Ronan Farrow
traduit de l'anglais par Perrine Chambon et Elsa Maggion
calmann-levy
documents, actu
octobre 2019
441 p.  21,90 €
 
 
 

l a   c  r  i  t  i  q  u  e   i  n  v  i  t  é e

Ilana Moryoussef (France Inter) a choisi «Les Faire taire» de Ronan Farrow, chez Calmann Levy

Dans « Les faire taire », le journaliste Ronan Farrow dévoile les coulisses de l’enquête qui a conduit à la chute du producteur Harvey Weinstein et à la naissance du mouvement #metoo.
Il faut reconnaître à Ronan Farrow un certain talent pour planter le décor de l’enquête hors norme qui lui valut un prix Pulitzer et déboucha sur la chute du magnat américain. Son livre s’ouvre sur une scène digne d’un film de mafia, où l’on fait la connaissance d’un Russe et d’un Ukrainien attablés dans un restaurant ouzbek de Brooklyn. Le lecteur comprend plus tard le rôle déterminant de ces deux hommes.
Le livre de Farrow n’est pas une redite de ses articles publiés dans le New-Yorker. Les coulisses de l’enquête sont au moins aussi ahurissantes que l’enquête elle-même. Pour la petite histoire, Farrow y révèle le rôle de sa soeur Dylan qui accuse depuis 1993 Woody Allen de l’avoir agressée sexuellement alors qu’elle avait 7 ans. Mû par la culpabilité de ne pas l’avoir crue tout de suite, il a à coeur de prendre très au sérieux les témoignages des accusatrices de Weinstein et s’accroche à son enquête.
Très vite, alors qu’il commence à rassembler des preuves, le journaliste reçoit via son compte Instagram de curieux messages : « Je te regarde, je te regarde, je te regarde ». Au téléphone, un de ses interlocuteurs lui conseille, sans rire, de se procurer une arme. Mais le plus stupéfiant est de découvrir l’incroyable réticence de son employeur de l’époque, la chaîne de télévision NBC, à programmer la diffusion de son enquête : malgré les témoignages de cinq femmes, dont l’actrice Rose McGowan, qui accusent Harvey Weinstein de viol ou d’agressions sexuelles, malgré la preuve qu’il y a eu des accords financiers pour éviter les poursuites judiciaires et les révélations publiques.
Au bout de neuf mois, ne sachant plus quel prétexte invoquer, la direction de NBC ordonne à Ronan Farrow non seulement d’interrompre le tournage mais « de cesser tout contact avec ses sources » ! Pour finir, ses supérieurs lui suggèrent de proposer son reportage à un autre media, ce qu’il finit par faire, trouvant finalement refuge au « New Yorker ».
C’est que Harvey Weinstein a le bras long. Il est informé quasiment en temps réel de l’avancée de l’enquête qui le concerne. Il a recours aux services coûteux d’une agence de renseignement privée, Black Cube, fondée par des anciens des services secrets israéliens. Il dispose de  puissants relais tant au bureau du procureur, que chez les politiques, avec qui il sait se montrer généreux. Il sait exactement avec qui Farrow est en contact. Ainsi, le journaliste, ahuri, découvre un jour qu’une de ses « sources » fait en réalité partie de l’équipe de défense de Weinstein!
Le livre montre très bien le mélange d’influence et d’intimidation incarné par Harvey Weinstein. D’où sa longue impunité, alors que beaucoup de gens savaient. Ce que résume, par une boutade, Jonathan, le compagnon de Ronan Farrow: « C’est comme le crime de l’Orient-Express, mais à l’envers. Tout le monde veut que le type meure mais personne ne veut le poignarder. I.M. »

Retrouvez l’avis d’autres critiques invités ici.

 

 
 
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