Etgar Keret
traduit de l'hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech
l'Olivier
mars 2020
231 p.  21,50 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 

l e   c  r  i  t  i  q  u  e   i  n  v  i  t  é 

Bruno Corty (Le Figaro) a choisi «Incident au fond de la galaxie» d’Etgar Keret traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech (L’Olivier, 234 p.)

Etgar Keret, né à Tel-Aviv en 1967, a longtemps été le trublion des lettres israéliennes. À l’étranger, on s’amusait de ses courtes histoires qui pétillaient comme autant d’éclats de vies ordinaires. Asthmatique, Keret avait le souffle court mais ne manquait pas d’air : son humour, souvent noir, dévastait tout. Traduit dans le monde entier, il restait en Israël ce poil à gratter refusant de se fondre dans le moule d’une société forte et souvent sourde aux plaintes des Juifs de la diaspora. Fils de survivants de l’Holocauste, Keret n’a cessé de rappeler dans ses histoires ses origines ashkénazes et les souffrances d’une communauté réduite en cendres durant la Seconde Guerre mondiale. 
Et puis, de livre en livre, ce rejeton de Kafka et des humoristes juifs américains a fini par acquérir un statut de grand écrivain crédible au point de recevoir pour « Incident au fond de la galaxie », son sixième recueil de nouvelles depuis 1992, le prestigieux prix Sapir, l’équivalent du Goncourt en Israël. 
Et il est juste de dire que ce volume combine le meilleur de Keret : sa drôlerie irrésistible, sa loufoquerie démente, mais aussi une tristesse insondable qui vous serre le coeur. Sans doute parce que la notion de perte est au coeur de la plupart des vingt-deux histoires réunies dans ce volume.
Dans son salon, un homme expose un « concentré de voiture », celle-là même dans laquelle son cogneur de père a perdu la vie. Ailleurs, un père divorcé assiste impuissant, en compagnie de son fils, au suicide d’un homme qui se jette d’un immeuble. Ce qui excite le gamin, persuadé que l’homme est une sorte de super-héros volant. 
Keret flirte avec l’onirique, le fantastique, l’absurde. Il y a des pères qui, le soir venu, se transforment en poisson rouge et regardent CNN. D’autres qui se changent en lapin tout doux pour la plus grande joie de leurs enfants qui les ont reconnus et la belle colère des mères qui veulent s’en débarrasser au plus vite. Il y a des anges qui ont du mal avec leur condition d’immortel et de jardinier des nuages et seraient tentés par une petite visite chez les humains. Même si emprunter l’échelle de Jacob est formellement déconseillé…

Certaines histoires sont proches du cauchemar. Un homme qui a perdu la mémoire se trouve enfermé dans une chambre étrange au décor changeant. Est-il prisonnier d’un mauvais rêve ? Existe-t-il vraiment ? Une institution recueille des enfants abandonnés car atteints d’une maladie génétique les faisant vieillir prématurément. On leur fait croire qu’un jour, s’ils réussissent tests et entretiens, ils pourront vivre librement leurs derniers instants sur terre. La vérité est tout autre. 
La plus longue de ces histoires, « Tabula rasa », met en scène un homme qui travaille dans une garderie et ne trouve la force d’avancer, de supporter les gamins capricieux, violents, qu’en fumant des pétards le soir en contemplant la mer. Un jour, il partage son joint avec une très jolie femme qui ne semble pas heureuse. Le rituel se renouvelle et l’homme se prend à rêver. Ce qui, chez Keret, n’est jamais bon ! B.C.

Lire les critiques d’autre invités

 
 
partagez
partage par email