En route vers Okhotsk
Eléonore Frey

traduit de l'allemand par Camille Luscher
QUIDAM EDITEUR
made in europe
février 2018
152 p.  16 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La vie est un voyage

Un point minuscule sur la carte de l’Extrême-Orient russe, aux confins de la Sibérie, voilà Okhotsk : un lieu à la marge, au milieu de nulle part. Pourtant, la seule évocation de ce toponyme suscite des rêves de départ et va changer la vie de quatre personnages en quête d’ailleurs. Dans le roman d’Eleonore Frey, « En route vers Okhotsk » est un best-seller écrit par un certain Mischa Perm. Ce dernier, qui se fait appeler Robert, clame sa mélancolie dans un bistrot où il rencontre Sophie, libraire et mère célibataire solitaire ; il lui propose tout à trac de l’emmener à Okhotsk. Quant à Otto, le médecin, il est entré dans la librairie de Sophie, attiré par le livre de Robert/Mischa Perm. Transformé par sa lecture, il n’a plus qu’une idée en tête, partir à Okhotsk ; pour cela, il fait une demande d’affectation à bord d’un navire d’expédition. Enfin, Therese est la voisine de palier de Robert, amoureuse et un peu folle, qui épie les allées et venues de l’immeuble pour combler son vide intérieur.

Partir, disent-ils

Dans ce roman, petit bijou de sensibilité et de finesse, nos quatre personnages se cherchent, se croisent, se manquent. A chacun son Okhotsk : pour Sophie, c’est l’aventure avec Robert ; pour ses enfants, c’est l’Amérique où vit leur père, et pour la voisine, c’est l’appartement d’à côté. Selon Lao-Tseu, dans le voyage, l’important n’est pas le but mais le chemin ; au fond, peu importe Okhotsk, l’idée même du départ suffit déjà à changer les habitudes, à faire des choix, décider de ce qu’on laisse sans savoir ce qu’on va trouver. C’est aussi une recherche d’idéal, qui ne va pas sans risque de dissolution et de perte de soi. Dans « Anywhere out of the world », l’un de ses « Petits Poèmes en prose », Baudelaire écrivait que « Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit » ; ainsi, l’aspiration à la bifurcation est déjà une voie de guérison, un espace de liberté. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le centre de l’action soit ici une librairie, lieu par excellence de l’évasion par la littérature, dont le magnifique roman d’Eleonore Frey est une illustration parfaite. Largement reconnue en Suisse, l’auteure méritait enfin de l’être en France, notamment grâce à la belle traduction de Camille Luscher. Une pépite sur le pouvoir des mots, de l’imagination et de la fiction.

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