Ecoutez nos défaites
Laurent Gaudé

Actes Sud Editions
romans, nouvelles
août 2016
256 p.  20 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
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coup de coeur

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Un très beau roman de Gaudé avec un sujet difficile. La construction est particulière car des personnages qui à priori n’ont rien en commun car ils ont vécu à des périodes différentes nous livrent pourtant le même message provoquant en nous réflexion et questionnement.

Pourquoi encore et toujours entreprendre des guerres, pour gagner quoi au final ? La victoire n’a-t-elle pas toujours un goût amer de défaite ? Pourquoi tant de sacrifices pour gagner un combat ? Quand s’arrêtera la folie meurtrière des hommes ? Pour quelle victoire en somme ? Pourquoi commettre à chaque fois les mêmes erreurs, reproduire les mêmes schémas ?

Ce sont toutes ces questions que trois héros glorieux : Hannibal, le général Grant, Hailé Sélassié se sont posées, tout comme Assam et Mariam.

Le constat est le même à chaque période de l’Histoire : chaque victoire a sa défaite.

Assem Graïeb est fatigué, il a fait des tas de missions pour les services généraux français. Sa dernière mission est de retrouver un homologue américain ayant tué Ben Laden. Cet homme est-il fiable ou faut-il le neutraliser ? Assem a toujours agi pour servir sa nation. Il n’a gagné aucune victoire même lorsqu’il a supprimé Kadhafi . Sa défaite : perdre foi dans l’humanité.

Il rencontrera Mariam, une archéologue irakienne qui célèbre ses victoires lorsqu’elle retrouve des objets volés, perdus suite aux pillages et dynamitage des sites du Moyen-Orient. L’arrivée de la maladie sera sa défaite.

En parallèle on mélange le destin d’Hannibal combattant depuis plus de vingt ans contre Rome. Il y aura des victoires mais aussi des défaites. Il s’est fait un nom mais il est diminué physiquement et toutes ses années perdues loin de sa famille.

Ulysse Grant gagnera contre les confédérés, il sera élu président mais que de morts, que de sacrifices en vies humaines. Son surnom « le boucher » lui survivra, la corruption aussi sera sa défaite.

Enfin Hailé Sélassié sait que son armée est en mauvaise posture contre Mussolini , sa défaite sera l’exil et la lâcheté de la SDN.

L’écriture passionne, mêlant ces parcours de vie, dans un même combat, une même histoire en fait. Il y a toujours une faille et aucune victoire n’est pleine et réelle, c’est toujours au détriment de quelque chose.

Comme à chaque fois Laurent Gaudé nous tient en haleine. Un très bon moment de lecture, un joli texte.

Ma note : 9/10

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coup de coeur

Superbe

Que de choses en dans un livre pas si épais que cela !! L’absurdité de la guerre dans toute sa splendeur. Oui, la victoire se construit de défaites. Cette affirmation tourne en boucle dans le livre de Laurent Gaudé à travers Assem Graïeb, agent des services secrets français, Mariam, archéologue irakienne, spécialisée dans les œuvres archéologiques volées et revendues, Sullivan Sicoh, militaire américain. Assem Graïeb part pour une nouvelle mission « A chaque mission il a laissé un peu de lui-même. Alors il se demande, là, à l’arrière de son taxi, quelle sera cette fois la part qu’il devra donner au vent ». Il doit approcher Sullivan Sicoh, parti en vrille-il a fait partie des soldats qui ont neutralisé puis tué Ben Laden à Abbottābād- et décider sa « neutralisation » ou son retour aux Etats-Unis. Pour étayer ce roman, l’auteur nous emmène sous les pas d’Hannibal marchant vers Rome, le capitaine Grant, « héros » de la guerre de sécession américaine et le roi des rois, Hailé Sélassié essayant de résister à l’invasion mussolinienne. Le livre est un puzzle de toutes ces histoires. Je passe de l’une à l’autre, selon le rythme de l’action, sans césure. Je reconnais que cela est un peu perturbant dans les débuts, mais, je m’y suis fait très vite. C’est, peut-être, la force de ce livre tout comme les descriptions ne cachent rien de la cruauté des scènes de carnage. Il joue sur ces différences, beauté-cruauté, victoire-défaite, histoire-actualité Laurent Gaudé offre un roman sombre où la seule éclaircie est la nuit d’amour, surtout son souvenir lumineux, entre Assem et Mariam. Les victoires ont le goût amer des défaites pour ces guerriers. Les dialogues que leur prête l’auteur montrent leurs sentiments de honte, fatigue, voire dégoût face à tous ces morts. Les guerres sont toujours sales pour Hannibal« Qu’est-ce qu’ils croyaient tous ? Qu’on obtient des victoires en restant immaculé ? Que l’on peut sortir de tant de mêlées indemne et frais comme au premier jour ? » « Car les hommes sont des pions » dit Grant une vérité digne de Lapalisse. J’ajoute : Tout ça pour ça. Oui, c’est le sentiment qui m’anime en écrivant cette chronique. L’écho des batailles gagnées ou perdues par Grant, Hailé Sélassié, Hannibal s’est assourdi pour laisser place à un mythe peut-être, à des personnages historiques sûrement, à des hommes qui ne sont pas morts au combat mais dont on a oublié les morts sur les champs de bataille « Les corps se mêlent les uns aux autres, s’enlaçant dans la mort » qui sont en eux et ne les laissent pas tranquille. Il ne faut pas résister mais se laisser emporter par les mots de Jean Gaudé, par la puissance évocatrice de son écriture lucide et cruelle qui ont un en ses temps de terrorisme Un livre d’une densité extrême et d’une cruelle lucidité où l’histoire a rendez-vous avec le roman pour une réflexion sur l’absurdité de la guerre, la laideur et l’ambivalence des victoires. Un superbe Gaudé

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Assem Graïeb fait partie des services de renseignements français. Il a participé a de très nombreuses opérations dont la capture de Khadafi. Alors qu’il est de passage à Zurich, il rencontre Mariam, une archéologue irakienne qui tente de sauver des oeuvres d’art dans la zone dévastée du Moyen-Orient. En une seule nuit, chacun va marquer profondément le coeur de l’autre, même s’ils sont certains de ne jamais se recroiser. Assem, mais ce n’est qu’une de ses nombreuses identités, est un homme désabusé, qui a vu trop d’atrocités ou tué trop d’hommes au nom de la raison d’état. Il est fatigué de toutes ces « cuisines derrière le rideau » et dont les braves citoyens n’ont pas conscience. Dans le même temps, on suit les réflexions de trois héros glorieux : le général Grant, Hannibal et Hailé Sélassié. Mais comment se sent-on quand un ordre donné conduit à la mort des milliers d’hommes ? Peut-on dormir tranquille ? Se sent-on vraiment un héros ? Il est clair que ce roman trouve une résonnance très forte dans notre monde actuel. Il y a un passage qui m’a fortement interpellée : » Juste au moment de se quitter, lorsqu’ils se serraient la main, cette phrase que le poète palestinien lui avait dite, les yeux plantés dans les siens : « Ne laissez pas le monde vous voler les mots ». Il le revoit là, avec ce visage de pierre, et c’est la première fois qu’il y repense. C’était des années plus tôt. Et il doit bien avouer qu’il a laissé le monde lui voler les mots. Il n’a été question que de gestes. L’action, qui s’empare de tout, ne laisse plus de place à rien. L’action avec son ivresse et son intensité qui rend tout si fade en comparaison. A quoi avaient-ils servi, les mots, dans cette foule sur la route entre Syrte et Misrata, tandis qu’il serrait son 9 mm, prêt à tirer si la situation devenait incontrôlable, et le visage de Kadhafi, là, à quelques mètres de lui, apparaissant et disparaissant au gré des mouvements de la foule ? A quoi avaient-ils servi, alors que personne n’entendait plus que les cris, les tirs, la joie sauvage de la foule ? Plus personne n’était en état ni de les prononcer ni de les écouter, et Kadhafi ressemblait à un boxeur au sol ou à une femme battue. Seuls s’entendaient les cris de la foule qui se bousculait et les tirs de kalashnikov en l’air pour fêter la prise du dictateur. Il sent qu’il va les perdre à nouveau, les mots. » J’ai bien peur que notre monde, rempli de bruit, de fureur, de blablas ait lui aussi perdu les mots. Les mots pour dire l’accueil, la bienveillance, la tolérance et l’amour.

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coup de coeur

Un plaidoyer à l’humanisme.

Laurent GAUDE dans ce nouveau roman aborde un sujet périlleux : celui de la GUERRE. Peu importe l’époque, peu importe les conquêtes, peu importe l’usage des armes, il décrit sans aucune concession l’horreur car : «  On ne peut partir au combat avec l’espoir de revenir intact. » L’Histoire Mondiale repose sur des atrocités : De Hannibal contre les Romains, des batailles de Grant pour l’Union, à la confrontation entre Mussolini et Haile Sélassie l’Ethiopien. Pour la guerre, sommes-nous vraiment prêts à tout sacrifier ? A sacrifier la vie, à sacrifier l’Homme dans l’odeur du sang, dans la peur et l’effroi. De la guerre à la politique, Grant deviendra président des Etats Unis, mais il sera toujours le « boucher » et Sélassié restera l’empereur déchu, condamné à l’exil, devant une Société des Nations impuissante, indifférente. Toute cause est noble : la défense de l’intégrité territoriale, la liberté de l’homme mais le prix à payer est considérable. « Ecoutez nos défaites » est un cri, une supplique à la paix. Les références historiques permettent de mieux évoquer le temps présent . L’actualité est faite de terrorisme, de destruction de patrimoine car nous sommes encore en période de turbulences. Laurent GAUDE signe ici son meilleur roman, mon coup de coeur de cette rentrée littéraire. La plume de l’auteur est juste, puissante, poétique, mélancolique même. Car plus la fureur fait rage, plus les phrases sont saisissantes. On s’interroge sur le sens de l’histoire.

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