Jacques Lusseyran
Gallimard
folio
avril 2016
432 p.  8 €
 
 
 

Lire c’est sortir !
le coup de coeur d’un écrivain

Gaëlle Nohant
nous conseille la lecture de 
Et la lumière fut 
de Jacques Lusseyran

Dans cette période particulière, où l’angoisse nous submerge volontiers, j’ai choisi un livre qui pourrait être ma prescription à tous les angoissés.
« Et la lumière fut » commence par une enfance heureuse, à Paris, dans le XVIIIème arrondissement. Jacques Lusseyran la résume ainsi : « Mes parents me portaient. C’est sans doute pourquoi, pendant toute mon enfance, je n’ai pas touché terre. Je pouvais m’éloigner, revenir ; les objets n’avaient pas de poids, rien ne collait à moi. Je passais entre les dangers et les peurs comme la lumière à travers un miroir. Et c’est cela que j’appelle le bonheur de mon enfance. C’est une armure magique qui, une fois posée sur vos épaules, peut être transportée à travers votre existence entière. »

Ce bonheur bascule quand Jacques devient aveugle à 8 ans, suite à un accident dans la cour d’école. Cette tragédie aurait pu jeter une ombre durable sur sa vie, elle sera l’occasion d’une révélation. Lorsqu’il renonce à chercher la lumière à l’extérieur de lui, il découvre qu’elle est là, à l’intérieur. Bien plus vive et totale, car dépourvue d’ombres. Cependant, dès qu’il a peur, dès qu’il perd confiance, la lumière disparaît, les ténèbres triomphent.

Ce livre est l’histoire d’un destin extraordinaire. Lorsque la guerre de 40 éclate, Jacques est un étudiant brillant de Louis Le Grand. Il devient le chef d’un réseau de Résistance. Lorsque le réseau tombe sur dénonciation, il est déporté à Buchenwald. Au camp, il fait l’expérience de l’impuissance la plus totale. On lui vole son pain, il tombe malade. Frôlant la mort, il éprouve la force de la vie, retrouve la lumière au fond de lui, la confiance en l’invisible. Il devient la mascotte du camp, celui qui console. De cette lumière intérieure, il réchauffe les désespérés. Il y a du Desnos dans cet aveugle lucide, qui ne désespère jamais de l’homme. Son récit est un traité de la joie, qui se trouve dans le présent, dans l’acceptation de ce que le destin nous apporte, dans l’exploration de l’inconnu en soi et hors de soi : « Nous sommes tous — aveugles ou non — terriblement avides. Nous n’en voulons que pour nous. Sans même y penser, nous voulons que l’univers nous ressemble et qu’il nous laisse toute la place. Eh bien ! Un petit enfant aveugle apprend très vite que cela ne se peut pas. Il l’apprend de force. Car chaque fois qu’il oublie qu’il n’est pas tout seul au monde, il heurte un objet, il se fait mal, il est rappelé à l’ordre. Et chaque fois, au contraire, qu’il se le rappelle, il est récompensé : tout vient à lui. »

Jean-Louis Barrault cherchait toujours à « transformer les coups du sort des instruments de la Providence. » Dans ce livre essentiel, Jacques Lusseyrand nous démontre que c’est possible. En cette période où nous éprouvons notre impuissance, ça fait un bien fou !
Gaëlle Nohant

 
 
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