Une sainte
Emilie Turckheim (de)

Le Livre de Poche
août 2013
240 p.  6,60 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Quand je serai grande, je serai sainte

Un « univers ». Que l’on reste à l’extérieur ou que l’on s’y engouffre avec délice, l’univers d’Émilie de Turckheim se dresse comme un château féérique et farfelu dans l’horizon de la rentrée littéraire.

De contes de fées, il en est plus ou moins question, mais ce sont surtout les miradors, nos donjons contemporains, qui peuplent le panorama d’ « Une Sainte ». Grandie dans ce qu’un romancier du réel aurait décrit comme une famille dysfonctionnelle (mère à l’HP, pension de jeunes filles), « l’héroïne », c’est son nom, a toujours su « qu’elle serait sainte ». Toutes les semaines, elle rend visite à sa mère, fait semblant de croire avec elle en l’existence de gens payés pour peindre en vert l’herbe de la pelouse, et dérobe au passage quelques billets planqués dans l’armoire de la salle de bains. Après son école de secrétariat, elle mène une existence atone dans son appartement accroché, « tel un frère siamois », à l’appartement identique qu’occupe le petit vieux d’à côté. Aucune béatification en perspective. Un drame mêlant un chat et un mauvais calcul de rations alimentaires plus tard, l’héroïne se décide à devenir visiteuse en prison ; elle rencontre Dimitri. Chaque jour elle vient écouter Dimitri et chaque jour elle croit se rapprocher de la sainteté. Puis un jour Dimitri sort de prison. L’héroïne l’attend de pied ferme – elle a changé les draps et rempli le garde-manger –, mais rien ne se passe comme prévu : Dimitri ne manifeste aucune reconnaissance envers son ange gardien. En parlant d’ange, l’héroïne depuis quelques temps sent pointer en haut de ses omoplates deux étranges protubérances… Ange, peut-être, mais pas bonne poire, l’héroïne trouve un moyen de réexpédier Dimitri d’où il vient, déchaînant une cascade d’événements tous plus ébouriffants les uns que les autres.

Il y a l’histoire, cette locomotive effrénée qui traverse le roman à vitesse grandissante et dont certains craindront qu’elle finisse par dérailler (trop de coups de théâtre, trop d’absurde, trop de fantastique, geindront les plus bégueules). Mais il y a surtout le reste, cet « univers » insaisissable sur lequel semblent glisser tous les adjectifs qualificatifs. Une écriture au présent maîtrisée à la syllabe près, des flashes d’images millimétrées qui s’accrochent à votre mémoire rétinienne, et tout un labyrinthe de symboles agissant comme autant de courts-circuits narratifs. Réécriture biblique, pot-pourri de contes de fées, parodie de tout. Voyez Marie, l’amie d’enfance, aspirante actrice condamnée à faire du porno, fécondée par miracle de jumelles qui serviront de casse-croûte à deux serpents exotiques.

On peut s’intéresser à ce qu’Émilie de Turckheim nous dit de l’altruisme hypocrite de nos sociétés judéo-chrétiennes, à ce que sa propre expérience de visiteuse de prison nous apprend d’un système opaque par essence. Mais impossible de rester hermétique à la fertile folie de son univers radieux et désespéré.

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