critique de "La Maison du joueur de flûte : Géographie du Grand Tourment", dernier livre de Alexandre Vialatte - onlalu
   
 
 
 
 

La Maison du joueur de flûte : Géographie du Grand Tourment
Alexandre Vialatte

Le Dilettante
litt. generale
novembre 2015
126 p.  15 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

l’enchantement littéraire

La maison du joueur de flûte d’Alexandre Vialatte est un livre étrange. Un livre où l’on se perd – ce qui est généralement un reproche relève ici d’un simple constat. Un livre où l’on se perd et où l’on est heureux de se perdre. Nous sommes à la fois soumis à un enchaînement de métaphores qui peut sembler tout à fait rigoureux et pourtant aucune logique ne relie entre elles les phrases de ce livre. Nous sommes dans un autre monde, qui a sans doute ses lois et ses exigences, mais jamais explicitées. Il est simplement demandé au lecteur de se laisser conduire par l’auteur, sans poser de questions, de se laisser entraîner à sa suite – d’ailleurs les premiers mots ont sur lui le même effet que les premières notes du joueur de flûte qui délivre les rats de la ville qu’ils infestent, et sur les enfants qui le suivront quand les notables de la ville refuseront de lui payer son dû. Il est difficile d’échapper à la beauté envoûtante de cette mélodie. « Le secret n’est pas du côté de la place, de la fontaine et des fenêtres d’or. Il est dans la vieille maison qui ne livre pas son énigme. Et le chien gratte, un peu craintif, le nez sur la trace, les oreilles traînant au sol. Il se fatigue et ne se décourage pas. Mais la vieille maison reste muette. » Cette maison est celle du narrateur. Maison de l’enfance perdue ? Maison qui contient tous les éléments de l’oeuvre à venir ? En tout cas, elle ne cesse de lui échapper et, quand il parvient à y pénétrer, il y erre, de pièce en pièce, à la recherche de souvenirs qui se diluent au fur et à mesure qu’il s’en approche, il y croise des habitants – les locataires auxquels il a dû se résigner à abandonner les lieux – qui ne peuvent jamais répondre aux questions qu’il se pose et qu’il leur pose. Il voudrait tant fixer une fois pour toutes ces silhouettes, familières ou étrangères – il se présente d’ailleurs à ceux qui le croisent comme un photographe ; mais les photos qu’il réussit à prendre sont toujours floues ou se superposent les unes aux autres : il ne pourra jamais à partir d’elles reconstruire quelque chose qui se tienne. « Je sais à peu près ce qu’il y a dans cette chambre des enfants. Ou bien est-ce un faux souvenir? Il y a longtemps que je ne l’ai plus vue ; mais je me rappelle d’une façon très précise une vieille table à toilette en acajou avec un dessus de marbre cassé. Le miroir rond manque dans le disque de bois peint qui était fait pour le contenir et qui peut pivoter horizontalement autour de son diamètre. » Le narrateur est prisonnier des visions qu’il a lui-même créées. Il est à la fois dehors et dedans, organisateur du désordre qu’il essaie de décrire malgré tout et sa première victime. Le charme puissant qu’il exerce sur ses lecteurs s’exerce aussi sur lui – mais à quoi tient-il ? à quel mystère ? joueur de flûte qui a perdu sa flûte, l’écrivain s’épuise à vouloir tenir, grâce aux mots qu’il utilise, grâce aux images qu’il multiplie, cette réalité qui le fuit et la familiarité même qu’il entretient avec ses personnages – qui reviendront dans d’autres ouvrages de Vialatte – ne suffit pas à en dissiper l’étrangeté. Alexandre Vialatte a été un traducteur réputé, en particulier de l’oeuvre de Kafka. Il y a, entre les deux hommes, une parenté évidente.

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