Beate Klarsfeld
Le Livre de Poche
mars 2015
1032 p.  9,90 €
ebook avec DRM 17,99 €
 
 
 
Rencontre avec Beate et Serge Klarsfeld

 « Il reste encore beaucoup de batailles à mener »

C’est un couple de légende comme il en existe peu. A deux, ils  ont chassé des nazis, débusqué  leurs collaborateurs français et fait la lumière sur Vichy. Aujourd’hui, ils livrent leurs souvenirs,  croisent leur histoire, détaillent leur héritage dans  leurs Mémoires. 750 pages  passionnantes, remplies de rencontres, d’engagement et de traque, le tout sans héroïsme triomphant mais avec une détermination sans faille. Béate et Serge Klarsfeld nous ont accordé un entretien.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussés à poursuivre en Allemagne les responsables des persécutions anti-juives en France ?
Beate Klarsfeld
 : Dans les années 60 , la conspiration du silence régnait. La dénazification n’avait pas été totale et de nombreux  responsables nazis  avaient fui à l’étranger, étaient utilisés par les Etats-Unis et leur service de renseignements  ou occupaient de hauts postes en Allemagne. Certains  vivaient ainsi dans la lumière et  figuraient  même dans l’annuaire ! En tant qu’Allemande, je ne supportais pas cette situation. C’est pourquoi en 1968  j’ai  giflé publiquement l’ancien nazi  devenu chancelier Kurt Kiesinger, ce qui a  eu pour  effet de réveiller la société  allemande et surtout les jeunes. Le chancelier a dû céder sa place à Willy Brandt, un homme irréprochable.  Nous  avons décidé  de continuer le combat. Le travail d’un seul peut parfois éveiller la mémoire de tous.

Serge  Klarsfeld : Pour moi, il s’agit d’une démarche  plus intime, plus familiale. Mon père  nous a sauvés en septembre 1943 en se rendant aux Allemands qui venaient nous arrêter à Nice, alors que nous étions cachés  dans l’appartement ma sœur et moi. Il a réussi à nous faire passer une lettre de Drancy, mais à la fin de la guerre, il n’est pas revenu. Pour moi, il est  mort peu à peu. J’ai voulu comprendre ce qui s’était passé, ma vocation d’historien vient de là.

Le succès est -il venu tout de suite ?
Serge  Klarsfeld:  Nous avons eu la chance  de fédérer autour de nous la jeunesse et d’avoir le soutien de certains médias. Notre méthode a été celle de « l’agit prop » c’est à dire  des actions spectaculaires, comme la gifle, l’enchaînement, les manifestations en tenue de déportés, les arrestations, la prison, les tentatives d’enlèvement même pour Kurt Lischka, ancien responsable de la Gestapo. Nous acceptions d’aller en prison alors que des grands criminels restaient libres. Nous, les représentants des victimes, étions punis  pour des actes n’ayant aucune mesure avec les actes qui étaient reprochés aux nazis. L’opinion publique s’en est émue  et la justice s’est mise en marche.

Quels ont  été à votre avis les plus grands procès ?
Beate Klarsfeld: Nous avons pu traîner en justice Kurt Litshka, responsable de la rafle du Vel d’Hiv, Herbert  Hagen, qui organisa la déportation des Juifs de Bordeaux puis Klaus Barbie, responsable entre autres de la mort de Jean  Moulin. Après les responsables allemands dont l’intention criminelle est patente, il a fallu s ‘attaquer aux responsables français par souci de cohérence et aussi de pédagogie. Maurice Papon, Paul Touvier ont ainsi  été condamnés. Même si René Bousquet a été assassiné, et que Jean  Leguay est mort avant son procès, la justice, en rendant public son réquisitoire, a montré ce que  ces deux collaborateurs responsables des rafles en zone libre et du Vel d’Hiv  avaient fait.

Serge  Klarsfeld : Nous avons prouvé la responsabilité de Vichy qui n’a pas sauvé les Juifs français, comme  ses défendeurs ont pu le dire,  mais les a au contraire livrés de sa  propre initiative,  ainsi que 11.000 enfants. Si trois quarts des Juifs français ont pu échapper à  la Shoah, c’est grâce au peuple français et à leurs églises, il faut  s’en souvenir. La politique de Vichy a été enfin  mise au programme des lycées, après un long silence.

Dans  ce livre, on voit que vous  ne reculez devant rien. Avez vous  parfois eu peur ?
Beate Klarsfeld: Je suis allée en Syrie  pour demander l’extradition du nazi Alois Brunner  avec le passeport d’une autre, grimée et  portant une perruque ! J’ai été arrêtée et expulsée plusieurs fois.  Ailleurs  dans le monde, nous avons été insultés,  rudoyés, nous avons reçu  chez nous des colis piégés et notre voiture a sauté. Il a  fallu déménager  plusieurs fois mais vous savez, rien n’aurait pu nous empêcher d’agir. Notre mission est tellement plus grande que nous !

Serge  Klarsfeld : Moi j’ai eu peur pour elle, surtout quand elle a  été emprisonnée, à de nombreuses  reprises.  Et pour nos deux enfants, Arno et Lida mais nous avons eu de la chance….

Serge Klarsfeld, vous avez beaucoup écrit :  Vichy Auschwitz, Le Mémorial de la déportation, riche de 75000 noms, dates,  numéros de convoi, Le mémorial des enfants d’Izieu,  Le calendrier de la déportation, La traque des nazis  et d’autres encore ….Comment  mène-t-on une œuvre aussi importante ?
Serge  Klarsfeld: Je suis historien pour imposer une mémoire authentique, restituée, précise et fidèle.  Il faut étudier les dossiers, se plonger dans  toutes les archives  disponibles. La France est un pays  formidable pour ses archives ! Chaque victime a droit à  un nom, une photo, des renseignements sur son martyre. C’est le combat de ma vie. Cette œuvre, les victimes nous l’ont léguée. Elle constitue un immense mémorial, une énorme bibliothèque où chaque page,  chaque image, chaque objet représente ces millions de juifs qui ont disparu dans la plus grande catastrophe du 20e siècle. .

Etes vous inquiets de la situation actuelle ?
Serge  Klarsfeld: Le temps de l’alarme, malheureusement,  semble déjà dépassé. La banalisation de la détestation d’Israël a conduit selon nous  certains à la détestation des  juifs. Nous continuons à intervenir contre les propos de Dieudonné et ceux de Le Pen.  Nous avons pris position contre certains passages  erronés du livre d’ Eric Zemmour car il ne faut jamais transiger avec la réalité historique. Nous étions dans la rue après les attentats de janvier.

Vous formez un couple exemplaire et complice, quel est votre secret ?
Serge  Klarsfeld: Nous militerons encore et ceci jusqu’à la fin ! Nos enfants ont peut-être eu une enfance différente des autres, dans les prétoires et  les manifestations, mais tout cela valait le coup. Si nous devions recommencer, nous ne changerions rien.

Beate Klarsfeld: Les débuts ont pu être difficiles, y compris financiers, heureusement que nous vivions  en  communauté familiale avec l’aide de ma belle – mère mais notre combat est celui  d’une vie. Aujourd’hui, nous aimerions peut être passer la main mais au fur et a mesure que nous avançons en âge, nous travaillons encore plus !  Il  reste encore beaucoup de batailles à mener. 

Propos recueillis par Ariane Bois

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
partagez
partage par email