Iain Levison
Liana Levi
avril 2018
236 p.  10 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 

i  n  t  e  r  v  i  e  w 

« Le débat politique est devenu vide et vain »

Iain Levison

« Un petit boulot » reste, quinze ans après, la carte de visite de Iain Levison. Dès ce premier texte, cet auteur impossible à étiqueter a investi un territoire, entre roman noir et critique sociale, qu’il a marqué de son empreinte. On y voyait Jake, ouvrier au chômage, tuer pour de l’argent et continuer par goût du travail bien fait. Un homme bon et sympathique qui, dans l’impasse, commettait l’irréparable.

Quinze ans après, dans ce même Michigan peu engageant, un policier irréprochable met ses pas dans ceux de Jake. Mike Fremantle revoit un vieux compagnon d’armes dont il fut le sergent au Vietnam. L’ex-soldat brigue un poste de sénateur, il lui demande de nier publiquement une bavure, un crime de guerre, qui pourrait salir sa campagne. Mentir pour de l’argent : marché conclu, les deux sexagénaires vont réécrire l’Histoire. L’un pour partir en beauté, garantir le confort de sa famille et de son commissariat. L’autre pour désarmer le candidat rival et gagner.

« Pour services rendus » est à double détente. En montrant une face honteuse de la guerre, il ébranle l’image sacro-sainte du « vétéran » de l’armée, souvent héros, parfois victime, rarement coupable. On n’est pas surpris de retrouver l’auteur sur cette ligne critique, lui qui défie les conventions dans sa vie de nomade et les institutions dans ses écrits. Observateur sans pitié des travers américains, il fait aussi d’un arrangement avec la vérité (« fake news ») la clef d’une élection sans débat, sans idées, sans projet. Ou comment tailler en pièces deux piliers de l’Amérique moderne, son armée et son système politique.

Les héros de « Pour service rendus » et de « Un petit boulot » ont des choses en commun
C’est normal, ils sont tous les deux basés sur moi et on ne peut jamais s’abstraire de ses personnages. Ce sont de bonnes personnes qui sont prises dans des situations compliquées et qui réagissent comme moi je le ferais.

Vous vouliez casser l’image des vétérans du Vietnam ?
Juste montrer l’histoire de leur point de vue. Eux ne se voient pas comme des héros. Même après la Deuxième Guerre mondiale, la plus héroïque dans l’histoire des Etats-Unis, ces gars ne se voyaient pas comme des figures du bien. Et puis, il y a deux millions de vétérans du Vietnam, ils ne peuvent pas tous être de braves gars. Malgré cela, les Américains ont une fascination pour l’armée et ceux qui la représentent. Elle est intouchable et beaucoup de vétérans occupent ou ont occupé des positions politiques importantes, comme John Kerry ou John McCain. Dans les élections, les démocrates étant supposés plus faibles sur les questions de défense, il suffit que l’un d’eux ait fait l’armée pour qu’il gagne.

Pourquoi le Vietnam plutôt que l’Irak ou l’Afghanistan ?
D’abord, je ne sais pas grand-chose des guerres en Irak et Afghanistan. En revanche, je me souviens, enfant, d’avoir regardé les infos sur le Vietnam à la télé. Ensuite, cette guerre a produit sur la société américaine un choc aussi fort que l’assassinat de JFK. Elle a ébranlé la foi des Américains en leurs chefs. Jusqu’à cette période, les Etats-Unis étaient une superpuissance rassurante, un endroit idéal où vivre. De 1965 à 1975, les Américains ont totalement changé leur vision du pouvoir, leur vision du gouvernement. Du moins les Blancs, parce que les Noirs n’avaient déjà aucune confiance. Dernière raison, je connais mieux la jungle que les déserts du Moyen-Orient car j’ai été soldat au Pérou, dans l’armée britannique, de 1981 à 1984.

Vous avez mis vos souvenirs dans ce livre ?
Ayant été militaire, je n’ai pas eu de mal à décrire la vie à l’armée. Ce qui remplit vos journées, ce qui vous préoccupe à 95%, c’est de ne pas embêter votre sergent et de garder votre uniforme propre. Les gars qui partent en mission parlent des rations qu’ils emportent, jamais de ce qu’ils vont attaquer ou défendre.

Est-ce que les vétérans ont du mal à se réinsérer ?
Il existe aujourd’hui aux Etats-Unis une sorte de pipe-line qui leur permet d’entrer dans la police. On commence d’ailleurs à faire le lien avec les nombreuses bavures policières qui visent les jeunes noirs américains. Un policier ne devrait pas réagir comme un soldat. Or, face notamment aux manifestations de rue, la police américaine utilise des tactiques et des équipements militaires.

Que voulez-vous démonter avec ce livre ?
La référence au Vietnam ne fait que soutenir un propos sur la politique. J’ai voulu montrer à quel point le débat politique est devenu vide et vain. Les deux candidats, dans mon livre, ne débattent jamais de ce qu’ils veulent apporter aux électeurs, ils jouent un jeu où chacun cherche les faiblesses de l’autre.

Ce roman a-t-il des chances d’être, lui aussi, adapté au cinéma ?
Je n’y ai pas pensé en l’écrivant mais c’est un livre très cinématographique. J’ai toujours une idée très visuelle des scènes, je veux que les lieux où se passe l’action soient très présents. Ici, le Nouveau Mexique et le Michigan émettent des vibrations très différentes, qui influent sur les personnages. J’ai été chauffeur routier, j’ai roulé un peu partout aux Etats-Unis (sauf l’Ohio) et je m’appuie sur mes souvenirs.

Qu’avez-vous ressenti en voyant « Un petit boulot » et « Arrêtez-moi là » portés à l’écran ?
Quand j’ai vu les rushes de « Un petit boulot », je n’en croyais pas mes yeux, une histoire que j’avais écrite dix ans auparavant, quand je vivais en Caroline du nord ! J’ai adoré découvrir ma vision interprétée par un autre. En fait, je pourrais passer mes journées à regarder ces films …

Qu’est-ce qu’ils ont changé dans votre vie ?
Rien. Je lis, j’écris, je voyage. Je n’ai toujours pas de compte bancaire. Dans quelques années, peut-être ? Je ne suis pas riche et ce n’est pas facile de me joindre. Je viens de passer six mois dans la campagne allemande, près de Hanovre, le propriétaire m’avait confié sa jolie maison et son chat à garder. Cela me laissait du temps pour lire et écrire. En août, je vais retourner vivre en Chine. J’ai obtenu un poste pour enseigner l’anglais à l’université Jiang Si. J’aime bien les Chinois, ils travaillent dur, ils sont amicaux avec les Occidentaux. Si vous vous tenez bien, ils vous traitent bien. Je me sens à l’aise dans cette société basée sur le respect : vous faites bien le boulot, vous êtes sympa, vous êtes un capital social. J’ai appris la langue, c’est plus facile. Et puis le pays a beaucoup changé, je peux boire du café n’importe où, je n’ai plus besoin de prendre le train pour aller dans la ville voisine.

C’est là-bas que vous écrirez votre prochain livre ?
Oui. Il se passe au Cameroun. Il me fallait un Etat en situation d’échec, j’ai essayé avec l’Amérique du sud, mais ça ne fonctionnait pas, les Etats sud-américains ne sont pas assez délabrés. D’où l’Afrique. C’est une constante dans mes livres : l’Etat ne protège pas ses citoyens. Le citoyen américain ne reçoit rien en échange des impôts qu’il paie, au contraire de la France, par exemple, où les soins et l’éducation sont gratuits. C’est pour cela que j’ai quitté les Etats-Unis.

Propos recueillis par Philippe Lemaire

 

 

 
 
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