critique de "Du domaine des Murmures", dernier livre de Carole Martinez - onlalu
   
 
 
 
 

Du domaine des Murmures
Carole Martinez

Folio
poche
février 2013
240 p.  7,50 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Le vÅ“u d’Esclarmonde

Si vous rêvez d’un vrai dépaysement, si vous êtes fatigués de cette époque où le matériel a mis K.O. le spirituel et où Internet a bouleversé la notion de temps, alors plongez-vous dans le merveilleux (au sens propre comme au figuré) roman de Carole Martinez, « Du Domaine des murmures ». Elle situe son histoire en 1187, au bord de la vallée de la Loue. Esclarmonde a décidé qu’elle n’épouserait pas Lothaire et demande à son père de respecter son vœu : être enfermée, jusqu’à sa mort, dans une cellule pourvue d’une minuscule brèche, par laquelle on lui passera ses repas. Mais Esclarmonde est loin d’imaginer ce que sa décision va engendrer de catastrophes et de cataclysmes. Par sa seule volonté, son seul charisme, elle expédie son père en croisade ainsi qu’une bonne partie de la population de son domaine. Et sa prison devient surtout un lieu de recueillement pour les pèlerins qui arrivent des quatre coins de la France lui confesser leurs péchés. Ce roman-là mêle les morts aux vivants, les premiers venant parfois se venger des seconds. Pendant toutes ces années, où Esclarmonde va voir la vie défiler sous ses yeux, elle aura le temps de regretter son choix. Cependant, une fois les vœux prononcés, seul le pape peut les défaire, mais du Doubs au Vatican, la route est très longue et surtout semée d’embûches. Avec ce « Domaine des murmures », Carole Martinez renouvelle le genre historique et impose son rythme à ce roman qui vous surprendra autant qu’il vous charmera. Comme il a séduit les lycéens qui lui ont donné leur prix Goncourt en  2011.

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 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Enfermée pour mieux crier

Laissez-vous enfermer avec Esclarmonde ! Vous subirez non les sévices et souffrances que doit endurer cette recluse volontaire, mais les délices de lire à nouveau la plume, ô combien magnifique ! de Carole Martinez.

Même si l’histoire de ce roman n’a rien à voir avec celle découverte dans « Le coeur cousu », j’ai retrouvé avec un plaisir immense les mots de cette auteure, qui sait à merveille dépeindre les sentiments, la passion qui coule dans les veines de ses héroïnes, un peu folles, un peu illuminées. Des femmes oscillant entre rêves, chimères, magie et envoûtement, et le monde qui les entoure, terre à terre, rude, dangereux, souvent malfaisant, mais des femmes toujours portées par leurs croyances, par ce feu intérieur qui les rend si vivantes – et si différentes aussi.

Dans ce domaine des murmures, château de nos jours en ruine, ne laissant apparaître entre les touffes d’herbes que quelques blocs de pierre attestant du passé, soufflent encore les passions d’autrefois. C’est ici en effet qu’a vécu Esclarmonde, cette jeune fille qui, se refusant au mariage arrangé par son père avec un homme qu’elle n’aimait pas, et même méprisait, décida de se faire recluse, de se laisser enfermer pour le restant de ses jours dans un réduit qui serait construit à coté de la chapelle du château, pour y prier, y faire voeu de fidélité à Dieu et tenter d’apaiser et de réconforter les gens de passage en leur prêtant une oreille attentive et en priant pour eux.

Làs, Esclarmonde, trop jeune, innocente et naïve, est bien loin de se douter de ce qui l’attend dans sa prison ! Certes, elle a anticipé les souffrances physiques et s’y est même préparée, et arrive à plutôt bien les surmonter par ses prières. Il faut dire que le sujet est « Ã  la mode » et qu’elle a entendu parler déjà de plusieurs recluses qui faisaient autour d’elles le bien par leurs prières. Elle désire donc se montrer digne de sa tâche, de cette confiance que les gens mettent en elle. Mais jamais elle n’aurait pu imaginer ce que le sort, et l’avenir lui réserveraient…

A l’époque, le peuple était aussi fervent que crédule. Pour surmonter la vie rude, il avait besoin de se raccrocher à des croyances, à des superstitions. Esclarmonde, du fond de son château, laisse couler sur le pays voisin, et bientôt à des lieux et des lieux à la ronde le souffle de son murmure, de ses prières, de son chant intérieur et on vient la voir de toute part en espérant un mieux-être, une guérison, un miracle peut-être. Et à l’époque (comme maintenant), le peuple était versatile, infidèle, imprévisible, capable de passer de la vénération la plus totale à une violence inimaginable au moment d’avant (relisez Jean Teulé !). Esclarmonde reste, malgré les bruits qui courent, humaine, et qui plus est, toute jeune. Elle se prend un peu au jeu, se veut prophétesse, souffle le bien et aussi le mal, veut faire la pluie et le beau temps… Danger !

Du fond de son réduit-prison, Esclarmonde va pouvoir voyager, voir le monde, s’ouvrir aux autres alors qu’il lui aurait été impossible de le faire si elle avait vécu une vie normale. En fermant les yeux, par la grâce de l’amour, elle peut ainsi suivre l’épopée cruelle des croisés partis battre le fer et tenter d’atteindre Jérusalem. Elle va découvrir l’amour, la passion, la tendresse, la sensualité, mais elle va aussi connaître le manque, les douleurs de la privation, le désespoir. Enfermée dans quelques mètres carrés, vivant de rien ou de si peu, elle va réussir à toucher le cÅ“ur des gens, entrer en eux, y distiller un peu du feu mystique qui la nourrit, la réchauffe, la brûle parfois. Elle va souffler son amour – et sa haine aussi – sur ceux qui l’entourent, sans se douter que son statut de recluse ne pourra pas la protéger de toute la folie des hommes…

Car les hommes sont fous, et vengeurs. Ainsi ce père à qui la jeune fille a désobéi, qui ne peut lui pardonner son outrage et lui tourne le dos. Ainsi ceux qui se sentent abandonnés qui la trahiront. Ainsi ceux qui ne comprennent rien, mais suivent sans réfléchir la majorité…

Je me refuse à vous en dire plus, car ce roman promet de multiples rebondissements qu’il serait vraiment cruel de vous dévoiler. Laissez-vous porter par cette histoire médiévale un peu merveilleuse, par cette écriture si élégante, si belle, si « prenante », laissez les murmures vous envahir et plongez dans la vie d’Esclarmonde, qui vous fera frémir certes, mais vous apportera un immense bonheur de lecture !

Dire que j’ai aimé est une litote, j’ai adoré, j’ai été subjuguée, emportée, j’ai dévoré les pages avec avidité, avec ferveur, avec passion, bref, je vous recommande ce roman, que je relirai un de ces jours pour pouvoir mieux m’en imprégner, m’en délecter… (c’est ça, les vraiment bons livres, il faudrait les lire au moins deux fois, la première, avec une sorte de frénésie tant on est emporté, et ensuite au calme, pour savourer…).

Merci Madame Martinez pour cette magnifique épopée ! Travaillez vite à nous offrir une autre histoire aussi belle !

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coup de coeur

Murmurer un cri …

Du domaine des Murmures, il nous reste ce sentiment qu’Esclarmonde représente la face ambivalente,  » vivante et noire », de chaque femme, mère et épouse.
Cette femme se plaît dans le sublime de son choix, celui d’être « sainte »; mais cette sainteté forcée va lui montrer ses limites et surtout son humanité dans tout ce qu’il y a de charnel et d’aimant. Lothaire, qu’elle a éloigné d’elle, lui dira  » mais je ne suis heureux qu’ici, dans ton souffle » (p.63).Grâce à elle , il se découvrira aussi tel qu’il est vraiment.
Du domaine des Murmures, il nous reste un grand cri : celui de vivre sans regretter ses choix, les assumer et les vivre jusqu’au bout.
Carole Martinez nous surprend une nouvelle fois…

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