Deux polars d'Amérique

Lawrence Block, 76 ans, né à Buffalo et vivant à New York, 65 romans au compteur, créateur de cinq héros récurrent, lauréat d’un Edgar. Sara Gran, 43 ans, née à New York et vivant à San Francisco, ex-libraire, cinq romans en douze ans. L’un est une légende du polar américain, l’autre une de ses têtes chercheuses. Entre eux, cependant, un point commun : une volonté d’offrir une vision décalée, non-conformiste, du personnage de détective.

 
La musique et la nuit
Lawrence Block

Un enquêteur est un privilégié qui peut s'ouvrir toutes les portes, regarder là où bon lui semble, rencontrer et questionner qui il veut. Dans les onze nouvelles rassemblées sous le titre "La musique et la nuit", Lawrence Block offre donc ce qu'il sait faire de mieux: suivre Matthew Scudder dans ses dérives. L'ex-flic devenu privé pour cause de bavure noyée dans l'alcool – une fillette tuée par une balle perdue – s'y remémore des affaires enterrées, des rencontres qui l'ont marqué. Sans vraiment traquer l'indice ou l'aveu, il sait approcher les bonnes personnes, les observer, les écouter. 

Après les 18 romans où il apparaît, limier tenace mais fragile, ce recueil apporte donc au puzzle de sa personnalité quelques pièces manquantes. Pourtant, plus que son héros, c'est Lawrence Block qui se dévoile. Un éternel curieux qui, plutôt que réciter un bréviaire du roman noir, ose explorer des sujets neufs. L'immigration lorsque Matt traque des Africains vendeurs à la sauvette dans les rues de Manhattan... La fin de vie lorsqu'il démasque cet "Ange miséricordieux de la mort" qui aide les malades du Sida à lâcher prise... Un Block méconnu, hormis pour son sens de la concision et de la répartie. Un peintre attentif du quotidien, doublé d'un humaniste...

 
 
La Ville des morts
Sara Gran
Après deux romans unitaires remarqués ("Viens plus près" et "Dope", chez Sonatine), Sara Gran emprunte, elle, un chemin inverse en inaugurant une série. "La ville des morts" est la première enquête de Claire DeWitt, une drôle d'énigme pour une détective extravagante. Dans le chaos de La Nouvelle Orléans post-ouragan Katrina, cette quadra fêtarde et mal embouchée navigue au hasard des rencontres, des cuites et des joints. Ni méthode rationnelle ni logique apparente... Comme s'il ne pouvait en être autrement dans cette cité sans foi ni loi, fracassée par la tempête. Cette maquisarde urbaine a bien un contrat à remplir – retrouver un notable disparu le soir de l'ouragan - et un traumatisme à surmonter – une amie d'enfance jamais ressortie du métro new yorkais. Mais quand elle joue au flic, rien n'avance. Elle ne progresse que par à coups, en zig-zag, parmi tous ces gens qui ont perdu leurs rêves sous les eaux. Dans cet épais brouillard, l'auteur nous réserve de vrais moment de grâce... La folie de Claire DeWitt fait fondre les méfiances et s'ouvrir les coeurs. Sara Gran sait récompenser le lecteur patient. Elle nous submerge de sensations fortes et de belles rencontres, ados en perdition ou clochards hauts en couleurs. Si son roman était un orchestre, ce serait une fanfare de rue de La Nouvelle Orléans, fantasque et chamarrée.
 
 
 
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