Philippe Delerm
Seuil
septembre 2019
108 p.  14,50 €
ebook avec DRM 10,99 €
 
 
 

Quelle lecteur êtes-vous ?
Philippe Delerm

« Je rêvais bien plus de devenir un sportif de haut niveau qu’écrivain. »

Philippe Delerm a l’art des titres qui font mouche. Avec « La première gorgée de bière », il ouvrait notre imagination à tous ces petits plaisirs jalonnant une vie. Aujourd’hui, il se penche sur « L’extase du selfie » (lui dont le téléphone vintage ne prend pas de photos !), et sur ces minuscules gestes qui nous trahissent. Si ses livres ressemblent à de la broderie, un travail minutieux et raffiné, il est un lecteur éclectique, pouvant passer de Proust… à « L’Equipe » !

Quel est votre premier souvenir de lecture ?
Ce n’est pas le premier, mais le plus marquant : je devais avoir une dizaine d’années lorsque j’ai découvert « Le Grand Meaulnes » d’Alain-Fournier un dimanche d’automne où, pour une fois, mes parents m’avaient laissé seul à la maison. Tous les deux étaient instituteurs et nous habitions toujours des écoles. Il suffisait d’ouvrir la porte pour se retrouver dans la salle de classe, et j’avais accès à tous les livres qui seraient distribués comme prix à la fin de l’année.  

Vos parents vous conseillaient-ils dans vos lectures ?
Pas du tout. Je me souviens de l’un de ces meubles de l’époque appelé « cosy corner » placé au coin du lit avec des biblelots d’un côté et des livres de l’autre. Ceux-ci n’étaient pas forcément pour moi comme « Du côté de chez Swann » auquel je ne comprenais que dalle, ou « La Rôtisserie de la reine Pédauque » d’Antalole France qui me troublait. J’avais dévoré en revanche un livre sur Napoléon. Je m’imaginais en pleine bataille de Moscou, alors que je me trouvais dans mon lit, tranquille. J’adorais cette sensation. Mais plus souvent, j’allais dépenser mon argent de poche à la grande librairie de Sèvres, où je choisissais au hasard des titres dans un mur de bibliothèque verte.

Avez-vous éprouvé de grands chocs littéraires à l’adolescence ?
« Le Grand Meaulnes » m’a ouvert la porte des classiques avec « Eugénie Grandet » et « Le père Goriot » de Balzac, mais je lisais aussi « La vie de Michel Jazy » ! Car je rêvais bien plus de devenir un sportif de haut niveau qu’écrivain.

Quand avez-vous pensé que, peut-être, vous écririez un jour ?
J’étais un bon élève et un lecteur. Mon deuxième grand choc de lecture après « Le Grand Meaulnes » fut « Du côté de chez Swann ». J’ai même une montre avec le début de « La Recherche » : « Longtemps je me suis couché de bonheur, mais quelque fois à peine ma bougie éteinte…. » Le phrase qui suit est plus intéressante encore : « le désir de trouver le sommeil me réveillait. » J’ai éprouvé cela mille fois. Avant Proust, je croyais qu’on pouvait penser ou ressentir ces choses finalement banales, mais en aucun cas les mettre dans un livre. J’ai lu « La Recherche » d’une traite, et durant toutes mes années de fac, j’étais obsédé par ce bouquin, je voyais le monde à travers lui. J’avais eu quelques velléités d’écriture, mais Proust m’en a complètement dissuadé. Toute tentative me semblait tellement dérisoire. Puis peu à peu, au fil des années, ces interdictions se sont converties en autorisations. Au fond, Proust est un auteur de textes courts, successifs et je pense que c’est de là que vient mon minimalisme. J’ai commencé à écrire, une fois nommé professeur en Normandie. Je n’avais plus de trajets à faire pour aller travailler, j’avais une forêt à côté de chez moi et l’envie d’écrire, comme tous les profs de lettres de l’époque d’ailleurs. J’ai commencé à être publié, mais il y a eu treize livres avant « La première gorgée de bière » à partir duquel j’ai vécu un véritable conte de fées.

A quelle famille d’écrivains appartenez-vous ?
Je ne sais pas, car il y a une espèce de hiatus, entre ce que j’écris et mon public qui devrait être beaucoup plus confidentiel. J’ai des affinités avec des écrivains un peu plus souterrains que moi comme Didier Blonde dont « Le figurant » part sur les traces du tournage de « Baisers volés », Jean-Loup Trassard, Thierry Laget que je viens de découvrir et qui a un style fabuleux. Ou Thomas Vineau. Ce sont souvent des auteurs considérés comme mineurs, parce qu’ils sont mineurs économiquement parlant, mais majeurs littérairement. J’aime les écrivains qui ont un univers et que l’on reconnaît à la première page.

Lisez-vous ce qui paraît ?
Oui, mais je suis un peu limité dans le temps, car je lis tous les jours un peu du journal de Paul Léautaud, et un peu de Proust. Et je suis un grand lecteur de Simenon.  

Vous dont les livres sont si français, appréciez-vous la littérature étrangère ?
J’ai une passion pour Dickens que l’on a longtemps, à tort, considéré comme un écrivain pour la jeunesse. Et dans un autre genre, j’aime les polars scandinaves et particulièrement ceux de Henning Mankell.

 

COMMENT LISEZ VOUS ?

Tablette ou papier ?
(éclat de rire !)

Marque-pages ou pages cornées ?
Mes marque-pages sont affectifs. Mon préféré me rappelle un jour où Vincent, qui avait des rêves de devenir chanteur, et moi sommes allés près du canal Saint-Martin lui acheter un appareil pour enregistrer des chansons. C’était une journée formidable parce qu’on était en complicité tous les deux. On a déjeuné dans un petit restaurant, « Le pont tournant ». La carte de visite de ce restaurant est devenue mon marque-pages préféré.

Lisez-vous debout, assis ou couché ?
J’aime bien lire assis ou au lit. Le matin, il m’arrive de me recoucher après le petit déjeuner avec un bon livre.

Jamais sans mon livre ?
Pour les petits trajets, j’emporte « L’Equipe », mais en général j’ai toujours un livre avec moi.

Un ou plusieurs à la fois ?
Plusieurs car j’aime bien lire un polar en même temps. Un Raymond Chandler par exemple.

Combien de pages avant d’abandonner ?
Assez vite. Si l’écriture ne me plaît pas, je laisse tomber, car je ne me laisse jamais gagner uniquement par l’histoire.

CINQ TITRES INCONTOURNABLES

« L’Ancolie » de Jean-Loup Trassard

« La belle jardinière » d’Eric Holder

« Du côté de chez Swann » de Marcel Proust

« Les papiers posthumes du Pickwick Club » de Charles Dickens

« Bibliothèques de nuit » de Thierry Laget

Propos recueillis par Pascale Frey

 

 
 
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