Le prodige
Roy Jacobsen

Gallimard
Monde entier
février 2014
304 p.  22 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

L’enfance dérobée

Ils sont décidément très forts ces Scandinaves. Et le goût des lecteurs français pour leur littérature nous offre la possibilité de faire de bien belles découvertes. « Le prodige » en est une. C’est le 21ème  ouvrage de l’écrivain norvégien Roy Jacobsen, né en 1954, mais c’est seulement son deuxième roman traduit en français après « Les bûcherons » en 2011.

L’auteur prête sa voix à un très jeune garçon qui vit dans la banlieue ouvrière d’Oslo dans les années 60 avec sa mère Gerd, vendeuse de chaussures tout aussi solitaire que démunie. Finn a perdu son père grutier dans un accident de travail à peine un an après le divorce de ses parents. Ce gamin « qui en a dans le crâne » fait preuve d’une telle maturité qu’il se demande lui-même « s’il n’a jamais été un enfant ». Dépassée par ce fils pas tout à fait comme les autres et par les difficultés financières qu’elle traverse, Gerd impose chez elle la loi du silence, mais qui n’est pas sans amour. Loi qu’elle va devoir briser quand Linda, une fillette de 6 ans, surgit dans leur foyer pour s’y installer, à la grande surprise de Finn. C’est très brutalement que ce dernier apprend que l’intruse est la fille de son père disparu. Très vite il saisit qu’il y a quelque chose qui cloche chez cette petite sœur qui ne parle presque pas. « Linda était une feuille blanche, un nouveau-né, un innocent ». Il va s’attacher à elle et lutter avec acharnement, parfois même avec violence, contre les préjugés des adultes qui catalogue Linda comme une arriérée mentale. Plus la résignation des adultes est forte face au handicap de sa sœur, plus sa détermination est totale pour tenter de la sortir de son état et la porter le plus haut possible «  À quoi ça sert d’être une grande personne si c’est pour ne pas se battre ?»

Ce roman d’initiation sur une enfance perdue est particulièrement émouvant. On entend la voix plus que vive de Finn et l’on ressent la souffrance de son combat intime pour passer sur les rives de l’âge adulte. Les lettres norvégiennes sont riches d’immenses talents entre autres Hamsun, Ibsen pour les classiques et Per Petterson, Kjartan Fløgstad, Herbjørg Wassmo pour les contemporains. Avec ce texte puissant et sensible Jacobsen confirme cette réputation d’un pays fécond en prodigieux écrivains.

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coup de coeur

coup de coeur

Mon résumé : Finn vit tranquillement avec sa mère dans une cité de la banlieue d’Oslo. Son père est décédé après avoir divorcé de sa mère. Il ne l’a pas connu. En cette année 1961, son univers est bouleversé. Pour gagner un peu d’argent, sa mère décide de louer une pièce de leur modeste appartement. Simultanément à Kristian, c’est sa demi-sœur Linda, âgée de 6 ans et dont il ignorait jusque là l’existence, qui vient s’installer avec eux. Deux arrivées qui vont bouleversés l’équilibre familiale et faire grandir Finn. Mon avis : Voila un livre que je pourrais qualifier d’OVNI et un coup de cœur. Preuve, s’il en est besoin, qu’il est bon de se laisser conseiller par un libraire, de lui demander quels sont ses titres coups de cœur. J’ai ce livre sur ma PAL depuis presque un an et je regrette un peu de ne pas l’avoir ouvert plus tôt. Finn est le narrateur de l’histoire, est un enfant que j’ai aimé voir grandir. Je ne sais pas si c’est moi, mais j’ai trouvé qu’au fil des pages, on le sent grandir. On peut voir à travers ses mots, ses phrases, son regard sur le monde et les autres évoluer. On le voit prendre plus de recul, analyser plus le monde qui l’entoure. Il analyse de plus en plus sa façon à lui de réagir. Il exprime de plus en plus ses émotions, et ses émotions sont de plus en plus « réfléchies » Même la langue évolue tout au long du livre, au fur et à mesure que Finn grandit. Mais, et c’est sans doute ce qui m’a fait m’attacher de plus en plus à ce personnage, à sa famille, j’ai aimé qu’il garde sa faculté (d’enfant ?) d’accepter sa sœur comme elle est. Là où les adultes de son entourage affirme que la petite fille est folle, étrange, anormale (elle ne parle pas, dort beaucoup…), Finn voit juste une différence dont il faut tenir compte. Pour lui, Linda est Linda. C’est tout. Elle ne se comporte pas comme les autres enfants, ne parle pas, mais peu importe. Il l’accepte comme elle est. L’écriture est vraiment fluide, agréable à lire. Certains passages m’ont un peu fait penser à Olivier de « Olivier et ses amis » (Robert Sabatier), le premier livre hors littérature de jeunesse que j’ai ouvert, enfant ! Un livre qui donne pleinement son sens à l’expression  » roman d’apprentissage ». C’est véritablement un beau livre à découvrir et à déguster ! Citations : « C’était un de ces trucs qui vous serrent le cœur comme dans un étau, jusqu’à votre mort » « A vrai dire, on ne comprend pas grand-chose de ce qui nous tombe dessus, et, comme Maman aime à le répéter, la grâce de Dieu a tendance à être donnée en petites tranches. » « Tout ça était tellement nouveau, c’était venu par étapes ou par petites avalanches au cours des six derniers mois, pour s’enfoncer en moi, et la distance entre moi et Maman n’avait fait que croître, comme si une main invisible et dure œuvrait afin d’obtenir un adieu pour de bon. » « Car je n’étais plus un enfant, et j’en étais un quand même, et je ne voulais aucun des deux mais quelqu’un d’autre, encore une fois. » « Les vacances c’est ça : ça te fait comprendre que tu aurais pu être quelqu’un d’autre si tu avais habité ailleurs, si tu avais été entouré de personnes et d’immeubles différents de ceux qui bordent les deux cotés de Traverveien, semblables ç deux chaînes de montagnes intrépides débordantes de mères, de fils, de trahisons et d’amitiés. » « Et j’en suis venu à comprendre que si tu ne sais pas ce que tu vaux, tu n’as qu’à te demander si tu es capable de garder un secret qui est en train d’exploser au fond de toi, le secret de quelqu’un d’autre. » « C’est toujours le silence qui met le monde sous un autre jour. Le silence de la neige en hiver. Le silence des jours fériés. Et puis là, un silence qui n’est pas le nôtre car nous n’en faisons pas partie. […]Nous pénétrons dans notre propre ville et nous ne la reconnaissons pas, car il est manifeste qu’elle a été la nôtre même sans nous. » « C’est incroyable de voir à quel point les adultes sont capables de nous servir les mensonges les plus éhontés et d’être offensés quand on les perce à jour. » « J’étais déjà venu en vélo avec des copains, mais à vélo, c’est une chose, à pied, on est plus petit et infiniment plus stationnaire à la fois dans le temps et dans l’espace, on est plus présent dans le monde étranger, pour ainsi dire. »

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coup de coeur

Un monde qui passe

Oslo, Norvège, 1961. Un monde semble être en train de basculer, que ce soit du côté des nouveaux moyens et exploits scientifico-technologiques ou de l’évolution des mœurs. Pour autant, la vie n’est pas simple lorsque l’on est une mère isolée dans la cité, avec un jeune garçon d’une dizaine d’années.

Tout a commencé quand maman et moi on s’est mis à rafraîchir l’appartement annonce le jeune Finn dès la première page. Le projet d’avoir un appartement joli, normal surtout, amènera en effet vite l’accueil d’un locataire pour pouvoir s’en sortir. Ce sera Christian, qui dit avoir été marin, mais dont les mains ne sont pas celles d’un travailleur manuel. Finn a du lui céder sa chambre, mais d’autre transformation vont arriver, ne serait-ce qu’avec cette télévision que Christian a apporté avec lui.

Puis bientôt voilà que la venue d’une demie-sœur s’annonce. Le père, un grutier qui a complètement disparu de la circulation, a en effet eu une fille, Linda, que sa mère ne peut garder. Il y a comme un air de normalité dans cette « famille » improbable où deux adultes et deux enfants vont tenter de construire un morceau de vie dont on ose pas dire qu’elle est commune. Linda ne semble pas une enfant ordinaire, et dérange un peu la mère de Finn. Pas encore en âge scolaire, elle donne l’impression d’être… en difficulté, de ne pas être comme les autres enfants. Mais nous sommes en un temps et dans une famille où de telles choses sont bien difficile à parler.

Heureusement qu’il y a aussi Marlene, la jeune femme qui garde les enfants de temps à autre, qui est aussi devenue une confidente, voire une complice de la mère. Marlene qui sait trouver les mots justes, qui calment et rassurent, qui permettent de continuer, qui ne ment pas.

La vie est chamboulée et des choses nouvelles arrivent, qui n’était jamais arrivé. Les chose plus anciennes se dévoilent petit à petit sous un jour nouveau, les silences et les rituels se fissurent. Les non-dits restent des non-dits, mais ils ne sont peut-être plus des secrets. C’est tout cela que Finn va apprendre à entendre, à sentir, tout en menant ailleurs une autre vie, avec Freddy 1, avec l’école, avec Linda qui grandit, avec Christian qui disparaît et ré-apparaît, jusqu’à ce qu’à nouveau tout bascule au fur et à mesure que se tournent les pages.

Un roman d’apprentissage où les choses sont suggérées, dites et tues à la fois, où les secrets se savent mais ne se disent jamais entièrement. Roy Jacobsen nous livre avec une grande pudeur un récit qui aurait pu être mélodramatique mais qui touche d’autant plus qu’il reste retenu, comme à mi-voix. Un roman dont on se retire sur la pointe des pieds avec le sentiment d’avoir partagé l’intimité de ce qui ne se dit pas d’ordinaire, qui suppose une grande confiance et qui nous fait refermer le livre avec la précaution de qui ne veut pas réveiller ceux qui ont trouvé un peu de paix après les épreuves.

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