La Petite femelle
Philippe Jaenada

Points
août 2015
744 p.  9,10 €
 
 
 
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coup de coeur

Pauline Dubuisson a connu, c’est le moins qu’on puisse dire, une vie plus que mouvementée. Née en 1927, elle est éduquée par son père qui lui inculque des préceptes très masculin (et encore heureux qu’elle ne fut la seule fille d’une fratrie de quatre, sinon cela aurait été certainement pire) pour l’époque : une certaine froideur, la primauté de la maîtrise de soi sur l’excès de sentiments… et la mère dans tout cela ? Une vraie femme modèle : effacée, transparente !

A l’âge de 14 ans, pendant la seconde guerre mondiale, Pauline est instrumentalisée par son père pour l’aider dans son entreprise de BTP, auprès de l’occupant allemand : elle est son porte-parole, son assistante… jusqu’à coucher avec un ou deux officiers allemands.

Absence de mère, omniprésence du père, tondue a la libération, Pauline a déjà engrangé son lot de difficultés. A cela s’ajoute la volonté de devenir médecin à tout prix, vocation testée, malheureusement pour Pauline, pendant la guerre, dans un hôpital tenu par les allemands. A la fin de la guerre, elle rencontrera toutefois Félix Bailly avec lequel elle entretiendra une relation de trois ans jalonnées de plusieurs demandes en mariage de la part de Félix, toutes plus ou moins directement repoussées (et non pas refusées) par Pauline : à l’époque, le fait de se marier signifiait pour une femme l’abandon potentiel de toute velléité professionnelle, ce à quoi Pauline ne peut se résoudre. La distance qu’elle impose alors à Félix aura raison de son amour qu’on pourrait penser presque à sens unique : sous la pression de ses parents qui détestent Pauline, Félix la quittera pour les bras de Monique avec laquelle il entretient un relation platonique pendant un an avant de lui proposer également le mariage, sans jamais totalement oublier Pauline qui l’a déniaisé.

Pauline va connaître d’autres aventures qui l’amèneront à finalement réaliser qu’elle aime Félix. Trop tard ? Peut-être pas à en croire des amis de Félix. Cet espoir qui va naître en Pauline sera un espoir fatal : elle va rejoindre Félix à Paris pour tirer cela au clair et savoir si elle a encore quelque chance avec Félix. A défaut, elle est prête à en finir avec la vie. En mars 1951, elle rejoint Félix chez lui et face à son indifférence menace de se tirer une balle dans le cœur. Félix se jette sur elle pour l’en empêcher, Pauline retourne le pistolet sur Félix et le tue de trois balles avant de tenter de suicider au gaz. Sa tentative avortera, elle sera arrêtée puis jugée pour l’assassinat de Félix qu’elle n’a jamais nié.

Je vous la fait aussi courte (et peut-être entachée de quelques approximations et oublis, Philippe Jaenada me le pardonnera, mais je ne peux pas recopier les 700 pages du livre !) mais juste que possible, le texte de Philippe Jaenada regorge d’une multitude de détails et le propos de ce billet n’est pas de vous narrer toute l’histoire de Pauline mais de vous donner quelques clefs.

Le propose de Philippe Jaenada n’est pas (du mois je le pense) de nous faire croire que Paulien Dubuisson est innocente, il ne faut tout de même pas exagérer, les preuves sont flagrantes. Philippe Jaenada s’intéresse d’abord à la jeunesse de Pauline de façon méticuleuse puis au déroulement de sa relation avec Félix Bailly pour démontrer point par point que si Pauline est loin d’être un ange de vertu, elle n’est ni la machiavélique manipulatrice ni la froide tentatrice que la presse et la justice vont présenter au grand public et qu’elle n’a jamais rien fait pour mériter l’acharnement dont elle l’objet.

Manipulation des faits, exagérations, mensonges, travestissements des témoignages, la justice et la presse (pas toute mais une bonne partie tout de même) ne reculeront devant rien pour humilier Pauline. Il suffit pour s’en rendre compte de se souvenir (comme le fait Philippe Jaenada) que les avocats de la partie civile ont aussi officié dans une affaire assez similaire et n’ont pas requis de la même manière, obtenant même, en étant dans le camp adverse, l’acquittement ! Rien, malheureusement, dans le livre de Philippe Jaenada ne permet de comprendre cette haine, cet acharnement, cette humiliation voulue par les avocats et assenée sans remord ni conscience sur Pauline.

Pauline sera condamnée à la prison à perpétuité, évitant de justesse la condamnation à mort. Elle sortira de prison en 1959 pour bonne conduite, changera de prénom, reprendra ses études de médecine, spécialisation pédiatrie, partira à Essaouira pour faire son internant, loin de Paris, suite à la sortie du film de Clouzot « La vérité » en 1960 qui s’inspire de son procès et de son histoire et qui la remettra sous les feux des projecteurs alors qu’elle cherche l’oubli et la tranquillité. C’est à Essaouira que Pauline finira par mettre fin à sa vie.

Au-delà du destin tragique d’une femme qui a du grandir trop vite, qui a dû lutter avec des armes d’homme dans un monde dirigé par les hommes (son père, l’occupant allemand, un futur mari, ses juges,…), Philippe Jaenada s’est livré à un travail (pour l’auteur) et soumet à un effort (pour le lecteur) de représentation gigantesque que tous les détails de la vie puis du procès de Pauline Dubuisson. A telle enseigne qu’on a l’impression que Philippe Jaenada a suivi lui-même Pauline, se cachant dans son ombre, dans les replis de son cerveau et de son âme, parfois petit diable, parfois petit ange, lucide et honnête, choqué par le traitement qu’elle a subi, fièrement, trop peut-être, presque provocatrice.

Alors certes, le livre fait ses 700 pages bien tassées, alors certes, le style de Philippe Jaenada est empreint souvent de parenthèses (certaines étant parfois imbriquées dans d’autres parenthèses (un peu comme ce que je fais là)), souvent de digressions, souvent de dérision tout autant pour décrédibiliser les attaques perfides et sous la ceinture des avocats ou des journalistes dont l’objectivité reste à trouver que pour lui-même souffler dans tant de noirceur, et ce style peut ne pas plaire à tout le monde, mais c’est un grand et long moment de journalisme autant que d’écriture. Ce n’est pas la moindre des prouesses de Philippe Jaenada que d’avoir réussi à faire de cette vie foisonnante et tragique un récit clair, complet, cohérent et jamais ennuyeux dans lequel le lecteur ne peut pas se perdre. Il suffit d’accepter que Philippe Jaenada nous prenne la main, s’accroupisse à côté de nous comme un père à côté de son fils, tende le doigt vers un point dans la rue qui s’éloigne de nous, de dos, et nous dise « regarde, mon petit, elle c’est Pauline Dubuisson et je vais te raconter son histoire ».

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