Profession du père
Sorj Chalandon

Le Livre de Poche
août 2015
288 p.  7,90 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
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Mon père ce anti-héros

Profession du père, Sorj Chalandon Mon père ce anti-héros A l’école, au collège, dans la case « profession du père », Emile ne sait pas quoi écrire. Il n’est ni ouvrier, ni employé, ni carrossier, ni restaurateur ou boulanger. Et s’il raconte à son fils qu’il a été pasteur pentecôtiste, soldat, parachutiste, professeur de judo ou encore footballeur professionnel, il se définit désormais comme « agent secret ». En effet, le jeune garçon n’a pas un père comme les autres. C’est un homme qui le réveille au milieu de la nuit pour faire des pompes et porter des haltères, alors qu’il est asthmatique. Il veut l’entraîner à résister. Après le putsch, il ne supporte plus de Gaulle et vote pour l’Algérie française. Pourtant, avant, il appréciait le général, prétendant même avoir été son meilleur conseiller… Bientôt, il fait de son propre fils, de treize ans seulement, un petit soldat, lui ordonnant, sinon coups et blessures, d’écrire « OAS » partout –dans la rue, sur le tableau de la classe- et de déposer des lettres. Il lui fait croire qu’il est suivi, et fait naître la peur, l’angoisse et la colère dans le cœur du jeune garçon. Tous les soirs sans exception, Emile est battu. Battu pour ses mauvaises notes, certes, mais bien souvent, sans aucune raison. A la maison, c’est ce père terrible et inhumain qui règne et fait la loi. Sa mère n’a pas droit à la parole, et se contente de répéter à longueur de journée, comme une litanie : « Tu sais comment est ton père ». Vivant à trois, ne recevant jamais personne –jamais un membre de la famille, un ami, ne franchit le seuil de la porte d’entrée-, leur existence se résume à la tyrannie qu’exerce le maître de maison sur les deux autres, les soumis. Quand le jeune adolescent part le matin, ce dernier dort. Quand il rentre, il erre en pyjama. De son père, Emile
ne connaît que cette violence sourde, terrible. Une violence qui, surtout, ne dit pas son nom, mais que le lecteur découvre au fil des pages : la paranoïa, la folie, la démence. C’est dans une atmosphère intimiste et suffocante, d’une écriture troublante, que Sorj Chalandon nous raconte l’histoire d’un adolescent esclave, dépendant, entièrement à la merci d’un homme despotique et brutal. Il décrit avec force les brimades, les mensonges, la vie brisée d’un fils qui a voulu plaire à son père toute sa vie, et qui se rend compte, contemplant son tombeau, qu’il lui a volé sa jeunesse. Difficile de deviner où s’arrête la fiction, où commence la vérité… mais là n’est pas l’essentiel. En éclairant une partie de son enfance, l’auteur livre, dans ce septième roman, un passé encombrant et douloureux, qui génère le malaise. Il pose enfin la douloureuse question de la reconstruction : comment grandir, devenir adulte, et même se marier et avoir un enfant, après « ça » ? Après les mensonges, les lubies, les mauvais traitements ? Au plus près des mots, de leur pouvoir indicible, Sorj Chalandon fait le portrait d’un père affabulateur, image vacillante à laquelle il ne peut se rattacher, mais qui le hante encore cinquante ans plus tard. C’est face à son tombeau qu’il parvient peut-être, à enterrer et faire le deuil d’une enfance complètement ravagée.

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 Les internautes l'ont lu

COUP DE POING

Coup de coeur et mal au coeur. Voyage au coeur de la folie d’un père, de l’indifférence d’une mère elle même meurtrie, envie de pleurer, de crier de rage  » mais vas t’en bon sang, prend ton fils sous le bras et fuis ce monstre ». Mais non, elle restera là et heureusement l’enfant ne sera pas complètement bousillé puisqu’il nous raconte son histoire incroyable. A lire si vous avez le moral sinon attendez un peu.

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coup de coeur

Entre cruauté et folie.

Un roman intime et sensible, sur l’enfance brisée face aux vexations, aux humiliations d’un adulte toujours idéalisé, celui qui transmet son nom : LE PERE. Un roman touchant et troublant car le père en principe protège. Emile, enfant rachitique et souffreteux est très isolé dans un appartement exigu où l’armoire ancienne est sa maison de correction dans laquelle il purge sa peine, tel un condamné. Un huis clos où la liberté d’expression est inconcevable : la peur et le silence s’installent. C’est l’enfer, Emile idéalise ce père et conforte sa folie, sa mythomanie en reproduisant ce même schéma tyrannique et dictatorial sur Luca son camarade de classe. Mais les jeux d’enfants vont aller trop loin. Une lente descente ou la mère est un témoin silencieux. Ce silence alors que tout est cri. Elle ne s’oppose pas, elle minimise toujours : « tu connais ton père… » Merveilleux rôle de femme impuissante et pourtant nourricière. L’auteur décrit avec humour la cuisine, son refuge, il ne peut pas lui en vouloir. Victime elle aussi, incapable jusqu’à la fin de mettre des mots sur la démence de son époux. La faculté de construire sa vie alors que les racines sont absentes. Un hommage à un père qui sait tout faire grâce à la folie, sauf d’être père. Un véritable coup de cœur qui est un hymne à la vie.

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coup de coeur

Mon père, ce héraut (entre autres!)

J’ai d’abord eu beaucoup de mal avec ce livre que j’ai failli refermer plusieurs fois tellement le récit des brutalités qu’a subies ce petit garçon était insoutenable. Probablement parce que j’ai un fils de cet âge là, je ne pouvais m’empêcher de me projeter…J’ai mieux respiré quand Emile a grandi, j’ai réussi à profiter pleinement du style admirable de l’auteur et nous assistons là à une magnifique résilience.. Les trente dernières pages m’ont définitivement réconcilié avec ce livre. La scène du récit fait à l’équipe médicale est un grand moment et la dernière scène est un morceau d’anthologie. Un très beau livre.

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coup de coeur

un récit en équilibre entre rire et larmes

Difficile de parler de ce roman sans en atténuer la beauté, alors je vais essayer de faire court.

On suit le quotidien d’Emile Choulan, à différents moments de sa vie. Il évoque ses souvenirs d’enfance à travers des anecdotes. Notamment concernant son père homme fantasque, violent qui s’est construit sa propre vision de la réalité. Sa mère est présente mais elle n’ose rien dire ou faire devant son mari. Et le petit Emile grandit dans cet univers particulier, il est fasciné par son père qu’il admire. Il adore aussi dessiner et son carnet à dessin est son bien le plus précieux. Il va être embarqué dans une série d’évènements par son père.

On suit l’évolution des grands évènements historiques de l’époque : le pouvoir de De gaulle ; la guerre d’Algérie, le putsch des généraux, l’attentat contre De gaulle, la visite de Kennedy à Paris.

Le ton est à la fois léger et grave, car c’est le regard du narrateur enfant qui nous conte son histoire, avec délicatesse, précision, humour. Le lecteur lui voit la vérité et il est d’autant plus touché par cette histoire.

J’ai apprécié la construction du récit de nos jours à ces va et vient dans le passé, le personnage d’Emile, sa fragilité et sa volonté de faire plaisir à son père. Ce père dont la figure tyrannique domine la famille et notamment sa femme qui ne cherche pas à le contredire. Le récit est très émouvant d’autant qu’il s’inspire de la vie de l’auteur. On a l’impression d’être au cœur de la vie de cet appartement parisien et de cette folie. La partie à l’âge adulte est aussi très intéressante, le ton parfois ironique est un régal à suivre. La frontière entre fiction, réalité, mensonge, folie est bien présente dans le récit. On alterne des passages très drôle avec des passages plus glaçant, un très joli numéro d’ équilibriste que réussit l’auteur. Nous émouvoir sans tomber dans le pathos, nous fait rire sans trahir le récit et ses ombres, ses voix intérieures liées à l’asthme d’Emile.

On a envie d’aider le narrateur, de le protéger, un très beau livre en tous cas qui donne à réfléchir jusqu’où peut on aller par amour, comment vivre cette folie et cette violence au quotidien ?

Un livre intéressant et vibrant qui se lit avec tendresse, bienveillance, révolte parfois et qui touche aux cordes sensibles de l’enfance. N’hésitez pas ouvrez ce très beau roman et découvrez la profession du père
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Sorj Chalandon nous conte l’histoire d’Emile Choulans, en réalité c’est sa propre enfance qu’il nous offre dans ce récit magnifique et emprunt d’émotions.

Enfant, en début d’année scolaire, il était toujours demandé : nom, prénom, profession du père. Sorj ou Emile ne l’a jamais connue. C’est troublant et difficile d’imaginer cela. Pour Emile, son père était tour à tour ; chanteur, pasteur pentecôtiste, agent secret, prof de judo, membre de l’OAS, … metteur en scène.

Cela se passe dans les années soixante, de Gaulle a « trahi » les français en rendant l’Algérie. Son père vit par procuration de papier, il vit l’actualité de l’intérieur, il affabule et manipule son fils.

Emile a foi en son père, il a besoin d’être aimé, de lui plaire, d’avoir sa reconnaissance et c’est pourquoi il se laisse malgré lui emporter dans le délire paternel. Il participera avec lui à diverses missions de l’O.A.S., il déposera des lettres de menaces, inscrira le nom de l’OAS à divers endroits, cachera des résistants, il sera réveillé en pleine nuit pour parfaire son entraînement (marche forcée dans sa chambre, pompes…), un entraînement frisant la torture, convaincu qu’il faut une certaine condition pour mener à bien la mission : tuer le général de Gaulle.

Son père l’emmènera dans sa névrose, son délire et Emile complètement sous le joug entraînera à son tour son ami Luca.

Vivre ces scénarios aurait pu être formidable, magnifique , son père mettant en scène son délire et entraînant au sens propre comme au sens figuré son fils dans la vie d’agent secret mais malheureusement il y a cette violence cette cruauté, punir son fils avec un martinet acheté de son propre argent, l’enfermer dans un placard, d’atroces punitions, exercices physiques…. Ce fantasque manipulateur, tyrannique et pervers…

Ajoutez à cela la passivité de sa mère, le déni, l’isolement car ils vivaient en vase clos, comme une secte, jamais personne ne leur rendait visite, c’était une prison même les grands-parents ne venaient pas….

Que d’émotions contradictoires à la lecture de ce récit. On passe grâce à l’imaginaire débordant du père, à vivre des choses incroyables, des situations frisant la comédie à la tragédie causée par cette violence, cette domination du père névrosé par le mensonge, la maltraitance.

Les mots sont justes, percutants. C’est l’écriture de l’espoir, de l’amour,de l’admiration mais aussi de la peur et de cette soumission. L’écriture est intime, puissante, simple et sincère. La force du récit pour moi est que c’est le regard porté par l’enfant qui nous est conté et non par l’adulte qu’il est aujourd’hui.

Ce récit semble incroyable, j’aurais tant aimé une rébellion. A défaut, Emile s’échappe grâce au dessin et la peinture aveuglé par l’amour des siens. Troublant, touchant, magnifique.

Ma note : 9/10

Les jolies phrases

On parle des choses tant qu’elles n’arrivent pas. Et lorsqu’on est sur le seuil, au moment de faire le pas, on se tait.

Je pleurais de douleur après les coups de colère, aussi. Mais jamais de détresse. Le désespoir ne faisait pas partie de la sanction.

Il riait. Ce médecin était un charlatan. Incompétent comme tous les médecins, menteur comme les journalistes, voleur comme les ministres.

Elle m’observait en secret. Une tristesse, une pluie d’automne, une colère brutale, une émotion trop vive, une larme de Noël, un regard battu. Elle leur en voulait de m’avoir abîmé.

Personne d’autre que le père et le fils. Le chef et son soldat à l’heure de la défaite.

Et il me faisait payer ce que je n’étais pas.

Ils m’avaient oublié. Ils avaient laissé ma vie derrière eux.

La peur lui était étrangère, dégoûtante. Il avait de l’aversion pour les faibles, pour tous ceux qui baissaient les yeux. Et voilà que ses mots transpiraient l’épouvante. Quelque chose était en train de naître, qui ressemblait à sa fin.

Pour la première fois, j’ai fait l’inventaire de ma petite vie. Mes vêtements tenaient dans une penderie et trois tiroirs. J’avais deux paires de chaussures, un manteau, quelques livres et une valise. Je n’avais plus rien, ni personne.

Ma mère me regardait. Elle ne disait rien. Elle écoutait le drame de sa vie comme on assiste à l’accident d’une autre.

Quelque chose avait changé dans la pièce, dans mon coeur. Une fenêtre invisible s’était ouverte, laissant entrer le vent, l’hiver, le froid, le soulagement, surtout. J’avais la main sur mon inhalateur, mais je respirais normalement. J’avais mis des mots sur mon silence. Et j’avais été entendu.

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