Comment tu parles de ton père
Joann Sfar

Albin Michel
littérature generale
août 2016
160 p.  15 €
ebook avec DRM 10,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

« Mon père, c’est pas rien »

Puisque le titre du roman pose la question, autant y répondre demblée : Joann Sfar parle drôlement bien de son père. Il a eu raison de troquer ses pinceaux contre le stylo, car il a du style. Et le sens du rythme. Son phrasé, qui nest dailleurs pas sans rappeler celui de Céline, nous happe dès les premières lignes. 

Sous ses airs pudiques, ce livre prend lallure dune déclaration damour. Cest un kaddish (prière des morts dans le judaïsme), que Sfar écrit pour son père, décédé après quatorze ans passés à se battre, en vain, contre la maladie de Parkinson. Quand souvre le roman, cela fait trois semaines quil a rendu lâme. Joann Sfar le dit tout de suite « pour quil ny ait pas le moindre suspense » : il est mort dans ses bras. 

Le voilà orphelin, lui qui a perdu sa mère alors quil navait que trois ans et demi. Il a appris au bout de deux ans quelle ne reviendrait jamais. Son père na pas eu le courage de le lui dire ; il a préféré mentir en évoquant un voyage. Cest son grand-père, lassé de lentendre demander de ses nouvelles, nuit et jour, qui a osé briser lomerta et lui révéler la vérité.

Evacuer la colère

Lécriture sert à Sfar de catharsis. Il a fait ce livre pour évacuer ses colères. Longtemps, le fils en a voulu à son père de lui avoir menti. Mais il le sait aujourdhui : cest sur ce mensonge quil a construit ses intrigues. Il a pris la plume et les crayons parce quil a constaté quon laimait quand il racontait des histoires. Laveu est touchant : « Il me semble que si chaque jour je nai pas écrit ou dessiné un nombre précis de pages (en écriture dix-sept, en dessin, trois, à cinq), on va me couper la tête ».

Le culte de l’exploit sexuel

Sil lui a menti à propos de sa mère, en revanche, son paternel ne lui a jamais rien caché de sa sexualité. « Jai vu la chatte de toutes les copines de mon père », résume Sfar crûment. Le nombre de ses conquêtes amoureuses impressionne. Son père la élevé dans le culte de lexploit sexuel et se vantait davoir fait pleurer près de trois cents femmes. Aujourdhui, cest son fils quil fait sangloter. Sil manque de larme comme le constate le docteur Gorgounioux, cela sexplique aisément : il en a versé durant un an à la mort de son père. 

Lémotion affleure chaque fois que Sfar égrène ses souvenirs denfance avec cet homme quil admirait tant. Ce juriste, aussi brillant que séduisant, adorait la castagne. Il donnait des coups pour expurger sa colère davoir perdu sa femme. Mais il na pas manqué à ses devoirs de père. Cest lui qui venait chercher son fils à lécole, à 16h30 ; et le petit garçon ne supportait pas dentendre la maîtresse parler de « lheure des mamans ». Joann Sfar signe un texte dune justesse rare. 

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