Philippe BESSON
Julliard
janvier 2017
198 p.  18 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 

Quel lecteur êtes-vous
Philippe Besson ?

« La littérature contemporaine est vibrante, vivante, et elle mérite d’être défendue. »

 

« Arrête avec tes mensonges », lui enjoignait sa mère. Alors que jusqu’à présent Philippe Besson avait écrit de pures fictions, des « mensonges », il publie pour la première fois un récit complètement autobiographique. Est-ce à cause de cette vérité, de cette sincérité qu’immédiatement libraires, critiques et lecteurs se sont emballés pour ce livre ? Ou est-ce parce que, même s’il ne s’agit pas d’un roman, l’histoire qu’il raconte est incroyablement romanesque ?

Alors qu’il est devenu un écrivain reconnu et qu’il donne une interview dans un hôtel de Bordeaux, il aperçoit une silhouette traverser le hall d’entrée. Le choc. L’espace d’un instant, il est projeté des années en arrière, en 1984: il est un brillant lycéen à Barbezieux, amoureux d’un beau ténébreux, mais qui attire les filles comme un aimant. Et pourtant, ils vont s’aimer passionnément et secrètement avant de se perdre de vue, chacun suivant sa voie. C’est le fils (et le sosie) de cet homme que Philippe Besson croise à Bordeaux. Il l’aborde et en quelques secondes va être à la fois rattrapé par son passé et découvrir ce qu’est devenu Thomas…
Philippe, de son côté, a continué ses études, travaillé comme juriste pendant dix ans, avant de devenir écrivain. Un écrivain qui lit bien sûr…

Quels sont vos premiers souvenirs de lecture ?
Je suis né à Barbezieux, j’ai grandi à Lazérac, un village de 160 habitants, je devais me coucher à 20h30 et je ne regardais pas la télévision ! Donc je lisais. Je me souviens des tranches roses du « Club des cinq » d’Enid Blyton, j’aimais bien le côté aventureux de ces enfants. Je n’étais pas du tout BD en revanche, et je ne le suis toujours pas. J’ai dû lire « Tintin » et « Astérix » comme tout le monde, mais ce n’est pas allé plus loin.   

Y avait-il beaucoup de livres chez vous ?
Ma mère était clerc de notaire, mon père institueur et il lisait beaucoup. Le village comptait une unique classe de 17 élèves. De 9h à 16h 30, je le vouvoyais et lui disais Monsieur, puis ensuite il redevenait Papa… Il y avait beaucoup de livres à la maison, essentiellement des classiques que mon père lisait ou relisait, mais peu de littérature contemporaine, à l’exception des polars. Je me souviens que Stendhal côtoyait Gérard de Villiers ! Il voulait qu’on lise Alexandre Dumas, Flaubert, Maupassant, Zola. Et lorsque j’ai eu 16, 17 ans, et que j’avais terminé mes lectures obligatoires, il nous a offert les livres que nous lui demandions. C’est lui d’ailleurs qui m’a acheté tous mes premiers Hervé Guibert.

Comment l’avez-vous découvert Hervé Guibert ?
Je ne m’en souviens plus, mais je sais que j’ai dû commencer par « Les aventures singulières », qui fut un choc très violent. J’avais l’impression qu’il écrivait mon histoire, que c’était la première fois que je me retrouvais dans un livre. J’ai voulu lire tout ce qu’il avait écrit, même « Les chiens » par exemple, un récit pornographique d’une violence inouïe. C’est à peu près à la même époque que j’ai dévoré « La maison du bout du monde » de Michael Cunningham, mais aussi Edmund White, Michaël Chabon et toute la littérature homosexuelle américaine des années 90…  

Lectures classiques, lectures plaisir : éprouviez-vous les mêmes sentiments ? 
Pas du tout. Toutes mes lectures classiques de l’époque étaient un pensum. Quand je lisais « Le Rouge et le noir », c’était l’angoisse, je ne pensais qu’à ce que je devrais écrire pour le bac français. Et pourtant, des années plus tard, je m’évanouirai de plaisir devant la splendeur de ce roman. Dans les lectures contemporaines, je cherchais implicitement ce qui me ressemblait. Lorsque vous grandissez dans une toute petite ville de province, dans les années 80, sans cinéma ni salle de concert, la seule possibilité de se sentir moins seul, ce sont les livres. Il n’y avait qu’eux qui racontaient ce que j’étais, qui venaient à mon secours. 

A part Hervé Guibert et les Américains, qui lisiez-vous ?
« L’Amant » de Marguerite Duras, que j’ai lu en 1984, lorsqu’elle remporta le prix Goncourt. Quand j’aime un auteur, je lis tout. J’ai donc enchaîné quinze Duras d’un coup. A ce moment-là, je me suis aussi plongé dans Françoise Sagan, « Bonjour Tristesse ». A ma surprise, ce n’était pas un roman léger, mais une tragédie. Il m’a beaucoup plu, car je crois que j’aimais déjà le hiatus qu’il peut se produire entre l’écriture et le contenu d’un livre. Puis je suis entré en prépa à Bordeaux, et j’ai découvert la librairie Mollat. S’est alors ouvert devant moi le monde des écrivains vivants.

Pensiez-vous déjà à écrire à cette époque ?
Absolument pas. Je savais que ma voie était tracée, que j’allais faire HEC, puis une école de commerce. Je n’aimais pourtant ni le marketing ni la finance et j’allais étudier ça pendant trois ans. Le cauchemar. Je continuais à lire. Annie Ernaux, puis Marguerite Yourcenar. Très vite, je suis allé vers les femmes en littérature. Puis j’ai enchaîné avec une dernière année de droit que j’ai achevée en 1989. J’ai relu certains classiques, en ai découvert d’autres et je crois que c’est le moment où j’ai tenté d’entrer dans Proust.

Tenté ?
A la première tentative, à 18 ans, il m’est tombé des mains. J’ai réessayé un peu plus tard, toujours pas possible. A 22 ans, je me suis retrouvé pour quinze jours de vacances dans une maison où je pressentais que j’allais terriblement m’ennuyer. Et il y avait « La Recherche » dans la bibliothèque. Je me suis dit que Proust ne pourrait pas être plus ennuyeux que ce que j’étais en train de vivre. Et là ce fut l’éblouissement. J’étais foudroyé. Et cela sauva mes vacances ! Après, j’éprouverai longtemps le sentiment qu’il n’y a rien d’égalable. Tout me tombera des mains, les autres me sembleront des petits bras à côté de ce génie.  

Quand changez-vous de voie pour devenir écrivain ? 
Le goût d’écrire m’est venu avec celui des lettres. J’avais un ami à qui j’ai envoyé une lettre par jour pendant onze ans, de 1990 à 2001, un peu comme si je tenais un journal intime. J’ai compris alors que cela ne m’était pas difficile d’écrire. Et je me suis mis à inventer. Les hasards de la vie professionnelle m’ont expédié à l’étranger, à Toronto, où je vivais dans une chambre d’hôtel, sans aucune vie sociale. C’est là que naîtra « En l’absence des hommes », mon premier roman.  

Etes-vous infusé de ce que vous avez lu ?
Je ne suis pas influencé par des écrivains qui sont loin de moi, comme Laurent Gaudé par exemple que j’aime beaucoup, mais dont l’écriture luxuriante se situe à rebours de la mienne. Il n’y a pas de porosité. En revanche, il peut m’arriver de lire des auteurs dont je comprends qu’ils vont avoir un impact. Le plus évident est Duras. Je suis tellement imprégné de ses formules, que je vois bien comment elles se traduisent chez moi. Et puis il y a des livres qui me marquent tant qu’ils ont des conséquences sur mon écriture. Pour « Arrête avec tes mensonges »,  je suis presque certain d’avoir été influencé par « Un amour impossible » de Christine Angot ou « Les années » d’Annie Ernaux. Elles ont une façon de raconter leur propre vérité, leur propre histoire tout en faisant de la littérature, qui me trouble en tant que lecteur, et me titille en tant qu’auteur.  

Lisez-vous beaucoup vos contemporains ?
J’ai tendance à lire les livres des gens que j’aime bien, ce qui est idiot, je sais ! Laurent Gaudé, Philippe Claudel, Arnaud Cathrine… J’écoute aussi les conseils que l’on me donne. Je viens d’acheter « L’amie prodigieuse » d’Elena Ferrante. Je continue à aller en librairie, où l’on m’a conseillé « Vie de ma voisine » de Geneviève Brisac.

Lisez-vous encore des classiques ?
Cela fait un bout de temps que je n’en ai pas lu. La littérature contemporaine est vibrante, vivante, elle mérite d’être défendue. Les classiques, on aura tout le temps de les relire.

Quel est votre dernier coup de cœur ?
« Mémoire de fille » d’Annie Ernaux. Son meilleur je crois. Il vous cisaille, vous happe dès la première phrase.

 

COMMENT LISEZ-VOUS

Marque-pages ou pages cornées ?
Je prends un bout de journal et je m’en sers comme marque-pages. Je ne corne jamais, quelle horreur !

Debout, assis ou couché ?
Toujours assis.

Jamais sans mon livre ?
Non, il m’arrive d’être sans livre.

Un ou plusieurs à la fois ?
Je suis incapable d’en lire deux en même temps. Si j’en commence un deuxième, c’est que je laisse tomber le premier.

Combien de pages avant d’abandonner ?
Beaucoup, car je n’aime pas m’être trompé. Parfois je vais loin dans des livres alors que j’aurais dû m’arrêter bien avant. Et j’éprouve toujours le besoin de connaître la fin.

CINQ INCONTOURNABLES

-« Les Heures » de Michael Cunningham

-« Mémoire de fille » d’Annie Ernaux

-« Crimes et châtiments » de Dostoïevski

-« L’Amant » de Marguerite Duras

-« Mes parents » d’Hervé Guibert

Propos recueillis par Pascale Frey
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