Armistead Maupin
L'Olivier
Littérature étrangère
mai 2018
352 p.  22 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 

l  e   c  r  i  t  i  q  u  e   i  n  v  i  t  é     

Michel Abescat (Télérama) a choisi
« Mon autre famile » de Armistead Maupin, traduit par Marc Amfreville paru chez L’Olivier

« Durant l’été 1969, entre les émeutes de Stonewall et le premier alunissage, je perdis enfin mon pucelage (…) J’avais vingt-cinq ans, très en retard quelque soit le mode de calcul. » On reconnaît là l’humour et l’émotion si caractéristiques d’Armistead Maupin. Cette façon douce-amère de dire le monde qui ont fait le succès de ses fameuses « Chroniques de San Francisco », publiées d’abord en feuilleton à partir de mai 1976. Directement inspirées de sa vie et de celle de son entourage, dans l’effervescence des années 70, au coeur de Castro, le quartier gay de la ville, ces « Chroniques » pouvaient donner à ses millions de lecteurs le sentiment de bien connaître l’auteur, figure iconique du mouvement LGBT. Que pouvait donc apporter aujourd’hui la publication de ses mémoires, centrées qui plus est sur ses années de jeunesse, qu’on ne sache déjà dans les grandes lignes ? Certes, comme il le souligne, l’auteur avait jusqu’ici toujours évité de mettre son « cœur à nu » sans se cacher « derrière le voile de la fiction ». Mais la surprise est tout de même de taille.
Car c’est l’histoire d’une rupture que ces mémoires racontent, un divorce d’avec sa famille d’origine, un itinéraire douloureux et joyeux tout à la fois, de sa famille biologique à sa « famille logique », titre de l’ouvrage en anglais. « Ma jeunesse ressemblerait à cela : le lent pourrissement des mythes que je chérissais en matière de politique, de race, et même d’amour -jusqu’à ce que rien ne subsiste qu’un tas de fumier où quelque chose d’authentique pourrait enfin commencer à pousser ». La formule est violente, tout comme le livre qui met en scène un jeune homme plaçant ses pas dans ceux de son père, homme du Sud américain, englué dans la nostalgie de la guerre de sécession, viscéralement conservateur, raciste et homophobe. Le lecteur découvre ainsi le jeune Armistead, étudiant en droit, engagé dans la Navy, soldat au Vietnam, surjouant l’hétéro pour donner le change. Avant qu’il ne découvre son « autre famille » à San Francisco, au hasard de sa recherche d’un emploi de journaliste, et se réinvente totalement. Le livre est violent, mais, et c’est l’art de Maupin, tendre aussi, et infiniment drôle, et passionnant sur l’époque qu’il décrit, de la guerre du Vietnam à la libération sexuelle. On y croise Richard Nixon (la scène de la rencontre entre les deux hommes est irrésistible), Rock Hudson qui fut son amant, Harvey Milk, Christopher Isherwood, le grand-père qu’il n’a pas eu. Maupin excelle dans l’instantané, l’anecdote qui fuse, le portrait minute, la phrase qui claque. Mais son livre a du souffle aussi, du recul, une forme de sagesse. Armistead Maupin est un témoin de taille.

Michel Abescat
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