus des ombres…. Ils ont appris à voler, à se prostituer, ils vivent dans des conditions insoutenables, inhumaines dans l’espoir d’un monde meilleur.

Le sujet est difficile, la lecture très dure par moment c’est vrai mais ce n’est rien par rapport à ce que des milliers de gens, d’enfants en particulier vivent au quotidien. Alors « Bordel de merde » , les amis, il est temps d’ouvrir les yeux, d’ouvrir nos coeurs et de changer nos comportements car les monstres, c’est nous, c’est l’humain qui refusant de voir et de comprendre devient de plus en plus INHUMAIN.

Ils ont tout perdu au péril de leur vie parce qu’ils ne sont pas nés du bon côté de la planète, et c’est plus dur à lire encore car on parle d’enfants.

Calais, le démantèlement de la jungle, du plus gros bidonville européen, ou ne peuvent que survivre les animaux…. Conditions de vie insupportables, innommables ; crasse, vermine, manque d’hygiène, de nourriture, de sécurité, le manque de tout qui pousse à des comportements illégaux tout simplement parce que nous ne voulons pas voir la réalité en face et voir qu’il ne s’agit pas de chiffres, de statistiques mais d’êtres humains.

Delphine Coulin m’a touchée, émue par le destin de ces enfants. C’est bien documenté, réaliste, emphatique et malgré la dureté de la réalité , le récit est lumineux.

Un récit à lire et à partager dans l’espoir de changer nos mentalités.

Un coup de coeur.

Les jolies phrases

Elle n’avait plus rien, mais elle croyait au groupe.

Hawa était là depuis neuf mois, Elira, depuis presque un an. Les quatre garçons, tous afghans, étaient eux aussi arrivés dans la jungle au début de l’année. Ils vivaient au milieu des six mille hommes et femmes venus d’Albanie, d’Ethiopie, d’Erythrée, d’Afghanistan, d’ Egypte, d’Iran, du Koweït, de Syrie, du Vietnam, dans ce qui était devenu une ville. Aller d’un bout à l’autre du camp revenait à faire le tour du monde.

Un voyage au bout de la crasse, dans le plus grand bidonville d’Europe.

L’enjeu était énorme : elle n’était pas arrivée jusqu’ici en risquant sa vie pour tout perdre du jour au lendemain à cause d’une mauvaise décision.

A force de les considérer comme des bêtes, ceux qui les détestaient les forçaient à devenir des bêtes – pour pouvoir les détester encore plus.

Jawad a insisté, c’était leur jungle. Seuls les animaux vivent dans la jungle, a dit Milad.

Parfois ils avaient encore leurs parents, qui les avaient poussés à partir malgré le danger, parce que le risque à rester leur semblait plus grand et que tout ce qu’ils voulaient, c’était que leur enfant vive, quitte à en être séparés.

Jawad s’est dit que s’il était né de ce côté du monde, il aurait eu droit à cette vie. Les enfants, avant de naître, auraient dû pouvoir choisir l’endroit et la famille où ils souhaitaient vivre.

La poursuite d’une vie meilleur avait un prix, celui de la déception.

Chacun essayait de survivre avec ses propres moyens jusqu’à ce que son cerveau lui-même le protège en le faisant verser dans la folie pour lui éviter trop de douleur.

Tant que la peur irradierait le monde, les hommes ne seraient plus des hommes.

Leur enfance était leur territoire commun, le seul pays qui leur appartenait.

Retrouvee Nathalie sur son blog 

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coup de coeur

Ces enfants rêvaient d’un ailleurs meilleur

« Une jungle du pauvre. Ici, il n’y avait par un arbre, pas une feuille, pas de chaleur. Rien n’avait de couleur. C’était gris. Ça puait la fumée et les ordures. Et aujourd’hui, c’était silencieux. Cette jungle qui avait été un chaos où des milliers de personnes vivaient, mangeaient, parlaient, se battaient, était devenue un désert, où ils étaient seuls, tous les six. »

Ils sont six, si jeunes gens, encore des enfants à assister au démantèlement, à la déforestation de la jungle de Calais, de l’intérieur.
Ils sont six dont deux filles qui ont quitté l’enfer de leurs pays ou pour éviter le pire.
Ils sont six à rêver d’Angleterre.
Ils sont six à se serrer les coudes, à avoir refusé de monter dans un car pour aller… trop loin de l’Angleterre.
Ils étaient six : deux gars, deux petits, deux filles. Une troupe en guenille qui marchait presque en rythme. »
Ce sont encore des enfants, mais ils ont affronté le pire.
Hawa vient d’Ethiopie où elle a connu une enfance heureuse, la préférée de son père « qui était fier d’avoir une fille aussi intelligente et courageuse qu’un garçon ». Une fois le père mort, la mère s’empresse de la marier avec un vieux. Hawa veut être libre, alors, elle part de chez elle.
« Elle avait treize ans et personne n’aurait pu lui reprocher de ne pas imaginer tout ce qui allait suivre ».
A treize ans, elle est vendue plusieurs fois avec tout ce qui va avec.
« C’était juste avant d’arriver en Europe, où tout irait bien ».
Elira vient d’Albanie « Elle avait presque quinze ans, la vie devant elle ». Violée par son père au vu et aux su de tous, elle s’enfuit et se retrouve prisonnière d’une maquerelle, obligée de faire la pute au noir puis dans un bordel.
Hawa, Elira, Milad et son frère Jawad (neuf ans), Ali, Ibrahim ne veulent pas la quitter « leur » jungle, ne veulent pas être séparés. Ils se tiennent chaud ensemble. En attendant, ils survivent dans un trou à rats, ou un autre, mangent à même la boîte de conserves lorsqu’ils en dénichent une en fouillant les reste de la jungle dévastée.
Pourtant, ils ne se savent pas en sécurité, traqués, comme des bêtes, par les policiers, les hommes en noir, les trafiquants en tout genre, surtout genre humain. La nuit, les deux filles se mettent des couches pour ne pas aller aux toilettes.
Ils voudraient tant partir de la jungle pour arriver en Angleterre, leur Eldorado, même s’ils sentent confusément que ce ne sera pas un havre de paix et de prospérité. C’est tout ce qui leur reste, cet espoir si minime soit-il.
Ils vont de désillusions en désillusions, de catastrophes en catastrophes et ils restent debout. Malgré la boue, les immondices où ils doivent se cacher, ces gosses restent humains, terriblement humains malgré tous les pièges et arnaques qui visent à leur ôter leur humanité, à les anéantir. Pourtant, la ville et ses lumières ne sont pas loin d’eux. « Chaque lueur qui vacillait au loin était une fête possible, une maison où d’autres enfants dormaient. »
Bénévole à la CIMADE, Delphine Coulin a écrit ce court roman à charge où la désillusion, la colère, la déception, la peur, la solitude, le froid, la colère habitent ces six jeunes gens qui ont eu la « mauvaise idée » de vouloir fuir la mort dans leurs pays, d’avoir eu l’espoir en un autre lieu meilleur.
Une fille dans la jungle, un livre écrit à hauteur des enfants, les pieds dans la fange avec des mots qui frappent et sonnent juste. Elle rend leur humanité à Ali, Elira, Hawa, Ibrahim, Milad et le petit Jawad.
Une lecture marquante qui ne s’oublie pas.

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