La place
Annie Ernaux

Gallimard
folio
mars 1997
155 p.  5 €
 
 
 
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coup de coeur

J’ai découvert Annie Ernaux lors d’une lecture de son roman « Les années » qui parle de l’absence de sa mère à l’occasion de l’intime festival à Namur l’an dernier.

L’écriture de « La Place » débute à la suite de la disparition de son père.

Quelle fut sa place dans sa famille ? dans la société ? dans le monde ? Quelle place ce père a-t-il réservé à sa fille ? La place du père, la place de la fille…. Chacun à sa place… Reste à ta place … lui disait-il souvent. Que cache ce titre ?

Il nous raconte la vie de ce père et la distance créée entre lui et sa fille. Un bel hommage.

Son père était un homme dur, il est décédé à l’âge de soixante-sept ans, il tenait un café-alimentation.
Toute sa vie il a essayé de s’élever, de fuir ses modestes origines.

Souvenez-vous des romans de Proust et Mauriac nous décrivant une époque qui nous semble bien lointaine, des conditions de vie difficiles, dures , c’est ce qui a bercé l’enfance de son père, paysan, charretier illettré. Alors lorsque son fils eut l’âge de 12 ans, ayant lui obtenu son certificat d’études, il fut retiré de la scolarité et placé comme garçon de ferme. Une bouche de moins à nourrir… et puis à quoi bon les études.

Après la grande guerre, il travaillera à l’usine, dans une corderie. Première victoire et sortie du premier cercle.

Il continuera son ascension sociale en reprenant un café-épicerie. Sa vie fut une lutte continuelle pour s’élever, ne pas retomber dans ses origines.

Lorsque notre narratrice s’élèvera à son tour en poursuivant ses études, elle prendra le relais du rêve de son père mais le fossé entre les deux mondes se creusera.

La communication sera plus difficile, le vocabulaire et le langage étant différents, chacun restera à sa place. Lorsque l’on fait partie des gens simples, on le reste en quelque sorte, il y a des choses qui ne trahissent pas…

Un roman dont l’écriture très dépouillée est la force . La plume est sobre, forte, pudique , toute en puissance. Un court récit magnifique où la honte d’avoir des parents simples se transforme en hommage, respect et fierté.

De jolies phrases.

Je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue de l’adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière, qui n’a pas de nom. Comme de l’amour séparé.

L’écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j’utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles.

Comme la propreté, la religion leur donnait la dignité.

Par le régiment mon père est entré dans le monde…un uniforme qui les faisait tous égaux.

Simplement parce que ces mots et ces phrases disent les limites et la couleur du monde où vécut mon père, où j’ai vécu aussi. Et l’on n’y prenait jamais un mot pour un autre.

Toujours parler avec précaution, peur indicible du mot de travers, d’aussi mauvais effet que de lâcher un pet.

Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancoeur et de chicanes douloureuses, bien plus que l’argent.

La peur d’être déplacé, d’avoir honte. Un jour, il est monté par erreur en première avec un billet de seconde. Le contrôleur lui a fait payer le supplément. Autre souvenir de honte : chez le notaire, il a dû écrire le premier « lu et approuvé », il ne savait pas comment orthographier, il a choisi « à prouver ». Gêne, obsession de cette faute, sur la route du retour. L’ombre de l’indignité.

Chaque composition réussie, plus tard chaque examen, autant de pris, l’espérance que je serais MIEUX QUE LUI.

Un jour : « Les livres, la musique, c’est bon pour toi. Moi, je n’en ai pas besoin pour vivre.

Peut-être sa plus grande fierté, ou même, la justification de son existence que j’appartienne au monde qui l’avait dédaigné.

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