Les hommes meurent, les femmes vieillissent
Isabelle DESESQUELLES

Pocket
août 2014
224 p.  6,95 €
 
 
 
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coup de coeur

Penser autrement le corps

Par cette série de portraits, collections d’instantanés, tranches de vies au féminin, Isabelle Desesquelles interroge « le temps de naître et le temps de mourir », mais surtout tout ce qui entre les deux fait l’existence d’une femme. Les joies et les peines, ce que l’on reçoit et ce que l’on transmet, ce que l’on découvre seule. Le plaisir et la peur, le mariage et l’enfantement. La condition féminine et les regards portés sur elle, qui varient selon l’âge et l’expérience. Etre une femme se décline de mille façons. Le corps des femmes et les blessures invisibles qu’y laissent les maris et les amants – les blessures, et les marques de bonheur aussi. Les corps des femmes qui résonnent des cris muets des hommes partis. La douleur des femmes, qui « traverse les siècles ».

L’esthéticienne supposée ne s’occuper que de l’enveloppe fait parler les épidermes. Elle fait partir les tensions avec les peaux mortes. « Mon métier, c’est d’aider les gens à comprendre qu’ils sont leur plus belle rencontre. » Son salon de beauté, les femmes y viennent pour bien plus qu’une épilation ou une manucure. Et elles savent pourquoi elles y reviennent.

Le huitième livre d’Isabelle Desesquelles, auteur notamment de Fahrenheit 2010 et de Quelques heures de fièvre, est une invitation réussie à penser autrement le corps et à replacer l’amour au centre de l’existence.
Un roman choral qui, tout en donnant à entendre des voix singulières, tend à l’universel. L’éternel féminin, dit-on.

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Portraits de femmes

Il y a quinze ans, Alice a créé l’Eden, son institut de beauté. L’Eden, ce n’est pas un institut comme les autres, on y vient pour Alice qui surnomme ses clientes « Les plus belles femmes ».
L’Eden déménage aujourd’hui, en face, dans la maison d’Eve. Eve, disparue il y a quinze ans en laissant une lettre; elle est aujourd’hui bien présente encore.

Tout à l’heure c’est quatre générations de femmes de la famille d’Eve qui se réuniront à l’Eden.
« Dix femmes. Dix vies entamées par l’absence d’une seule qui résonne tel un reproche. »

Alice nous dresse le portrait de chacune.

Le livre se construit par petits chapitres, petit à petit. Il nous mène sans chronologie dans le temps, dans la généalogie de cette famille.

Alice introduit chaque femme par un portrait rédigé sur ses fiches de « ses plus belles femmes ». Elle nous livre une introduction sur chacune. Ensuite chaque personnage s’adresse à nous pour nous raconter une partie de sa vie, ses peines, ses révoltes.

Au centre, Alice est le fil rouge et leur apporte à chacune, douceur, bien-être, réconfort, écoute…
On vient la voir pour réparer les bleus du corps, les bleus de l’âme. Confidente de la famille, multi-générationnelle.

De Judith, la dernière née en passant par Barbara ado de quatorze ans, l’ado rebelle; Manon l’anorexique, Caroline la quinqua trompée, Lili l’arrière-grand-mère à la libido exacerbée en manque d’amour de sa petite-fille et la plus tendre mamy Jeanne.

Des portraits, des vies où chaque génération nous parle des mêmes préoccupations : plaire, accepter son physique, sa sexualité et surtout la peur de vieillir.

L’importance d’aimer, comment faire lorsque l’homme de sa vie n’est plus là pour continuer.
Les liftings, le côté superficiel, plaire, paraître peut-être pour combler un amour que l’on n’a pu donner…
Le cycle de la vie, mais aussi l’absence et le poids des secrets.

C’est vrai que le décalage dans le temps, le manque de chronologie et l’approche des différents personnages m’ont un peu déstabilisée au départ. On manque un peu de repère mais au centre du roman, on s’accroche vite à ces préoccupations féminines universelles, le cycle de la vie.

Il est évident que l’absence d’Eve est présente pour chacune, la perte de l’amour de sa vie l’a poussée à abandonner la sienne et quinze après laisse sa famille en réflexion.

Une belle écriture agréable. Un bon moment grâce aux Editions Belfond

ma note 8/10

LES JOLIES PHRASES

Un mari infidèle ce n’est pas sa femme qu’il trompe mais lui-même.

J’étais comme une fleur coupée au milieu d’un bouquet dans un vase. Une à une, on jette les autres fleurs mais celle-là dure, et on la garde, persuadé qu’elle restera intacte. Le jour où elle commence à faner, on change l’eau, on ne voit pas les pétales tomber.

Oublier, juste oublier, parvenir à être une femme douce de l’intérieur, pas une femme d’intérieur qui s’enferme.

Pas question de descendre du ring, ce n’est rien d’autre, la vie, une bagarre.

Est-ce que les femmes sont comme moi ? Sommes-nous toutes un paquet de promesses qu’on ne tient pas ? Les biens carrossées vouées à être cabossées. On dit que passé quarante ans une femme doit choisir entre son visage et ses fesses…

Ses amants. Des allumettes à la lumière vacillante, à la chaleur furtive.

Quand ils sont petits, jusque sous la douche, on est une mère aux aguets. On devrait pouvoir se délasser sous un jet d’eau brûlant mais non on reste branché sur ses gosses, et on s’use. La machine à laver n’arrête pas de tourner, l’impression de passer soi-même par le programme essorage.

Les enfants sont des voleurs de silence.

C’est terrible de comprendre que l’on aime de moins en moins ses enfants, que leur père c’est du passé et qu’une soeur morte reste le seul qui compte. Eux m’ont encombrée, Eve me manque tout le temps.

Il perd son père, le tremplin sous les pieds de sa mère se casse, tous les ressorts, et elle tombe, elle tombe, elle n’en finit pas de tomber, elle ne se relève pas. Ma belle mère est plus envahissante morte que vive.

Vivre avec un sexe de femme, je dois essayer. Pour ne plus être quelque chose entre rien et rien, une fumée qu’on traverse.

Je ne fais plus entrer mes lunettes dans la salle de bains pour ne pas voir les détails.

On dit souvent que si un enfant s’engueule avec son père ou sa mère, c’est qu’il lui ressemble. Je ne veux pas me disputer avec ma mère ; je ne veux pas lui ressembler.

Tous l’appellent Lili, moi, je l’appellerais mère-grand. On aimera être ensemble, un petit-enfant et une vieille personne sont tendres l’un envers l’autre. Il est faux de dire que les vieux redeviennent des enfants, ils sont au bout du chemin eux, la différence est de taille.

Une photo immortalisera ce passage à témoin entre une petite droit sortie de la maternité et une vieille dame qui m’aura tenue dans son regard. Le temps de naître et le temps de mourir. Ce sera la seule fois qu’on se verra, personne ne le formulera mais tout le monde le pensera. Pour moi, elle restera la dame de la photo.

Dormir pour de bon, c’est tout ce que je veux, un marchand de sable qui me scellerait les paupières.

Ici les fleurs sont en plastique, elles dont comme nous, elles ne vivent pas, elles prennent la poussière.

Retrouvez Nathalie sur son blog 

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