Hizya
Maïssa Bey

Nouvelles éditions de l'Aube
regards croisés
septembre 2015
346 p.  13 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Etre une femme en Algérie

Une jeune femme de vingt-trois ans dans Alger aujourd’hui. Hizya a étudié d’arrache-pied et décroché un diplôme universitaire mais, compte tenu de la situation catastrophique de son pays, n’a pu trouver qu’un emploi dans un salon de coiffure. Qu’à cela ne tienne, elle se bat au quotidien et tente de mener, dans la mesure du possible, une vie libre et indépendante. Surtout, elle a décidé de vivre une grande histoire d’amour, depuis qu’elle a découvert que son prénom est celui d’une femme dont la destinée est narrée dans un très beau et long poème du 19ème siècle. Cette belle Hisya avait bravé tous les interdits pour épouser celui qu’elle s’était choisi.

Maïssa Bey a commencé à écrire dans les années 90, durant cette terrible décennie noire où les attentats se succédaient en Algérie. Le premier roman de cette professeure de français de Sidi Bel Abbes, Au commencement était la mer, mettait déjà en scène un destin de femme aux ailes rognées, et il était magnifique. Aujourd’hui, son écriture est plus sûre, moins lyrique et plus précise, et son propos est de plus en plus noir.

Maïssa Bey ne donne pourtant pas dans le pathos, mais décrit avec justesse une réalité sociale et politique implacable, où tout concourt à broyer les femmes. Hisya observe et écoute ses amies, sa mère et sa sœur, ses frères, les clientes du salon de coiffure. Quelle que soit la vie qu’elles désirent mener, elles n’ont que peu de marge de manœuvre, ligotées par les attentes de leurs familles et les pressions de la société. On se souviendra longtemps de Sonia, de Leïla, mais aussi d’Abdelkader, le grand frère, un garçon secret et malheureux. Hisya nous décrit sa famille, sa mère qui veut la marier au fils de la voisine. Ce qui est touchant, c’est qu’elle n’est pas une combattante exceptionnelle, juste une jeune femme qui se demande ce qu’elle va devenir. Elle est même, au début du livre, relativement résignée, habituée qu’elle est à supporter le carcan du quotidien. Mais la lecture du poème la transforme et dès lors une petite voix intérieure l’exhorte à se secouer et à poser un regard lucide sur ce qui l’entoure. On espèrerait une fin heureuse, mais Maïssa Bey dresse un portrait plein d’amertume de ce qu’est devenu son pays, décrivant implacablement l’absurdité d’un système patriarcal cousu d’hypocrisie. Et, comme un souvenir lancinant, reviennent sous sa plume les espoirs qu’avait fait naître la guerre de libération.

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