Une Ile
Véronique Bizot

Actes Sud Editions
essences
octobre 2014
48 p.  11 €
ebook avec DRM 8,49 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
on n'aurait pas dû

Marie-Chantal à la plage

Dans les années 70, souvenez-vous, il se racontait des histoires de Marie-Chantal, petites blagues anodines comme il en circule de temps en temps. L’héroïne en était une jeune femme, snob sans le savoir, sorte d’ingénue vivant hors du monde. Par exemple : « Marie-Chantal décide de changer de voiture –le cendrier était plein ».

Nul ne sait où est passée cette Marie-Chantal, pourtant on pense immédiatement à elle lorsqu’on ouvre le dernier livre de Véronique Bizot, sobrement intitulé « Une île ». La narratrice de ce livre séjourne sur une île – d’où le titre – en vacances avec quelques amis. Quatre ou cinq psychanalystes, un producteur de France Culture. Déambulant dans une grande maison en désordre, ils souffrent de la chaleur mais vont parfois courageusement jusqu’au village pour acheter des journaux. La narratrice est très inquiète, elle a promis de rendre un manuscrit à son éditrice mais ne sait pas quoi écrire dedans -et alors qu’on avance dans ce livre, on mesure à quel point c’est l’exacte vérité, bien au-delà de ce qu’on aurait pu imaginer. Ce manuscrit est une commande de ladite éditrice, une femme « d’apparence incroyablement douce », avec qui elle a pris un café avant de partir. « Des choses me sont ensuite venues à l’esprit, mais disparates, volatiles, effilochées comme des effluves, depuis j’ai pris quelques notes, […] mais je ne vois pas comment organiser tout ça, j’ai peu de temps, j’aurais mieux fait de refuser, c’est évident ».

On confirme : elle aurait mieux fait de refuser, c’est évident.

Un de ses amis s’enquiert : « C’est bien payé ? ».

La narratrice est perplexe : « J’ai dû avouer que nous n’avions pas abordé cette question de l’argent avec l’éditrice charmante ».

On peut relire cette phrase durant un quart d’heure, on ne s’en lasse pas.

Poursuivons.

Le livre a tout de même le mérite de nous donner quelques précieuses informations sur ce genre de vacances, comme cette scène de repas, lorsque les convives décident de changer leurs billets d’avion et partir en Bourgogne, parce qu’ici non vraiment il fait trop chaud, c’est décidément insupportable, mais bien sûr ils n’en feront rien, pris dans une léthargie qui les conduit à regarder des DVD durant des après-midi entiers. Et la narratrice accompagne ces descriptions sociologiquement passionnantes de conclusions non moins profondes : « Je dois dire que les vacances en compagnie de psychanalystes ont quelque chose de différent d’avec les vacances en compagnie de gens qui ne sont par exemple pas psychanalystes ». Ouais. Avec les plombiers, c’est pareil.

Donc elle ne sait pas quoi écrire dans son livre, qui doit impérativement parler des odeurs, car c’est le thème de la collection « Essences » chez Actes Sud dans laquelle ce « Une île » est publié. Toutefois on se réjouit grandement que l’éditrice lui ait donné un sujet, parce qu’on se demande ce qu’on aurait trouvé dans ces pages si tel n’avait même pas été le cas. Mais donc puisqu’elle ne sait pas quoi écrire, la narratrice interroge ses compagnons sur leurs odeurs préférées ou détestées. Zou, ça permet au moins de gagner du temps. En laissant beaucoup de blanc entre les paragraphes, cette petite futée de narratrice doit se dire qu’elle finira par avoir entre les mains un manuscrit d’une taille à peu près acceptable –au final, le livre en atteint poussivement quatre-vingt-huit pages, soixante-douze plus exactement si on excepte les pages de garde.

Le problème, c’est que souvent cette méthode ne donne pas grand-chose. L’un des amis, discrètement nommé « A. », se souvient soudain d’une odeur : « mais je ne vois pas du tout ce que c’est, ni à quoi elle se rapporte ». S’ensuit un léger flottement : « Mais n’en parlons plus, dit-il, qu’est-ce qu’on racontait juste avant ? Je réponds qu’on ne racontait rien et nous replongeons dans le silence ».

Bon, ça fait toujours une page de gagnée.

Il faut dire que ces malheureux n’ont vraiment rien à faire dans cette immense maison, sauf siroter des boissons et bavarder. Parfois, une voisine s’invite sur la terrasse. Une femme très riche que même notre narratrice juge snob, c’est dire. « On en trouve à notre avis beaucoup trop d’exemplaires sur chacune de ces îles autrefois désertes ».

On verse une larme, en effet ce doit être si ennuyeux de passer l’été entourée de riches.

Chemin faisant, on capte quelques bribes de conversations qui se nouent sur cette terrasse entre les psychanalystes alcoolisés et la voisine, laquelle raconte que « pour une soixantaine de milliers d’euros on peut, elle en a fait l’expérience, obtenir d’un parfumeur, du côté de la place Vendôme, un parfum sur mesure ».

La narratrice réfléchit longuement : « Soixante mille euros. Il est un fait qu’il s’agit là d’une somme avec laquelle on ne saurait prétendre définitivement échapper à l’angoisse des lendemains, une somme en quelque sorte bâtarde, si bien alors autant en effet s’offrir un parfum ».

Soixante mille euros.

Une somme en quelque sorte bâtarde.

Alors bien entendu un auteur, si anecdotique soit-il, est libre d’écrire ce qu’il veut. Mais il y a des jours où on aimerait téléphoner aux éditeurs et éditrices, si incroyablement doux et charmants soient-ils, leur téléphoner pour leur dire qu’ils pourraient faire attention à ce qu’ils publient.

Juste cela : faire attention.

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