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«Mes vies secrètes» de Dominique Bona,
paraîtra le 3 janvier 2019 aux Editions Gallimard

Romancière et biographe très discrète, Dominique Bona a davantage l’habitude raconter la vie des autres que la sienne. Mais aujourd’hui, elle a décidé qu’il était temps de se dévoiler et elle le fait dans ce récit intime en forme de confession.

Lire notre critique  » D’autres vies et la mienne »

En voici le début : 

« J’étais nue, complètement nue, au milieu de gens nus, sur le pont d’un bateau écrasé de soleil, au large de Majorque. Situation inhabituelle pour une ancienne élève du cours Dupanloup, élevée par les religieuses en cornette de la congrégation des Dames de Saint-Maur. J’avais une excuse d’ordre professionnel : j’écrivais une biographie de Romain Gary.

Loin de me confiner dans l’univers austère et poussiéreux des archives, associé à ce genre d’entreprise, j’étais venue poursuivre mon travail dans cette île des Baléares, plus fameuse pour son chaud climat, ses fêtes nocturnes et la passion torride de ses aments légendaires que propice à l’étude. Gary avait eu une maison, à Port d’Andratx, au sud-ouest de Palma. Réfugié dans un bout du monde, où il fuyait les critiques littéraires malveillants et les tracas de la célébrité, il avait aimé ce petit paradis et, dans les années soixante, soixantes-dix, il y avait eu des amis.

Autour de moi, sur le bateau, on parlait russe, allemand, anglais, espagnol. Les six à huit personnes à bord se comprenaient parfaitement dans ces divers langages. Invités comme moi à une croisière improvisée, tous habitaient l’île à l’année et partageaient le même exil sans fin. Un exil insouciant et oisif qui me charmait, en bousculant mes repères.

Nicole Otzoop était à la barre. Cette grande femme à la chevelure grisonnante, qui devait dépasser le mètre quatre-vingts, belle encore avec ses longues jambes et ses bras de déesse, me paraissait très âgée – je n’avais pas trente ans. J’avais fait sa connaissance la veille, sur la terrasse du petit hôtel où j’avais posé mes valises. Son apparition, semblable à celle d’une goélette, avait fait tourner  vers elle toutes les têtes qui jusque là contemplaient les yachts somptueux amarrés au quai et leurs équipages en uniformes d’opérette. On aurait cru qu’elle était poussée par les alizés. Nous avions visité ensemble les environs, les collines couvertes de maquis où se cachent, avec pelouses et piscines, les maisons de Palma. Elle m’avait conduite jusqu’à celle de Gary, baptisée Cimarron – cheval sauvage, en espagnol. Puis j’avais dîné chez elle, et elle m’avait ensuite ramenée à mon hôtel où j’avais passé une nuit bercée par les soupirs d’amour de mes voisins de chambre. Le matin, qui commençait tard en Espagne, elle était revenue me chercher mais cette fois avec son bateau, un vieux pointu qu’elle chérissait. J’allais vite comprendre que Nathalie Otzoop – comme Romain Gary – était amoureuse de la mer, qui la rappelait sans cesse à elle. Sur terre, elle n’était qu’impatience, sur mer une autre femme. »

 

 

 

 
 
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