Fils du feu
Guy Boley

Grasset
Août 2016
160 p.  16,50 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La lumière des humbles

« Fils du feu » est le premier roman d’un auteur né en 1952 qui a été tour à tour maçon, ouvrier d’usine, chanteur de rue, cracheur de feu, acrobate, chauffeur de bus, dramaturge… Anecdote mise à part, lorsqu’on commence la lecture de ce livre, on est littéralement happé par son style puissant, travaillé mais non décoratif, au service du récit de vies minuscules issues d’une famille modeste de Besançon. Sans nostalgie aucune, le narrateur parle d’un temps qui n’est plus, de ses parents morts et oubliés auxquels il redonne vie le temps du souvenir. Le début est raconté à hauteur d’enfant, petit garçon des années 1950 émerveillé par son ferronnier de père, maître du feu et du fer tel un nouveau Vulcain. Il y a aussi la mère au foyer, un petit frère, une sœur aînée trop vite éclipsée et une grand-mère dépeceuse de grenouilles. Les jeunes années sont circonscrites à la maison, dans une routine et des traditions que vient détruire à jamais la mort du cadet. C’est alors le début de la déchéance : la violence du père, la folie de la mère orpheline de son fils ; et par-dessus cette tragédie intime s’arriment les changements des Trente Glorieuses qui les laissent sur le carreau : à l’heure où l’on peut « acheter sa vie en kit », il n’y a plus de place pour les artisans.

Devenu peintre, le narrateur adulte dépose d’abord sur la toile les éléments fondateurs de sa mémoire comme autant de touches lumineuses : la forge, l’étêtement des grenouilles, les jours de lessive, le vent d’Est avec sa poussière noire de suie, puis instille une atmosphère intérieure en clair-obscur, évoquant sa propre homosexualité tout en pudeur, et ses deux passions en filigrane : la littérature et la peinture, née au hasard d’une autre blessure secrète.

Voici un roman tendre, bien écrit, émouvant mais jamais larmoyant, délicat mais pas mièvre, qui tire sa force d’un style forgé à l’établi, et qu’on a envie de défendre parce que c’est une belle surprise, tout simplement.

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu
nuit blanche

Fils du feu, un livre incandescent

Avant de résumer la trame de ce premier roman remarquable a bien des égards, disons quelques mots sur la langue, travaillée ici avec un soin extême, comme de la poésie en prose. Guy Boley a une écriture très visuelle, enrichit son récit de comparaisons audacieuses, sait trouver les raccourcis les plus percutants, les références les plus érudites et entraîne son lecteur dans une épopée mythologique. Voici donc l’histoire d’un fils de Vulcain, émerveillé par la puissance que dégage son père et par la maîtrise qu’il a sur le feu et sur la matière. C’est du reste à la forge qu’il se construit et éprouve ses premières grandes émotions. Par exemple le jour où Jacky est arrivé à moto pour seconder son père. Ce «Jacky était un vrai mystère. Un taiseux taciturne au visage sans lumière. Un humain sans parole. Un grand sac de secrets. Ma première statue grecque. Mon premier grand amour.» Mais voilà que les rêves se brisent quand sa mère lui annonce «sans perdre de temps et sans salir les mots (…) : Ton petit frère est mort». Un événement qui va traumatiser toute la famille : «Les horreurs du monde enfantent des printemps si nous voulons durer au-delà du chagrin.» Sa mère n’acceptera pas cette absence et continuera à vivre avec son fils décédé à ses côtés. Son père ne comprendra pas cette attitude, essaiera la faire soigner par un psychiatre et finira par sombrer dans l’alcool. Car il comprendra trop tard qu’en levant la main sur son épouse, il a brisé son couple et sa relation avec Jacky qui ne lui pardonnera pas ce geste. La narrateur assiste alors à un combat mémorable entre les deux hommes : «Ils sont la lave toujours vivace de ces ventres de femme qui libèrent des volcans et où des cavaliers, dans des toundras de chair, égarent leurs chevaux.» La forge est fermée, les locomotives à vapeur sont remplacées par des motrices électriques. Son père se transforme en artisan, vendeur de fer forgé et de volets roulants, le paysage prend des allures uniformes quand les pavillons poussent comme des champignons. Voici les années que l’on nommera Glorieuses : «le roi nommé crédit distribue à la volée de pleines poignées de billets permettant d’acheter des meubles en aggloméré, des tables en formica, de la vaisselle transparente en pyrex, des oreilles de Mickey et des Général de Gaulle en forme de tire-bouchon. Et ça consomme plein pot, dehors comme dedans, du sous-sol jusqu’au grenier, sans oublier les réfrigérateurs qui dégueulent déjà leurs mets cellophanés sans saveur, sans odeur, sans effort à fournir pour les servir à table.» C’est aussi l’époque où il ne saurait être bien vu de choisir les beaux-arts comme métier. La faculté des sciences fera beaucoup plus sérieux pour le jeune bachelier. Il y trouvera toutefois vite la confirmation qu’il n’aime pas les sciences et, plus surprenant, qu’il n’aime pas les femmes. C’est dans le grenier aménagé pour son frère défunt qu’il avouera son orientation sexuelle à sa mère et que cette dernière lui expliquera qu’en revanche son frère (défunt) a rencontré une jeune fille «pour laquelle il éprouvait des sentiments extrêmement sérieux» et qu’elle aimerait beaucoup assister à leur mariage. Un autre jour sa femme sera enceinte… Passant des études de sciences à celle des lettres, le narrateur s’ingénie à inventer pour sa mère le roman de cette vie… avant qu’elle n’accompagne son père et leur chien dans la tombe et trouve dans la peinture une thérapie. Dans ses toiles, il ne sait de quel passé, de quelle victoire, de quelle défaite, quelle joie ou quelle douleur elles sont constitués. En revanche, je sais que son roman est le fruit de tous ces éléments. Un livre forgé avec puissance et élégance, avec rage et exaltation. C’est l’enfer la tête dans les étoiles.

Retrouvez Henri-Charles Dahlem sur son blog

http://urlz.fr/43sX

partagez cette critique
partage par email
 
coup de coeur

Guy Boley écrit ici son premier roman. D’après sa bio, cet homme d’une soixantaine d’années a le moins qu’on puisse dire, vécu mille vies (de cracheur de feu, chauffeur de bus, dramaturge etc….) Le théâtre et les beaux textes l’ont profondément marqué, et c’est ce que l’on ressent tout d’abord dans ce roman à la langue brillante et explosive. Un homme d’âge mûr, revient dans la maison de son enfance après le décès de ses parents afin de clore une partie de sa vie, sa sœur l’accompagne. Son enfance s’est passée à Besançon dans une famille aimante, le père est forgeron, et l’enfant est admiratif devant les forces déployées , et du père, et du feu. Il peut convoquer Vulcain et tous les dieux de l’enfer . Survient le décès de son petit frère, et là, la mère, endeuillée »calibrée » pour la société, devient folle tout doucement, sans bruit , le père trouve d’autres dérivatifs, seule la grand-mère reste stoïque, elle qui « dépèce si bien les grenouilles ». L’homme (sans prénom) raconte avec tendresse cette enfance cabossée, comment il s’en est sorti grâce à la peinture, son homosexualité devinée lorsqu’un beau garçon venu de nulle part travaillait à la forge . Tout cela dans un temps pas si lointain et qui a pourtant disparu. Les mots de ce roman ressemblent aux étincelles qui s’échappent de la forge, c’est beau comme un texte antique !

partagez cette critique
partage par email