Dans son ombre
Gérald Seymour

Le Livre de Poche
policier / thri
février 2016
744 p.  8,60 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Séduit par le livre de Gérald Seymour, En marche vers la mort, sorti en octobre 2017 chez Sonatine et sujet d’une précédente chronique, je décidai de me replonger dans l’univers de cet auteur avec cet autre livre, Dans son ombre. Il s’agit cette fois du premier livre de Gérald Seymour traduit en français. Publié en 2001 aux États-Unis sous le titre The Untouchable, et seulement en 2015 en France par les Éditions Sonatine.

Londres, début du 21e siècle. Albert William Packer, dit Mister, a la mainmise sur la capitale, vainqueur d’une guerre des gangs pour leurs territoires. Sous une apparence ordinaire, Packer est un salopard redoutable, le nec plus ultra. Secondé par Henry Arbuthnot, avocat à la cour et brillant dans la manipulation des lois, et Duncan Dubs, expert dans la manipulation de l’argent, il parvient même à sortir libre d’un procès, après défection du témoin clé et malgré tous les efforts entrepris depuis trois ans par la police criminelle, les services de renseignements, et le service des Douanes.
Joey Cann, vingt-sept ans, est le plus jeune membre du groupe SQG, Groupe Sierra Québec Golf, formé spécialement pour traquer et arrêter Albert William Packer. Il ne peut pas croire que trois ans d’efforts sont tout simplement anéantis, aussi décide-t-il de continuer la traque.
Duncan Dubs, homme de confiance et ami de Mister, est retrouvé mort à Sarajevo, alors qu’il y préparait un nouveau trafic dans le but d’accroître la fortune et la puissance de ce dernier.
Hors de son territoire et de ses habitudes, Packer est affaibli. C’est sur ce terrain, dans cette région des Balkans, scène de guerre entre Serbes et Croates de 1991 à 2001, que Joey Cann est envoyé en mission pour espionner Packer et récolter suffisamment de preuves pour l’envoyer définitivement en prison. Joey Cann fait de cette mission un défi personnel. Il a toujours été un looser, alors que Packer est un winner. Pour y arriver il va le traquer, rester dans son ombre jour et nuit.

« Quand on met la pression sur une pourriture, il commet des erreurs. Quand il fait des erreurs, il faut être là… »

J’ai pris autant de plaisir à lire cet autre ouvrage de Gerald Seymour que le précédent qui, lui, vient de sortir chez Sonatine.
Après avoir passé le cap de la présentation des personnages et du décor, qui peut s’avérer complexe par rapport à d’autres thrillers, à cause de la multitude de personnages, des changements de lieux et d’époques, je me suis laissé embarquer dans un voyage captivant au coeur des Balkans, dans un thriller plein de suspense.
Comparé au livre « En marche vers la mort », on retrouve le même schéma : une proie, un chasseur, une toile de fond, et un style narratif particulier. Dans ce livre-ci, la proie est un mafieux barbare qui inflige douleur et malheur, le chasseur un membre du service des Douanes qui n’a rien pour lui hormis des problèmes relationnels mais qui dégage une telle empathie qu’on a envie de le soutenir et l’aider à mener à bien sa mission. La toile de fond est cette guerre de l’ex-Yougoslavie, que l’auteur, ancien reporter ayant sillonné le globe durant des années, décrit très bien dans toute son horreur.

« Les deux camps faisaient pousser des plants de cannabis devant leurs positions avancées. Les seigneurs de guerre encourageaient ces plantations. Ils pensaient que des types défoncés ne réfléchiraient pas trop sur la guerre, et aussi qu’ils combattraient plus vaillamment pour ne pas devoir abandonner leurs cultures. Est-ce que vous vous imaginez comment c’était ici, l’hiver, si vous n’ étiez pas bourré ou complètement défoncé ? Les petits gars combattaient, défoncés, beurrés, et à moitié morts de froid, et les grands hommes s’engraissaient sur leurs dos et sur leurs cadavres. »

Le style narratif particulier de Gerald Seymour est plutôt déstabilisant. Sans aucun interligne l’auteur prend plaisir à nous transporter d’une situation à une autre, d’un personnage à un autre, au risque d’embrouiller le lecteur le temps de s’en apercevoir. La relecture s’avère parfois nécessaire sur quelques lignes, mais on finit vite par s’y habituer et se faire moins surprendre au fil des pages.
Les retours dans le passé, clairement indiqués, nous plongent dans l’horreur de la guerre, dans la vie de deux paysans dont les propriétés voisines vont être séparées par une ligne de front et qui devront en subir les conséquences contre leur volonté. Les scènes décrites, parfois dérangeantes, témoignent une fois de plus de l’absurdité d’une guerre. Quant au présent, il nous laisse imaginer à quel point l’internationale du crime a pu s’implanter dans une région durant une guerre qui a semé le chaos.

La psychologie des personnages, qu’ils soient dans le camp des bons ou celui des mauvais, est recherchée, nous offrant des personnalités complexes, attachantes ou méprisantes.
Albert William Packer, le mafieux anglais, bien que vil et méprisable, semble touchant quand il accompagne la représentante de Haut Commissariat aux Réfugiés pour la distribution des dons de l’opération de soutien « Bosnia with love »,

Le passé va finir par rattraper le présent dans un final mémorable, jubilatoire, tellement joli et tellement cruel, un final où les rôles de dominant et dominé vont s’inverser, et qui peut très bien susciter le débat. Quelle attitude aurions-nous adoptée ? Quelle décision aurions-nous prise ?

La traque d’un mafieux à la fin de la guerre des Balkans. Une épopée excitante et captivante, et un final mémorable !

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