David Grossman
Traduit par Nicolas Weill
Points
cadre vert
août 2015
264 p.  7,30 €
 
 
 

« Je crois à une seconde chance »

 

De passage à Paris, l’écrivain israélien, prix Médicis étranger  et meilleur livre de l’année 2011 du magazine Lire, évoque son nouveau roman « Un cheval entre dans un bar », le pouvoir de la littérature et les difficultés du deuil.

Qui est donc cet homme, Dovalé, comédien dans un club miteux ?
Mon héros, je vous l’accorde, n’est guère sympathique au début du livre. Ses plaisanteries sont grasses, salaces et mettent le public clairsemé mal à l’aise au point que celui-ci, va réagir parfois violemment au cours du spectacle, et même quitter la salle.

Dovalé, ce qui signifie « Petit Ours » en hébreu, est un mélange de grossièreté et de fragilité. Peu à peu, il va déraper et, au lieu de faire rire les gens, il se met à leur raconter l’histoire terrible qui lui est arrivée à l’aube de l’adolescence.

Il a été confronté très jeune à la mort …
Oui, on vient le chercher, alors qu’il se trouve dans une sorte de colonie paramilitaire, pour le ramener à Jérusalem car un de ses parents est mort soudainement. Mais personne ne  prend la peine ou n’ose lui dire de qui il s’agit. Il se trouve donc confronté à un choix terrible, impossible : de qui pourrait il se passer ? De quel parent peut-il « souhaiter » la mort ? Cette histoire réelle que l’on m’a racontée il y a longtemps, j’avais envie de l’explorer, de la mettre en scène en inventant un comédien blessé. La scène devient le théâtre de la vraie vie.

Votre précédent ouvrage, « Une femme fuyant l’annonce », racontait l’histoire d’une femme qui s’en allait pour ne pas avoir à entendre la terrible nouvelle. Est ce que « Un cheval » pourrait en être l’exact contraire ?
La question de la perte, du deuil, est devenue centrale pour moi, comme vous le savez (David Grossman a perdu son fils Uri lors d’une intervention militaire en 2006). On se sent en exil de soi, de son ancienne vie. En commençant ce livre, je ne savais pas que les deux histoires apparaîtraient en miroir l’une de l’autre. C’est le miracle de la littérature : vous croyez écrire un livre et c’est un autre qui s’écrit !

En partageant son histoire, Dovalé semble s’apaiser. Avec cette confession, a–t-il droit à une seconde chance ?
Oui car il arrive enfin à parler de sa mère, une rescapée de la Shoah avec laquelle il vivait une symbiose suffocante, comme d’une personne, d’un être humain qu’il aimait et non pas une victime. Toute sa vie, il s’est senti coupable et cette culpabilité lui a fait refouler tous ses autres sentiments.

Au cours de cette soirée unique, il va enfin trouver la paix. C’est pareil pour Avishaï, le juge qu’il avait connu à la colonie. A l’époque, celui-ci lui avait tourné le dos alors que Dovalé avait besoin de lui. En écoutant l’histoire jusqu’au bout, le juge commence à « réparer » un peu de la trahison qu’il a commise. Je crois qu’on a  tous droit à une seconde chance dans la vie, pas vous ?

Pour un écrivain engagé comme vous, la politique de votre pays semble étrangement absente dans le livre… 
Détrompez vous, le choix de ne pas parler consciemment de politique chez nous est éminemment politique ! Avec Amos Oz, Avraham Yeshoshua, Etgar Keret et quelques autres écrivains, nous continuons à réclamer la paix et la fin du statu quo. Décrire l’occupation des Palestiniens et la vie en Israël est un défi pour les artistes, quels qu’ils soient, mais nous devons continuer à nous exprimer, à dire qu’il existe une alternative. La peur, dans les deux camps ne devrait pas nous paralyser. Je voudrais voir la paix avant de mourir.

 
 
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