Yo-Yo
Steinunn SIGURDARDOTTIR

¨Traduit par Catherine Eyjólfsson
10 X 18
octobre 2013
181 p.  6,10 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

Le yo-yo de l’âme

Le remède par le mal, Martin Montag connaît. Prodige des rayons laser, il joue au Jedi contre les tumeurs qu’il voit défiler dans l’hôpital berlinois où il officie comme médecin radiothérapeute. La trentaine, une femme qu’il adore, un footing tous les matins et un train de vie plus que privilégié. Que demander de plus ? Martin ne veut pas d’enfant, jamais-au-grand-jamais, et sa femme l’a accepté. Dans le champ de la médecine, donc, Martin excelle à vaincre le mal par le mal. Mais dans celui de l’âme ? Le jour où il visualise sur la radio d’un patient une petite tumeur arrondie en forme de yo-yo, un mauvais courant d’air s’engouffre dans son cerveau barricadé. Et les souvenirs se bousculent. Un yo-yo rouge… dans la main velue d’un homme… au fond d’un parc… en rentrant de l’école… il y a si longtemps. Si longtemps et pourtant, quand l’enfant devenu adulte croise l’homme devenu vieux, Martin Montag comprend que depuis ce jour, il n’est plus qu’une moitié d’homme. L’autre moitié est un robot très perfectionné qui feint à merveille l’amour, le plaisir, le désir et la joie. Une fois recomposé le puzzle du passé, deux chemins s’offrent à Martin : se laisser vaincre par le traumatisme, ou vaincre le traumatisme en utilisant la brutale réapparition de son ancien agresseur. Accompagné de son ami Martin Martinetti, ex-clochard français attiré par les vertus amnésiques des rues de Berlin (lui aussi traîne un secret), Martin Montag accepte finalement d’interrompre sa fuite en avant, de s’asseoir au bord de la route et d’admettre qu’il a mal.

Steinunn Sigurdardóttir vient d’un pays étrange. Sans blague, me direz-vous. N’empêche, l’information a son importance : on a envie de croire que la bizarrerie si poétique de ce court roman-météorite a quelque chose à voir avec l’Islande, ce bout de terre à quelques encablures du cercle polaire dans lequel l’auteure a grandi. Sigurdardóttir a choisi de parler de pédophilie et elle ne le fait d’aucune des façons auxquelles on aurait pu s’attendre. Ni tire-larmes pesant, ni photographie sociale, ni récit voyeur, son « Yo-yo » est aussi ondulant, aussi mobile et chatoyant que l’objet désigné par son titre. On passe de l’émotion à l’humour, du récit potache aux souvenirs à la limite du supportable ; la plume de Sigurdardóttir semble virevolter sur les différentes facettes de son histoire avec une légèreté qui ébouriffe et ravit. Mais légèreté n’est pas désinvolture, bien au contraire : ici, la légèreté permet de laisser libre cours au processus psychanalytique mis en scène tout au long du roman. Car il est bel et bien question de cela, dans ce texte aux apparences de conte excentrique, où tous les personnages sont doubles (à commencer par le héros, affublé d’un alter ego aussi fantasque que Martin est sérieux) et où chaque objet endosse un rôle symbolique. À travers son écriture, Steinunn Sigurdardóttir démontre que les associations d’idées les plus anodines révèlent les vérités les plus profondes. Et son roman, d’une subtilité rare, parvient à brosser l’air de rien un portrait bouleversant et tragique qui ne referme jamais la porte à l’espoir.

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