Saltimbanques
François Pieretti

viviane hamy
janvier 2019
 18 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
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Jongler avec sa vie

Nathan a littéralement fui sa famille, laissant derrière lui un père et une mère à la limite du mutisme, en tout cas incapables d’exprimer simplement des émotions sincères, ainsi qu’un petit frère, Nathan, 18 ans, qui vient de passer son bac mais qui ne saura jamais s’il l’a obtenu ou non. Gabriel revient sur les lieux de son enfance pour l’enterrement de ce frère, décédé brutalement dans un accident de voiture, sous l’emprise de l’alcool et de substances illicites.

Gabriel faisait partie d’une troupe de saltimbanques, en tout cas d’un groupe qui apprenait à jongler, cracher du feu, marcher sur des échasses… Cette troupe constituait le centre de sa vie. Elle constituera désormais celui de Nathan qui va se lier avec les membres de la troupe, partir avec eux sur les routes régionales pour d’enfiévrées fêtes médiévales et surtout s’amouracher, comme tout le monde, d’Appoline, l’ex-petite copine de Gabriel.

Nathan apprivoise Appoline comme un petit animal apeuré, troublé : il tourne autour d’elle et s’approche progressivement pour qu’elle s’habitue à lui et lui fasse confiance, craint par des gestes brusques de la faire fuir… François Pieretti utilise toute la palette du vocabulaire du dresseur et de la bête sauvage. Appoline est un être sauvage qui ne s’apprivoise pas, qui ne se laisse pas apprivoiser.

Le récit de François Pieretti est à l’image de ses personnages : avares de dialogues, de discussions et d’échanges. Cette économie de moyens colle avec le propos du livre qui se veut très introspectif. Sous couvert d’enquêter sur son frère décédé, Nathan est surtout sur la piste de sa propre histoire, de sa propre personnalité.

On ne peut ainsi imaginer personnage plus dissemblable de ses parents que Nathan. Ou que Gabriel, d’ailleurs. Et pourtant, leurs parents ont tout accepté de Gabriel. Tout ce qu’ils ont pu refusé à Nathan, l’aîné, ils l’ont offert au cadet. Comme s’ils souhaitaient se faire pardonner quelque chose. Quelque chose qui ressort et les noie avec la mort de Gabriel. Ils se retrouvent comme emprisonnés dans une gangue de remords qui les immobilise à jamais, qui les mure dans un silence pesant.

Le temps narratif est ainsi très lent, très introspectif et sied à la nostalgie et à la passivité qui hantent les personnages de François Pieretti. Aussi bien dans la première partie du récit qui se déroule sur les terres de l’enfance de Nathan et de Gabriel que dans la seconde partie dans laquelle Nathan se rend en Bretagne. Il y trouvera une nouvelle expérience qui lui permettra de se compléter psychologiquement.

Nathan est de ces êtres humains qui semblent traverser l’existence sans avoir réellement les pieds dans la réalité, comme si les événements ne pouvaient avoir d’impact sur lui alors que c’est tout le contraire : il absorbe tout ce qui lui arrive pour s’en nourrir, pour grandir. Il est à la recherche de lui-même alors qu’il a tout sous les yeux, chez lui. La vie est un cycle que Nathan doit finir d’accomplir pour être « chez lui », ce qu’il parviendra à faire.

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Nathan a quitté assez jeune le domicile de ses parents : il a voulu mener sa vie, ailleurs, loin d’eux. Après quelques années d’études, il ne fait que vivoter en exerçant des petits boulots alimentaires qui ne l’intéressent pas vraiment. Ses retours au pays ont été assez rares et le temps est passé. Ainsi, Nathan n’a-t-il pour ainsi dire pas connu son frère. La seule image dont il se souvienne est celle d’un ado distant, de quinze/seize ans, avec lequel il n’a jamais vraiment parlé. Gabriel fréquentait déjà, à l’époque, une troupe de saltimbanques avec laquelle il faisait des spectacles. Nathan n’en a vu aucun et maintenant, c’est trop tard puisque Gabriel est mort dans un accident de voiture peu de temps après avoir passé ses épreuves du bac.
Nathan est donc revenu pour les obsèques de son frère. S’il sait bien qu’il ne pourra jamais rattraper le temps perdu, il va tout de même tenter de comprendre qui était ce frère, cet étranger. Encore lui faudra-t-il poser les bonnes questions… Pas si simple…
Ce sont d’abord des parents terrassés par la douleur qu’il retrouve. Commence alors une errance autour de ce frère disparu : aller sur les lieux qui étaient les siens, rencontrer ceux qui l’ont connu et comprendre ce qui l’a amené à prendre cette voiture sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiants.
Saltimbanques est un roman d’atmosphère : les personnages semblent évoluer dans un monde qui n’est pas vraiment le leur et dans lequel ils ont du mal à trouver leur place, comme s’ils avançaient constamment dans une semi-obscurité les privant de repères. Rien dans ce monde ne semble les retenir, les intéresser, les impliquer. Ils sont de passage, songent peu à l’avenir et vivotent au jour le jour dans une brume qui semble pénétrer leur âme. « Est-ce qu’il y a seulement une histoire ? Une vraie histoire ? » s’interroge Bastien, un ami. Est-ce que ces jeunes parviennent à se construire une vie ? À être heureux ? Pas sûr.
Qui sont-ils, ces jeunes ? Pourquoi cette désillusion permanente, cette fuite constante, cette tristesse insondable qui imprègne tout leur être ? Une très grande mélancolie émane de chacune de ces pages disant l’impossibilité d’être heureux, le malaise d’un désenchantement permanent dans un monde silencieux et triste.
François Pieretti, primo-romancier, a su rendre ce sentiment presque d’abandon que peuvent ressentir des jeunes sans avenir, « des enfants perdus », abandonnés même, trouvant encore peut-être dans l’amitié quelque refuge possible.
Comme je le disais, Saltimbanques est un roman d’atmosphère qui a su capter l’air du temps. L’écriture est fluide et tout en nuances. J’avoue cependant avoir peut-être moins aimé la dernière partie qui se passe en Bretagne et qui m’a semblé plus convenue (la Bretagne est tellement « cliché » : c’est le lieu où, dans la littérature actuelle, échouent tous les jeunes bobos qui veulent recommencer leur vie…) Par ailleurs, je la ressens comme se rattachant un peu artificiellement à un récit formant un tout. C’est un point de vue, il se discute bien entendu !
Des premiers pas très prometteurs en littérature, c’est certain ! Un auteur à suivre, assurément !

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