©Francesca Montovani
 
 
Éric Fottorino
Gallimard
blanche
août 2018
272 p.  20,50 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 

Quel lecteur êtes-vous Eric Fottorino ?

« Lorsque je lis, je recherche le silence, la musique,
quelque chose d’intangible. »

Longtemps, leurs relations ont été compliquées. Il avait consacré deux livres à ses pères (le biologique et l’adoptif), mais pas une ligne à Lina, sa mère. Injustice réparée aujourd’hui grâce à ce récit parfois tendre, parfois rude, mais toujours délicat. Alors qu’il avait mis le point final à son manuscrit, Lina convoqua ses trois fils pour leur révéler un secret qui la hantait depuis plus d’un demi-siècle… Cela chamboulait tout. Ce qu’il avait écrit, imaginé, n’avait plus de sens. Il fallait envisager cette histoire sous un autre angle. Une tâche difficile, douleureuse au point qu’Eric Fottorino a cru que son texte ne sortirait jamais de son tiroir. Mais heureusement le voici aujourd’hui, ce « Dix-sept ans », livre-phare de cette rentrée littéraire.

Quels sont vos premiers souvenirs de lecture ?
Lorsque j’étais enfant, pendant des années, j’ai dévoré les aventures des « Six compagnons » de Paul-Jacques Bonzon. Cela se passait dans le quartier de la Croix-Rousse, à Lyon, ils formaient toute une bande, et moi qui étais très seul, j’avais l’impression de faire partie de cette bande.

Y avait-il des livres chez vous ?
Pas dans ma petite enfance. Ma mère a commencé à lire, un peu plus tard, quand elle s’est mariée avec Michel et que la vie est devenue plus facile.

Etiez-vous un enfant-lecteur ?
Pas du tout, cela m’ennuyait et m’angoissait un peu de rester immobile avec un livre dans les mains. Je préférais de loin sortir, pédaler. Puis, lorsque j’ai eu douze, treize ans ma mère, qui s’était mise à lire, m’a encouragé à me lancer moi aussi. Pour lui faire plaisir, j’ai choisi un livre dans la bibliothèque, parce qu’il était bref, et parce que son auteur portait un nom de champion cycliste. C’était « Rue du Havre » de Paul Guimard. Bien m’en a pris, car je suis vraiment tombé dedans. L’histoire est celle d’un type un peu marginal qui, l’hiver, se déguise en père Noël et le reste du temps vend des billets de loterie. Chaque jour, il guette les voyageurs qui vont et viennent dans la gare. Il repère une jeune femme, à qui il donne un prénom. Onze minutes plus tard, dans un autre flot, il voit un jeune homme, imagine sa vie, et considère qu’ils sont faits l’un pour l’autre. Mais ils sont séparés par ces onze minutes. L’homme décide alors d’être l’instrument du destin. L’écriture simple, poétique, m’a plu. L’autre déclic, je l’ai eu grâce à « La Rue des boutiques obscures » de Patrick Modiano. J’avais seize, dix-sept ans, et le professeur de français nous l’a recommandé. J’ai réalisé, grâce à ce livre, que l’on avait le droit d’aller gratter dans les origines. Cette lecture survenait au moment où je venais d’apprendre que j’avais un père quelque part, qu’il était juif, étranger. Ce roman a résonné en moi.

Le vélo a-t-il longtemps eu plus d’importance que la lecture et l’écriture ?
Après mon bac, je n’ai fait que du vélo pendant un an, songeant à devenir professionnel. Mais je trouvais ça dur, il y avait du dopage, des courses arrangées. J’ai décidé d’arrêter et me suis inscrit à la fac de droit. Cela m’a plu. J’ai beaucoup travaillé, je suis devenu très bon élève, mais je ne savais toujours pas ce que je voulais faire. Puis la presse a commencé à m’attirer. Je suis entré à Sciences po, et c’est là que j’ai vraiment découvert la littérature, car j’étais fatigué de l’économie. Je lisais des romans pour me changer les idées. J’ai essayé de rattraper le temps perdu, Dostoïevsky, Duras, Garcia Marquez… Très vite, j’ai été davantage attiré et touché par les atmosphères, par l’écriture que par les histoires proprement dites. Lorsque je lis, je recherche le silence, la musique, quelque chose d’intangible. D’ailleurs, je ne suis pas un romancier de l’imagination.

Comment êtes-vous passé de la lecture à l’écriture ?
Lorsque je suis arrivé au journal « Le Monde », à vingt-quatre ans, et on m’a confié à un journaliste, Michel Boyer. Il avait une cinquantaine d’années, avait eu comme prof Julien Gracq. Il m’a fait écrire mes premiers reportages et à chaque fois qu’il m’envoyait quelque part, il déposait un roman, sur mon bureau. « Cent ans de solitude »  de Gabriel Garcia Marquez et « Cacao » de Jorge Amado pour l’Amérique du Sud. Je suis parti en Europe de l’Est avec « La marche de Radetzky » de Joseph Roth, en Afrique du Sud avec André Brink. Bien sûr, il m’a fait découvrir Gracq, « Le rivage des Syrtes ». Grâce à lui, j’ai compris que pour mener à bien ces reportages, il valait mieux que je lise des romans plutôt que de m’encombrer d’une documentation. Il m’arrivait également d’utiliser des classiques pour illustrer mes articles. C’est encore lui qui m’a fait découvrir Romain Gary, avec « Les Racines du ciel » je crois. Ce fut une révélation et j’ai tout lu de lui. Plus tard, j’ai dévoré l’œuvre de Philip Roth, celle de Modiano. Certains livres de Le Clézio, « Le Chercheur d’or », « L’Africain ».

Y a-t-il eu un livre plus qu’un autre qui vous a donné envie d’écrire ? 
Ce n’était pas une histoire d’envie, il fallait simplement que je me l’autorise. Et ça, c’est Modiano qui m’a ouvert la voie.

Lisez-vous vos amis ?
Oui, beaucoup. J’adore le dernier roman de Laurent Gaudé, « Ecoutez nos défaites ». Je lis Erik Orsenna, qui m’a tellement aidé et a publié mon premier roman. J’aime beaucoup Karine Tuil, Véronique Olmi, Christian Bobin…

Quel est livre que vous vous êtes promis de lire ?
Je viens de déménager, et j’ai remis une fois de plus « L’homme sans qualité » de Robert Musil, que j’ai commencé mais jamais terminé, bien en évicence derrière mon bureau. Je ne sais plus qui a dit, « il y a des livres qui sont faits pour être lus et d’autres pour être là ! »

 

COMMENT LISEZ-VOUS ?

Marque-pages ou pages cornées ?
Marque-pages. Je prends en général le bandeau du livre.

Debout, assis ou couché ?
Assis et couché. Il peut m’arriver de m’assoupir, mais dernièrement j’ai lu « Opération Shylock » de Philip Roth et je peux vous assurer que je ne me suis pas endormi.

Jamais sans mon livre ?
Jamais et lorsque je l’oublie, il m’arrive des choses incroyables. Avant-hier encore, dans le train, je suis tombé sur « Tanguy » de Michel del Castillo, qui traînait là. Un récit dans lequel il évoque son histoire douloureuse avec sa mère.

Un ou plusieurs à la fois ?
Parfois deux. Certains livres peuvent supporter les transports, d’autres ont besoin de plus de calme.

Combien de pages avant d’abandonner ?
Une cinquantaine.

 

LES INDISPENSABLES

Le diable au corps  de Raymond Radiguet

Barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras

 Villa triste de Patrick Modiano

Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino

 Chien blanc de Romain Gary

Propos recueillis par Pascale Frey

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