critique de "Mon combat, II : Un homme amoureux", dernier livre de Karl Ove Knausgaard - onlalu
   
 
 
 
 

Mon combat, II : Un homme amoureux
Karl Ove Knausgaard

Folio
septembre 2014
736 p.  9,70 €
ebook avec DRM 9,49 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Un homme amoureux vous emporte

Karl Ove Knausgaard m’a emportée dans son récit autobiographique « Un homme amoureux » ; je suis rentrée dans ce monument, dans son histoire de vie (je n’ai pas lu le précédent «La mort d’un père ») avec un apriori plutôt négatif tant son quotidien me semblait d’une grande « banalité ». Porté par une écriture à la fois puissante et extrêmement délicate, d’une précision chirurgicale, ou plutôt d’une finesse telle la dentelle ou de l’art gothique flamboyant, son quotidien m’a submergée comme une vague de fond, brassant en moi des émotions d’une force inouïe. Un récit à couper le souffle ! Du grand art …

Son coup de foudre avec Linda (jeune femme d’une très grande fragilité), la description de ses états amoureux, la gestion des tâches quotidiennes lorsque le premier enfant paraît, ses difficultés avec la parentalité, ses étonnements sur les fonctionnements sociétaux différents entre la Norvège, son origine de naissance et la Suède, son nouveau point d’ancrage, son imposante connaissance culturelle, son besoin de nature et d’environnement artistique, son envie viscérale et irrépressible d’écrire, essentielle à sa vie, tout y est dans ce texte dense, fort, énergique, juste.

Il m’a pris dès que je l’ai pris et ne m’a pas lâchée. Tout simplement grandiose !

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coup de coeur

« Je m’ennuie de toi, dit-elle. »

Deuxième partie de la folle entreprise de Karl Ove Knausgaard, et à l’instar de la première, cette brique conséquente se lit à une vitesse foudroyante et embrasse des sujets bien plus vastes que ce que son titre indique : il est ici certes question d’un homme amoureux, dans une chronologie éclatée, mais aussi de la famille au sens plus large et au fond de la place d’un individu dans une société donnée à un moment précis. C’est difficile de rendre compte de ce qui fascine autant dans cette tentative, et par un effet pervers des thématiques fondamentalement intéressantes (comme la comparaison poussée Suède/Norvège ou les considérations purement littéraires ou encore (mais pas seulement !) les rouages de la lecture ou de l’écriture) qui sont longuement exploitées et finement traitées peuvent apparaître comme des excuses, comme si ce qui captivait le lecteur c’était une forme de voyeurisme et qu’il cherchait à s’en défendre.

Par exemple, je ne sais pas ce que je pense de ceci : pages 96 et 97, il explique que la période incroyable du début de son (très grand) amour lui a offert « six mois, six mois pendant lesquels je fus absolument heureux, absolument présent au monde et à moi-même, jusqu’à ce que cet état commence à perdre de son éclat et que le monde m’échappe une fois encore. » La naissance de sa première fille : « Alors que l’état amoureux avait débordé de folie, de spontanéité, de vie et d’ivresse, celui-ci était plein de délicatesse et d’une infinie attention à ce qui se passait. Ca dura quatre semaines, peut-être cinq« . Mais : « (…) car j’écrivais. Ce qui jusque là n’avait été qu’un long essai littéraire commençait lentement mais sûrement à prendre l’étoffe d’un roman pour atteindre bientôt le point où il devint tout pour moi et où je ne pouvais rien faire d’autre qu’écrire. J’emménageai dans mon bureau et y travaillai jour et nuit, ne dormant qu’une heure de temps à autre. Un sentiment absolument fantastique m’habitait, un feu brûlait en moi, ni chaud, ni dévorant, plutôt une sorte de clarté froide et nette. La nuit, j’allais m’asseoir avec une tasse de café sur le banc devant l’hôpital et fumer, les rues étaient désertes et c’est tout juste si je pouvais rester en place tellement ma joie était grande. Tout était possible, tout avait du sens. Par deux fois dans mon roman, j’atteignis des hauteurs insoupçonnées, et ces deux passages, qui sont restés pour moi un mystère de la création et que personne n’a remarqués ni commentés, valaient à eux seuls les cinq années de tâtonnements et d’échecs qui les avaient précédés. Ce sont là deux des meilleurs moments de ma vie. De toute ma vie. » C’est très honnête, ce n’est pas destiné à blesser qui que ce soit, et évidemment ce n’est pas à mettre en comparaison, tout peut très bien s’additionner et former un tout très harmonieux; mais voir ceci écrit sur deux pages, et donc placé en quelque sorte en balance, a quelque chose de profondément dérangeant, a fortiori pour qui est concerné.

Il y a des moments très forts dans ce livre, la lettre qu’il écrit à Linda est bouleversante (géniale !), le récit de l’accouchement (c’est vraiment très différent en Suède), la beauté de son regard sur ses enfants et la mesquinerie du quotidien dans un couple, le tout sans fard, sans effets, son inaptitude au lien social et la façon dont il y réfléchit, l’humour qui surgit ponctuellement et toujours cette fluidité, cette évidence qui nous pousse à tourner les pages sans que jamais on ne soit rassasié.

En fait, c’est un peu comme si il avait atteint la vraie neutralité, en se prenant pour sujet. En dévorant les deux seuls tomes traduits à ce jour (frustration insoutenable que de savoir que quatre autres sont là disponibles – mais en norvégien…) le lecteur n’aime pas Karl Owe Knausgaard. Pas plus qu’il ne l’admire, le plaint ou le déteste, d’ailleurs (pour être honnête, il est quelque peu irritant, tout de même). Non, on est là les yeux écarquillés, on en prend et on en jette, on rapproche, on transpose, on extrapole. On se questionne aussi, beaucoup.

C’est étrange. C’est autre, ailleurs, différent. Et en ce sens, formidable.

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