Cet été là
William Trevor

Traduit par Bruno Boudard
Points Seuil
juin 2013
250 p.
 
 
 
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L’été des changements

Voici une histoire de gens ordinaires. Ou qui semblent ordinaires. Car derrière la vie tranquille et presque banale se cachent des blessures, des jalousies et des lâchetés, des secrets jamais avoués. Et aussi des désirs fous, des envies, des folies.

Ainsi, la vie quotidienne des habitants de Rathmoye peut sembler fade et insipide à celui qui débarquerait dans ces contrées. Mais sous le couvert des habitations, dans le fond des cœurs, à l’abri des volets clos et des murs épais des anciennes bâtisses, rien n’est si calme…

Ce roman sobre et épuré décrit plusieurs des habitants de la bourgade, et notamment Ellie Dillahan, la seconde épouse d’un fermier des environs, qui a tué accidentellement sa femme et son bébé quelques années plus tôt. Lors de l’enterrement de la riche Mrs Connulty, la jeune femme croise un homme jeune, inconnu, qui photographie l’enterrement. Elle le rencontrera plusieurs fois jusqu’à nouer connaissance, ne pouvant s’empêcher de chercher à le revoir. Elle en tombe amoureuse, ce dont on se doutait, et se met à rêver d’une autre vie, moins monotone que son quotidien à la ferme, avec un autre que ce mari attentionné mais qu’elle n’aime pas vraiment. Ellie pourtant devrait avoir peur de tout perdre, elle qui, enfant trouvée, a été élevée par des sœurs puis placée chez Dillahan pour aider à la ferme. Elle qui n’avait rien, mais qui a maintenant un mari et un foyer. Mais quand l’amour s’en mêle, la raison a-t-elle encore son mot à dire ?

Quand au jeune Florian, il est sur le départ, ce qu’il n’avoue pas tout de suite à Ellie. Ses parents morts tous les deux, n’ayant plus un sou et pas de profession, il a vendu tout ce qu’il lui restait ainsi que la maison et veut partir loin, quitter l’Irlande pour commencer ailleurs une nouvelle vie, oublier ses souvenirs…

Mais les uns et les autres, dans cette bourgade de province, même s’ils ne se connaissent pas tous, sont comme liés. Les gens se scrutent, observent les faits et gestes de leurs voisins, croient comprendre leurs pensées et sont prêts à cancaner, histoire d’égayer un peu leur vie morne et monotone. Chacun bien sûr à un secret à cacher, un amour éperdu non avoué, une faute passée, et la mémoire pèse sur tous comme un poids écrasant, les fantômes du passé ressurgissent…

Cet été-là est un roman lent, tranquille. Il faut prendre son temps, se laisser imprégner des personnages et de l’ambiance de la campagne alentours, découvrir au fil du texte les uns et les autres. Il faut apprendre à les connaître, mais on ne peut ensuite que les aimer, et aimer aussi l’écriture de William Trévor, toute en pudeur et sobriété, simple, poétique bien que presque épurée mais si habile à dévoiler les sentiments.

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Un été d’amour en terre irlandaise

Ellie est heureuse, parce que son bonheur est sans ambition particulière. Orpheline, elle a été engagée comme gouvernante dans la ferme de Dillahan, veuf après un accident dont il s’est toujours senti responsable. Les deux solitudes se sont rapprochées, le mariage a suivi, malgré la différence d’âge. Dillahan est un homme bon, plein d’attentions pour une jeune épouse qui le seconde parfaitement. Le couple repose sur une complémentarité de bon aloi, tout le contraire d’une passion amoureuse. Dans l’Irlande des années cinquante, où la famille est une structure aussi sociale que religieuse, la situation n’a rien de particulier.
Mais la simplicité avec laquelle Ellie mène une existence peu propice aux contacts extérieurs la rend plus fragile devant l’inattendu. Quand, à l’enterrement de Mrs Connulty, notable de Rathmoye et fidèle aux bonnes œuvres de la paroisse, Ellie voit un jeune homme prendre des photos, elle ignore encore le séisme qui se prépare. Dans un premier temps, d’ailleurs, toute la ville s’interroge sur la raison de ces photos qui semblent incongrues, et au moins inhabituelles. Pourquoi photographier un service funèbre ?
En réalité, Florian, qui s’essaie à la photographie faute d’avoir le talent d’aquarelliste de ses parents, est tombé par hasard sur le cortège. Il était venu à Rathmoye pour prendre des clichés d’un cinéma incendié, cherchant dans un sujet sinistre le déclic qui ferait de lui un artiste, ou au moins lui permettrait de s’en approcher.
Au contraire d’Ellie, Florian est un homme libre, et même un homme indécis sur son avenir. Il s’est retrouvé un peu malgré lui dans la région après le décès de ses parents, il n’a pas l’intention d’y rester et caresse le projet de vendre la maison familiale, ainsi que tout ce qu’elle contient, avant de partir vers Dublin, première étape d’une autre vie.
Ellie et Florian n’ont rien en commun. Sinon que celui-ci trouve celle-là séduisante, et qu’elle n’est pas insensible au charme du jeune homme. Cet été-là ne sera pas comme les autres…
William Trevor, quatre recueils de nouvelles et six romans traduits en français avant celui-ci, compose son récit à la manière d’un aquarelliste – en guise peut-être d’hommage aux parents de Florian. Chaque touche nouvelle interdit le remords dès qu’elle est posée sur la page, et la construction de l’intrigue amoureuse n’autorise aucun retour en arrière. Pour Ellie, en particulier, consciente de trahir son mari, consciente aussi des rumeurs qui courent les rues et qui font d’elle, dans l’esprit du lieu et du temps, une dépravée.
Lumineux et grave à la fois, le roman raconte un émerveillement provisoire, un engagement qui n’est pas vraiment partagé entre les deux protagonistes. Il le fait avec une finesse de sentiments telle que jamais on ne pense à se moquer de la naïveté d’Ellie, emportée malgré elle, et malgré Florian qui n’en demandait pas tant, dans des rêves irréalisables.
Bien des détails mériteraient d’être relevés. Ils servent tous à nous rendre le décor et ses habitants plus proches, jusque dans les gestes accomplis pour la bonne marche de la ferme. N’en citons qu’un, car il survient comme le grain de folie qui apporte des vérités au mauvais moment : Orpen Wren, vieux protestant, n’a plus toute sa tête et croit vivre à une époque antérieure, mais il éveille des échos troublants dans son délire apparent.
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