Prendre les loups pour des chiens
Hervé Le Corre

Rivages
janvier 2017
350 p.  7,90 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Un roman magnétique

Franck, 25 ans, vient de purger six ans ferme pour un braquage. A sa sortie de prison, il pleut, les abords sont déserts. C’est Jessica, la copine de son frère et complice, qui passe le chercher. A sa manière à lui de ne pas trop la regarder, à sa manière à elle de lui parler, on sent vite l’affaire mal engagée.

L’économie de mots, c’est tout l’art d’Hervé Le Corre. Dans « Prendre les loups pour des chiens », son onzième roman et le sixième chez Rivages, l’auteur d’« Après la guerre » installe d’emblée une atmosphère poisseuse, viciée, qui écrase cet ex-taulard dont la lucidité égale son indécision, et la frustration ses espérances.

Enfermé, même dehors

Que faire de sa liberté, que faire de son temps ? Ces questions qu’il a ruminées jour et nuit entre quatre murs sont aussitôt étouffées. Son frère reste invisible, « en Espagne pour affaires » lui dit-on, probablement planqué. Il ne l’a jamais trahi, il va donc l’attendre. La fille et ses parents l’acceptent chez eux, à peine plus hospitaliers que ça. A nouveau, son horizon se bouche entre elle, toxico capricieuse, et ses vieux, frustes et grossiers. Le voilà enfermé dans un bout de campagne sans gaîté, dans une caravane sans air, à côté d’une maison sans confort. Mais a-t-il jamais connu autre chose que l’inconfort et l’absence de futur?

Droit à l’essentiel

Hervé Le Corre tamise les sentiments, les gestes, les descriptions. Ne garde que l’essentiel, y compris de ce coin de Gironde qu’il connaît si bien. Antithèse du polar régionaliste égaré dans la carte postale, son roman puise juste dans ses terres bordelaises ce qui le sert. Une chaleur oppressante, un ciel embrumé, des banlieues anonymes où vivotent des copains pas tout-à-fait rangés, encore un peu en marge.

C’est dans ce décor désincarné que le personnage de Franck, éjecté de sa cellule comme une boule de flipper, rebondit d’une rencontre à l’autre, entre vexations et coups de pression, avant de songer à maîtriser sa trajectoire. La lumière va lui venir de plus victime que lui, de plus innocent que lui, d’une gamine, fille de la vénéneuse Jessica. En se souciant d’elle, il se met à y voir clair. Jusqu’au point, enfin, de faire les bons choix ? C’est tout le suspense que fait planer ce roman noir aux ressorts universels, aussi magnétique qu’un orage d’été sur la Garonne.

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 Les internautes l'ont lu
on n'aurait pas dû

pas mon dada

je n’ai pas pu rentrer dans le livre, impossible de savoir ou il voulait en venir.

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Pas facile d’avoir du flair…

J’avais lu ici et là de très bonnes critiques sur ce livre et j’avoue que les trois T Télérama ont fini par me convaincre.
Je viens d’achever ce roman noir et si je me sens peut-être un peu moins enthousiaste que certains, je reconnais que ce livre a des qualités littéraires évidentes.
Le sujet : un jeune homme, Franck, sort de prison où il vient de purger une peine de cinq ans pour un braquage qu’il a commis avec son frère, Fabien. C’est la compagne de ce dernier qui vient le chercher à sa sortie de prison : son frère est « pour affaires » en Espagne. Cette femme très séduisante s’appelle Jessica et elle attire irrésistiblement Franck.
Elle l’emmène dans une maison entourée de pneus crevés et de carcasses de voitures, vers Langon, dans le sud de la Gironde, où elle vivote avec ses parents « Les Vieux » et sa fille Rachel qui ne dit rien et observe, mutique, le monde qui l’entoure. Un chien noir rôde sans cesse, menaçant. « Franck se demandait comment on pouvait habiter ici, loin de tout, et il eut peur de ce désert hérissé de troncs noirs d’où surgissait parfois un bosquet rond et touffu de chênes tassés les uns contre les autres, survivants sur un pré funèbre planté de hallebardes après une bataille. »
C’est l’été et l’auteur réussit parfaitement à nous faire vivre cette impression d’étouffement que ressent Franck chez ces gens qui lui ont laissé une caravane – autre espace clos – où loger en attendant le retour du frère.
Les journées passent, l’air est de plus en plus irrespirable, la chaleur accablante et chacun s’observe, s’épie, dans le silence… Franck sent « quelque chose dans l’air, comme un relent, la trace d’une ancienne puanteur qui empêchait parfois de respirer à fond. Rien à voir avec la prison. Il n’aurait pas su dire vraiment ce qu’il ressentait. »
Quelques bribes de conversations viennent réveiller des après-midi qui n’en finissent pas : les « Vieux » boivent bière sur bière, fument cigarette sur cigarette, Jessica pique des crises de colère contre sa fille muette puis disparaît soudain et Franck assiste en spectateur passif à des scènes qu’il ne comprend pas, jouées par des acteurs qui ne lui inspirent aucune confiance.
Et l’attente est longue, très longue, menaçante, sous tension. Peu de gestes, de mouvements. Difficile de respirer dans ce huis clos tragique et étouffant. Le temps semble suspendu, pas un souffle d’air.
L’auteur est absolument génial dans sa capacité à décrire cette attente qui n’en finit pas et ce silence pesant. Et c’est précisément cette habileté extraordinaire d’Hervé Le Corre à créer une atmosphère lourde comme du plomb chauffé à blanc qui m’a plu, bien davantage finalement que l’intrigue elle-même.
L’écrivain parle de la misère dans ce roman et de tout ce qu’elle charrie avec elle : drogues, trafics, violence et crimes, de la difficulté aussi de s’en extraire et de passer à autre chose, malgré toute la bonne volonté que l’on y met, comme un fleuve aux eaux nauséabondes qui entraînerait irrémédiablement vers la mort tous ceux qui tenteraient d’échapper à ses flots bouillonnants.
Pour être noir, c’est noir, bien glauque et ce noir a le visage d’un soleil implacable qui vous projette au sol et vous empêche de vous relever : impossible de respirer, d’avancer à découvert sous peine d’être cuit sur place. Chaque pas coûte. La description que fait Le Corre de ce monde est minutieuse, précise et juste. Il a du flair et voit clair. Aucun détail ne lui échappe. La violence est brute, entière et prête à tout.
C’est sordide, malsain au possible, écoeurant et diabolique. Pas d’éclaircie en vue, pas une once d’espoir ou alors, faut y croire fort…
Et l’on se sent cerné, sans échappatoire possible : pris au piège… comme un chien.
Limite si les hommes ont encore quelque chose d’humain en eux.
La misère, la vraie, matérielle et morale.
Seule l’orée de la forêt qui borde la maison apporte un peu de fraîcheur, encore faut-il oser s’y aventurer…

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