Une année lumière
Nathacha Appanah

Gallimard
octobre 2018
144 p.  12 €
ebook avec DRM 8,49 €
 
 
 
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Chroniques sensibles et sincères

Florilège des chroniques hebdomadaires parues dans le journal « La Croix » de janvier à novembre 2017, cette année lumière est un petit plaisir à ne pas bouder. On y fait d’abord (et surtout) connaissance avec l’autrice, qui se raconte en creux bien plus qu’elle ne l’aurait cru. Réagissant (forcément) à l’actualité, elle prend cependant le temps de fouiller les sujets qui la touchent, le langage, l’écriture, le métier d’écrire au sens large, entre autres. C’est vraiment intéressant, d’autant plus que Nathacha Appanah n’éprouve pas le besoin de se mettre en avant et a le souci du mot juste (jolie chronique sur la traduction).

« Comme le dit la romancière, poète et essayiste Herta Müller, « le langage c’est comme l’air. C’est quand il est foutu que vous réalisez à quel point il est important. »«

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coup de coeur

Fragments d’une année

A travers la trentaine de chroniques qui compose ce recueil, une facette intime de Nathacha Appanah apparaît. L’écriture se veut élégante, fine, ciselée et remplie d’émotions.

Nathacha Appanah ne fait pas partie de ces auteurs enfermés dans leur tour d’ivoire, hermétiques au monde qui les entoure, résolus à ne se consacrer qu’à la littérature, oubliant la curiosité qu’on peut porter autour de soi.

Une Année lumière est sans le vouloir vraiment la confession intime d’une petite fille née sur une île de carte postale (Maurice) qui, devenue grande, a décidé de vivre en France pour se consacrer à l’écriture. Mayotte, puis la métropole… Le bruit et la fureur. Les yeux écarquillés, elle devient un témoin de ce qui se passe autour d’elle, soucieuse de se demander ce qui tombera dans l’oubli.

« Nous regardons, nous écarquillons les yeux et avant même de savoir exactement ce que nous sommes en train de contempler, il y a autre chose de plus terrible à voir de plus sanglant, de plus incroyablement inhumain. Je sens parfois, malheureusement, que l’anesthésie au monde me guette, que parfois un malheur ressemble trop à un autre dans la façon dont on nous le raconte vite et bruyamment ».
Le temps, l’oubli, les souvenirs sont autant de thèmes chers abordés dans ces chroniques. On ne prend plus le temps de rien. Consommer, vivre vite sont les maîtres mots d’une société finalement à la dérive mais qu’on refuse encore de voir comme tel, pas assez prêts à l’affronter. Les leçons de l’histoire ne sont pas suffisantes pour éviter de fâcheux recommencements, telle le souligne la citation de Primo Lévi que l’écrivain garde en elle précieusement : « C’est arrivé et tout cela peut arriver de nouveau : c’est le noyau de ce que nous avons à dire ».

Nous vivons tant de choses et nous en oublions les trois quarts pourrait-on résumer. Nous sommes de passage et l’écriture peut-être un bon moyen non pas d’entrer dans la postérité (l’exemple de Marie-Josèphe Guers en est un) mais d’exprimer ce qui se passe aujourd’hui et maintenant.
« J’aime écrire et lire la vie des non-puissants, des outsiders, des oubliés de l’histoire. J’aime aussi écrire et lire la vie qui passe parfois comme un ruban gris, sans aspérités, sans couleurs, sans saveur, cette vie sans la vie. J’aime le changement dans les cœurs et dans les têtes. J’aime les enfances ordinaires et les jours extraordinaires ». (Semer l’empathie)
A Maurice, la langue nationale est l’anglais, mais on parle aussi bien créole que français. Nathacha Appanah a choisi le français comme langue d’écriture. Ce choix ne l’empêche pas d’apprécier la poésie anglaise ou une conversation en créole. En fait, l’auteur s’étonne lorsqu’on lui demande, lors de conférences, de préciser son choix. Lui revient alors une phrase de Herta Müller : « le langage c’est comme l’air. C’est quand il est foutu que vous réalisez à quel point il est important ». Peu importe la coquille, c’est le contenu qui est important et ce qu’on en fait.

Justement le rapport aux autres se fait par le langage. Au fils des chroniques, on comprend que l’auteur a dû mal à expliquer en public ses choix littéraires ou son rapport à l’écriture. Toujours cette angoisse de se sentir ridicule ou de ne pas proposer une réponse qui plaira à l’auditoire. Il est plus simple de trouver ses mots en écrivant qu’en s’exprimant. Ces derniers ont besoin d’être utilisé avec soin pour ne pas être corrompus ou mal compris. C’est pour cela que Nathacha Appanah ne s’est jamais éloignée de la lecture de la poésie, genre qui donne véritablement de la valeur au mots.
« J’ai parfois lu des poèmes qui ont changé la façon dont je voyais le monde, d’autres auxquels je ne cesse de revenir car, tels des baumes, ils contiennent cette chose chaleureuse qui se répand en moi quand je les lis ; d’autres encore sont des mystères et je sais qu’un jour ils vont se révéler à moi ». (…) La poésie est également pour moi un moyen de garder vivants la mémoire et les liens qui nous engagent aux autres ».
Les thèmes du souvenir et de la mémoire sont des thèmes chers à l’auteur. Il y a une angoisse quasi viscérale d’oublier l’essentiel alors qu’on est happé par le tourbillon de la vie et la superficialité de certains événements.
« Où vont ces milliers de choses qui semblent nous occuper tout entier, dont on est persuadé qu’elles vont déterminer le reste de nos jours et qui, soudain, disparaissent ? Où vont ces émotions qui nous gonflent le cœur comme des ballons ?  » (la cloche à souvenirs)
L’écriture devient un refuge contre l’oubli. Elle devient un passeur de souvenirs, une mémoire qui, même si le livre est passé sous silence, permettra de garder une trace de ce qui fut.
« Et je crois qu’une fois passés le bruit ou le silence assourdissant de cette rentrée, c’est ce qui consolera les écrivains, ceux qui ne voient jamais leur nom cité ou les autres : d’écrire avec intégrité leurs livres » (Bruit et silence de la rentrée littéraire)
Une Année lumière a agi sur moi comme un baume. Il m’a permis d’ouvrir les yeux à nouveau sur le monde qui m’entoure. Le temps nous échappe, nous le rattraperons jamais. Il faut que j’apprenne à me l’approprier pour ne pas en perdre une miette afin que ce que je vis ne sombre pas avec perte et fracas dans les oubliettes de ma mémoire.

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