Tous les oiseaux du ciel
Evie Wyld

Traduit par Mireille Vignol
Actes Sud Editions
septembre 2014
283 p.  21,80 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Traquée par la vie

Une fille qui s’appelle Jake élève seule des moutons dans un coin perdu sur une île britannique. Au départ, on ne sait rien d’elle hormis qu’elle a grandi en Australie. Pourquoi s’est-elle réfugiée sur cette île battue par les vents ? Pourquoi élève-t-elle des moutons ? Pourquoi et quand a-t-elle quitté l’Australie ? Autant de questions que le lecteur, mais aussi les habitants du petit village voisin, se posent.
Lorsque le roman débute, Jake découvre une de ses brebis égorgée, et ce n’est pas la première. Une situation angoissante donc, qui ferait probablement trembler tout un chacun, sauf que Jake n’est pas comme tout le monde. Alors, pleine de colère et de détermination, Jake enquête et sillonne l’île à la recherche de l’égorgeur de brebis, car cet événement sanglant pourrait être une résurgence de sa vie d’avant, en Australie. Tout l’art de la romancière anglo-australienne Evie Wyld est de distiller les informations sur le passé de Jake, en les livrant au compte gouttes et à reculons. Car c’est à rebours que l’on remonte dans son histoire, de son départ précipité d’Australie, son emploi un peu plus tôt dans un élevage de moutons près du désert, sa cohabitation avec un fou pervers dans une ferme isolée, sa jeunesse chaotique à Darwin et Port Hedland, jusqu’à sa ville natale. Petit à petit, le lecteur devine que Jake a toujours dû s’enfuir, que quelque chose de terrible à fait basculer sa vie dans une course éperdue qui l’a conduite jusqu’à cette île inhospitalière où elle a fini par se cacher.
Il faut donc remonter jusqu’à la fin du livre, chaque chapitre éclairant les précédents mais dans une constante déstabilisation du lecteur, car rien ne s’explique jamais comme on aurait pu le prédire, de la même façon que l’enquête sur l’île à propos du massacre des brebis nous conduit à des découvertes déroutantes.
Une structure redoutablement maîtrisée par Evie Wyld, pour un roman qui dit que certains destins pourtant tout tracés peuvent basculer un jour et s’égarer sans qu’il soit possible d’y changer quelque chose, des destins où seul l’instinct de survie, et le hasard, peuvent sauver une vie. C’est aussi, très loin en filigrane, un portrait de l’Australie, ses paysages sauvages, la question aborigène et la place faite aux métis, dans lequel la romancière suggèrerait qu’une sorte de violence fondamentale habite l’âme même de ce pays.

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