Erik Orsenna
Le Livre de Poche
septembre 2015
224 p.  7,10 €
ebook avec DRM 6,49 €
 
 
 

Quel lecteur êtes-vous Erik Orsenna ?

« J’ai le droit de raconter des histoires »

Il court, il court Erik Orsenna. Et il écrit. Ses contes sur la grammaire sont devenus un phénomène d’édition, il n’a plus rien à prouver en tant que romancier (« L’exposition coloniale » fut un des très bons prix Goncourt, en 1988) et le voici aujourd’hui biographe de Pasteur, l’homme des vaccins qu’il a transformé en héros romanesque. Homme pressé, écrivain prolifique, « ignorant qui se soigne », il est aussi un lecteur acharné. A croire que pour lui les journées comptent beaucoup beaucoup plus que 24 heures.

Avez-vous grandi dans un milieu de lecteurs ?
Ma mère était une grande lectrice, mais elle s’est arrêtée à Alexandre Dumas. Mon père, passionné par la mer, dévorait de tout. Ma mère me racontait l’Histoire de France, et mon père des histoires de mer. J’étais donc environné par des «il était une fois ».

Quels sont vos premiers souvenirs de lecture ?
J’ai commencé par la bande dessinée. Tintin. Je trouvais qu’il menait une vie fascinante, même s’il manquait un peu de femmes. Pour combler cette lacune, j’ai demandé à mes parents de m’abonner au magazine ELLE, ce qu’ils ont fait ! Avec la bande dessinée en général et Tintin en particulier, j’ai su que la planète entière deviendrait mon terrain de jeu. J’ai lu tous les grands classiques de la BD, un genre que je continue à adorer.

Et après la bande dessinée, à quoi vous êtes-vous attaqué ?
Je n’ai jamais aimé les livres pour enfants ou pour ados. A dix ans, je me suis lancé dans Alexandre Dumas. Pour faire plaisir à Maman, et pour me faire plaisir à moi. J’en ai conclu qu’il n’y avait rien de mieux que l’amitié. Et que dès qu’il y avait une femme quelque part, les ennuis commençaient ! Ma vie était réglée à dix ans : je savais que j’allais aimer les histoires, les amis, les femmes (en m’en méfiant un peu !), la mer, et le travail en équipe. Que j’irais explorer le monde. J’ai créé un journal, je rackettais la famille dont je racontais l’histoire et je suis devenu patron de presse à huit ans ! J’avais un journal, de la pub, et je commençais à écrire des romans.

Revenons à Alexandre Dumas. Après lui, quels auteurs découvrez-vous ?
Jules Verne, Stendhal, Flaubert, Dickens, Laurence Sterne et son magnifque Tristram Shandy, Cervantès. Je lis tout et je prends conscience qu’il y a davantage de possibles dans l’existence que l’on ne le croit. Je suis convaincu aussi que ma vie ne sera pas celle de mes parents. Que je ne passerai pas tous les dimanches que Dieu fait, avec les mêmes amis qui diront les mêmes choses.

Il semblerait que lorsque vous lisez, l’évasion est plus importante que le plaisir esthétique. 
J’avais des parents qui ne s’entendaient pas, je lisais effectivement pour m’évader. A l’époque du nouveau roman, dans les années 60, il y avait une tendance très formaliste reprenant la grande phrase de Flaubert, « Un jour je ferai un livre sur rien ». Tout le monde s’est engouffré là-dedans, ils ont fait des livres sur rien, même s’il y a, dans ce mouvement, de très grands écrivains comme Claude Simon ou Nathalie Sarraute.  

Enfant, saviez-vous que vous deviendriez écrivain ?
Absolument. J’ai d’abord écrit onze livres que j’ai jetés. Le douzième a été lu par Jean Cayrol, éditeur au Seuil. Il l’a refusé mais m’a encouragé à poursuivre. Le treizième a été publié et le dix-septième a remporté le prix Goncourt. En fait, j’ai commencé à être heureux à trente ans, après la parution de « La vie comme à Lausanne », qui a remporté le prix Roger Nimier. Du jour au lendemain se sont ouverts les bras de Paul Guimard, Jean d’Ormesson, Antoine Blondin, Dominique Rollin, Geneviève Dormann. A partir de cet instant, tout est devenu facile.

Avez-vous subi des influences littéraires ?
J’ai toujours beaucoup aimé la littérature sud-américaine et elle m’a beaucoup influencé. J’ai baigné dans ce monde de la pensée magique. Mais en même temps que « Cent ans de solitude » de Garcia Marquez, je découvrais aussi « Le tambour » de Günter Grass. C’était en plein essor du Nouveau roman, et je me suis dit : « j’ai le droit de raconter des histoires ». Et c’était parti.

Vous qui êtes toujours par monts et par mers, vous êtes-vous intéressé à la littérature de voyage ?
Mon maître est Nicolas Bouvier, que j’ai eu la chance de rencontrer. Autrement, je lis beaucoup de livres qui paraissent, je guette les jeunes auteurs, les nouveaux-venus. J’adore Karine Tuil, Christine Angot, Delphine de Vigan, Maylis de Kerangal…

Vous vivez à 100 à l’heure, est-ce que vous lisez au même rythme ?
Non, j’ai une gestion du temps que j’aime bien. Je suis soit extrêmement rapide, soit très lent. Il y a des tas de demi-journées, où je ne fais rien et je me  transforme en compost. Je passe aussi deux mois l’été en Bretagne, et j’ai un moment calme aux alentours de Noël. Pendant ces périodes, je lis et j’apprends le piano.

Lisez-vous pour votre travail ?
Les livres que j’écris se divisent en quatre catégories: les romans, les reportages, les contes sur la grammaire et la biographie. Pour chacun, je lis deux ou trois livres qui donnent le ton. Pour les contes, je privilégie Andersen, Grimm, pour les reportages London, Albert Londres. Quant aux romans, c’est souvent à Dickens que j’en appelle. Pour son énergie inouïe, son œil incroyable et sa drôlerie. J’ai une passion pour Cervantès et Swift. Mes maîtres à écrire sont des stylistes de la langue française, Buffon, Saint-Simon, Chataubriand.

Comment choisissez-vous vos livres ?
Comme l’amour, ça s’impose. A un moment donné j’ai besoin de ça. Je lis en format numérique et sur papier. L’Ipad est mon meilleur ami, puisqu’il me permet d’écrire et de lire à la fois.

 

COMMENT LISEZ-VOUS ?

Marque-pages ou pages cornées ?
Marque-pages. Impossible de corner des pages, je ne peux pas.

Debout, assis ou couché ?
J’écris et je lis couché, avec une carte du monde sous les yeux. Et je lis toujours un crayon à la main.

Jamais sans mon livre ?
Exactement. Avant je devais choisir, voyager ou lire. Maintenant j’ai les deux grâce à l’Ipad. Cependant, je m’oblige parfois à partir sans livre, pour en ressentir le besoin. Il faut un peu érotiser cette relation, instiller de la frustration. Je ne veux de conjugalité dans aucun domaine, et certainement pas dans celui des livres !

Un ou plusieurs à la fois ?
Plein à la fois. Ils se parlent entre eux, je suis assez zappeur.

Bruit ou silence ?
Silence total, surtout quand je lis de la poésie (chaque jour) et sûrement pas de musique. Je hais la musique d’ambiance.

Combien de pages avant d’abandonner ?
J’ai une technique très au point : première page, sondage au milieu et la fin. Je me fiche du suspense, et du dénouement. C’est le chemin qui m’amuse.

 

L’ORDONNANCE DU DOCTEUR ORSENNA

« Naissance d’un pont » de Maylis de Kerangal

« Les évaporés » de Thomas B. Reverdy

« Pedro Paramo, de Juan Ruflo

« Point de lendemain » de Vivant Denon

N’importe quelle fable de La Fontaine et n’importe quel portrait de Saint-Simon, notamment Madame des Ursins.

Propos recueillis par Pascale Frey
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