Ces rêves qu'on piétine
Sébastien Spitzer

l'observatoire
aout 2017
 20 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur nuit blanche

Premier livre très maitrisé

« Un pas. Une pierre. Un chemin de poussière. Un printemps qui bourgeonne. » Le rythme de cet extrait me fait penser à la chanson de Moustaki ; malheureusement, là s’arrête la ressemblance.
En effet, ce chemin sur lequel Aimé est une énième descente en enfer. « Il sait qu’ils sont des milliers comme lui, à arpenter les routes des territoires de l’Est. Des cohortes de guenilles maculées de mois de crasse, tiraillées par le manque. La faim, la soif, les proches, l’avenir. Des cadavres en mouvement. » Judah, Féla, Ava et tant d’autres marchent, marchent à la rencontre de leurs morts pour beaucoup.
L’armée allemande est en déroute, les survivants des camps sont brinquebalés pour un ailleurs sans espoir. Aimé a récupéré sur le cadavre d’un comme lui, caché dans la doublure de sa veste. « La mémoire des camps. Témoin écrit de leurs vies effacées. »
Ce rouleau passe de mains en mains, toujours caché, toujours gardé, comme les coureurs se passent le relais. Dedans, les lettres désespérées d’un père juif à sa fille, témoignage de ce qu’ils ont vécu.
Cette fille est…. Magda, épouse Goebbels. Présentement, elle assiste, au Konzerthaus à un ultime concert, le Crépuscule des dieux. Maintenant, ils vivent dans le bunker, dans Berlin bombardée. Ils sont tous là les têtes mal pensantes du Reich, comme des rats.
« A quarante-cinq ans, deux mariages, sept enfants, trois villas, deux berlines, dont une somptueuse Hispano-Suiza, une cuisinière, des caves où vieillissent les pus grands crus d’Europe, des films par dizaines tournés tout à sa gloire, … Elle est même passée maître dans l’art de fourber son monde, de duper les plus simples, de berner les plus glorieux, trigaudant des faussetés pour préserver sa place, son profit, son mieux-être. Puissante et respectée. »
« La gloire l’a portée quinze années durant ». Elle s’est habituée à cette gloire, elle, la première femme du Reich, car l’autre, celle que le Führer a épousée juste avant de mourir ne compte pas pour Magda. Mais toi, alors, c’est qui ton Christ ?
C’est le Reich, ma chérie. Le Reich a fait de nous des reines, des princes et des princesses. »

« Le gauleiter espérait une famille nombreuse.
Magda voulait des égards.
Il voulait le triomphe
Elle voulait qu’on la regarde.
Il avait le pouvoir.
Elle gomma son passé.
Il découvrit l’existence de Viktor.
Elle laissa faire.
Il découvrir l’identité de son père.
Elle nia. Fit nier sa mère.
Il devint taciturne.
Elle sombra dans une profonde atonie.
Leur pacte était fragile. »
Fille abandonnée, mise à l’orphelinat de Vilvoorde, dans la misère et la promiscuité. « Choisir c’est renoncer. Magda avait choisi » ; oui elle a choisi de sacrifier ce père, obligé sa mère à le renier pour sa gloire à Elle « Q’importe tant qu’on la reconnaissait, lui cédait le passage, lui offrait des fleurs et des sourires et tout ce qu’elle voulait. Tout ça la faisait jouir, bien plus sûrement que lui, bien mieux que dans un lit. »
Telle est la fille de cet homme mort dans un camp qui lui a écrit des lettres jamais lues ou reçues par sa destinataire.

Une autre femme se retrouve détentrice du rouleau de cuir si important. Elle s’appelle Féla. Enfermée dans un camp parce qu’elle cherchait l’homme, le soldat allemand qu’elle aimait. A trop énerver une colonne allemande, elle se retrouve dans un camp, dans un bordel à militaires où elle met une fillette au monde.
Quand les soviétiques avancèrent, elle est dirigée dans un autre camp et « fut reléguée par les anciennes du baraquement à la plus mauvaise place, celle du fond, tout en bas, près des filles dysentriques qui lui coulaient dessus. La pute du camp d’avant, l’ancienne protégée avec se robe et ses talons, était mise à l’amende. La petite la suivit. Elle était la bâtarde. La saleté. Le rejeton des soldats allemands. Quand venait l’heure de la soupe, elles étaient poussées devant mère et fille. » Le haut de la marmite ne contenait que de l’eau, les morceaux et légumes étaient au fond. Fela découvre que son passé, bien que contraint, la condamnait à une dégradation pire car ce sont les prisonnières elles-mêmes qui décrètent leurs chutes. C’est donc beaucoup plus dur. « Le dos tourné des survivants est bien plus douloureux que le mal des bourreaux. L’injustice altère. L’ignominie réduit. La soumission gangrène. Fela allait vivre les pires mois de sa survie. ». Elle tiendra pour et par sa fille jusqu’à la rencontre avec les américains.
Deux femmes qui, à priori, n’auraient jamais dû connaître le destin qu’elles ont suivi.
En effet, Magda n’est pas de race pure puisque son père est juif alors que Léa est parfaitement aryenne. La première a organisé sa vie par calcul et ambition, l’autre s’est laissée avoir par l’amour. L’une a gravi toutes les marches de son ambition, l’autre a dégringolé toutes les marvhes de l’inhumanité. L’une a vécu dans la lumière et la gloire approchant son « soleil », l’autre était dans la nuit noire du désespoir. L’une a couché et épousé par calcul et ambition, l’autre parce que c’était cela ou le crématoire.
Magda s’est servie des hommes pour assouvir sa soif de pouvoir son désir d’être regardée, crainte. Léa a été utilisée par les hommes pour satisfaire leurs libidos, leurs besoins bestiaux.
Malgré le désir d’extermination des nazis, les survivants des camps de la mort sont là pour témoigner et Ava est l’ultime dépositaire du rouleau de cuir. Recueillies par les américains. Féla meurt et Ava reste seule sous la protection de Gary, un conducteur de jeep américain et Lee reporter de guerre.
Les rêves de millions de déportés, de soldats morts ont été piétinés, mais dans leurs combats, je crois qu’il y a toujours eu une infime lueur de cet espoir qu’Ava porte en elle.
Sébastien Spitzer a fait un travail de recherches absolument remarquable. Par son talent et son écriture, il a su mettre du mouvement, rendre vivants les personnages de son roman. Il nous fait toucher du doigt la réalité historique avec des phrases puissantes, évocatrices, réalistes et par là, dures … J’ai apprécié le style de l’auteur. Un premier livre maitrisé, une belle écriture ; un coup de cœur, coup de poing.
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coup de coeur

Ces rêves qu’on piétine

Quel premier roman magnifique que celui de Sébastien Spitzer. C’était un de mes premiers achats de la rentrée littéraire et je l’ai enfin sorti de mon immense Pal à l’occasion d’une rencontre au salon de Lire c’est libre à Paris fin janvier.

Sébastien Spitzer s’est arrêté sur les derniers jours de la seconde guerre mondiale et de la fin de la domination des nazis, en particulier sur une femme et pas la moindre car elle était la première dame de la grande Allemagne, j’ai nommé Magda Goebbels.

L’histoire, nous la connaissons, Magda se terre dans le bunker, dernier refuge d’Hitler et de ses proches, elle choisira pour la grandeur de l’Allemagne de supprimer ses enfants à la gloire du pays pour leur éviter le monde qui survivra après le troisième Reich.

En parallèle, les survivants des camps de l’enfer sont sur la route, ils marchent, s’accrochent à leur vie, résistent. Parmi eux, une petite-fille – Ava – née dans les camps, sauvée par la bienveillance de sa mère Fela qui l’accompagne et surtout par le fait d’une infirmière Stanislava Leszczynska à qui elle doit son prénom.

Ava est dépositaire de cette tragique mémoire, elle s’accrochera à ce qu’il reste de ses rencontres : un rouleau de cuir contenant des témoignages des survivants des camps mais surtout des lettres d’un certain Richard Friedländer, un père raflé parmi les premiers juifs. Tout aurait pu être différent pour lui si sa fille avait parlé, plutôt que de garder le silence. Sa fille : Magda Goebbels !

C’est un premier roman magnifique, une fiction fidèle à l’Histoire qui contribue au devoir de mémoire. Ce livre m’a touchée au plus profond de moi. Il dégage une charge émotionnelle énorme et suscite pas mal de réflexion quant à la psychologie de Magda.

Comment peut-on condamner ceux qui vous ont forgé ? Par ambition, pour le paraître ? Qu’est-ce qui pousse Magda à tant d’horreur, de froideur ? La fidélité à une idéologie ?

Je me suis posé beaucoup de questions.

Et puis, simultanément à cette noirceur, il y a l’histoire d’Ava, la lumineuse Ava portée par la vie après tant d’horreurs.

J’ai posé le livre à plusieurs reprises en cours de lecture, l’émotion prenant le dessus. La plume est magnifique, poétique. Les personnages sont très bien travaillés. C’est sans conteste une plume à suivre. Un récit magnifique que je vous conseille vivement. Laissez vous emporter par ces rêves qu’on piétine.

C’est un coup de ♥

Les jolies phrases

C’est la peur qui fait mal. La peur que la mort prenne son temps.

La révolution passe par les murs avant de gagner la rue.

La vie c’est la vitesse, le mouvement. La mort, c’est l’arrêt.

Plonger dans ce bunker. Se résoudre à la fin et se défaire de tout, tout ce qui avait fait d’elle une grande dame, respectée,exaltée, prise pour modèle par des millions de femmes. Magda n’aura plus de printemps, ni de villa, ni de jardin, ni de jasmin.

Dénombrer, c’est attirer le « mauvais oeil ». On ne dénombre pas les Juifs. On ne les désigne pas. Ils sont. Ils existent. Ils vivent. Les chiffres qu’on leur a tatoués sur la peau sont une désignation mortelle, un doigt comptable qui les livre à la mort. On ne compte pas les Juifs.

Elle lit des heures pour combler ces néants. Elle en a fait descendre des livres. Des caisses pleines. Pour se soûler de mots, d’autres mots que tous ceux qui l’entourent, que ceux des tables à cartes et du poste radio. Assoiffée de mots d’amour, de mots de mer, d’océan, de voyages. Des mots dans tous les sens et d’ailleurs d’où qu’ils soient. Elle enchaîne les volumes, comme de bons vieux alcools. Elle s’assomme.

C’est bien tout ce qui nous reste, les convictions, quand on n’a plus rien pour convaincre, pour rameuter les autres à soi.

C’est sans doute le propre des grandes civilisations que d’atteindre des sommets dans l’art de faire le mal.

Pas une fille. Pas sa fille. Dans ces camps de prisonniers-là, il n’y avait plus de mère, plus d’enfant, jamais de filiation. L’hérédité comme l’amour étaient proscrits. Ils n’avaient plus le droit d’être, ces rescapés.

L e dos tourné des survivants est bien plus douloureux que le mal des bourreaux. L’injustice altère. L’ignominie réduit. La soumission gangrène.

Elle va bientôt franchir la frontière qui sépare l’homme de l’animal. L’animal pris au piège se ronge le membre captif. Pas l’homme. Il attend qu’on le libère. Il peut se laisser mourir.

Ces deux imbéciles peuvent bien jouer les héros, ils sont solubles comme le sucre sur cette table. Et quand vient la défaite, les héros disparaissent, au profit des héros ennemis. Magda sait qu’il n’y a pas d’Histoire. Il n’y a que des victoires et des défaites, les récits des vainqueurs et l’oubli des vaincus. Memento mori. Tout passe.

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coup de coeur

Magda, une femme ambitieuse

Les orgues de Staline bombardent Berlin, dans le bunker sont terrés les derniers représentants du Reich, les membres du dernier cercle, des tableaux de maîtres sont accrochés au mur de béton. Magda assiste à la dernière représentation du philharmonique, Speer distribue des capsules de poison pour eux et pour leurs proches, au cas où…

Magda est une fille naturelle élevée par des soeurs dans un pensionnat en Belgique, une petite fille qui chaque soir jure qu’elle portera des belles robes, que son mari fera la pluie et le beau temps. Trentenaire divorcée, plein d’allant et sans contrainte, dans un meeting elle assiste à un discours enflammé de Goebbels, elle est tombe amoureuse, non pas de l’homme mais de ce qu’il incarne, devenir la première dame du Reich. Goebbels un nain à la gueule de rat qui traîne sa patte folle dans les coulisses des théâtres, dans les studios de cinéma en quête de proies pour assouvir ses vices sexuels.

Ils sont des dizaines de milliers lancés sur les routes de l’Europe,cohortes de guenilles maculées, survivants comme lui, Aimé avance un rouleau de cuir caché dans la doublure de sa veste, il contient des lettres enroulées mémoire des camps, témoin de leurs vies effacées, des mots écrits par des dizaines de mains.

La grange est fermée du dehors, c’est plein de paille, ça empeste l’essence, ils savent qu’ils vont brûler. Judah, n’a que 15 ans, il a repéré une fracture entre deux planches, Judah récupère un rouleau de cuir sur un corps qui entrave le passage et réussit à échapper au brasier en compagnie d’une jeune femme Fela et de sa petite fille Ava , née dans un camp une bâtarde rejetée, un rejeton de soldat allemand. Une fenêtre qui vole en éclat, des centaines de plombs fendent la boite crânienne de Judah. Fela avec sa jambe gauche menacée de gangrène et Ava reprennent la route avec les précieuses lettres. Les américains, un camion avec une croix rouge, un homme en blouse blanche « putain d’infection, jamais vu une jambe dans cet état. » Eva est maintenant toute seule, dernier maillon d’une chaîne de ceux qui ont transporté le rouleau de cuir.

Parmi toutes ces lettres, celles écrites dans le camp de concentration de Buchenwald par Richard Friedländer commerçant juif, l’amour absolu et à sens unique d’un père pour sa fille adoptive Magda…

Sébastien Spitzer nous fait vivre l’intimité des dernières heures d’Hitler enfermé dans son bunker à travers le portrait d’une femme ambitieuse, mariée à Goebbels, l’âme damnée d’Hitler. Toute la famille Goebbels sert la propagande nazie et donne l’image parfaite d’un ménage modèle, avec Hitler comme bon oncle. Elle n’hésitera pas à accomplir l’impensable, empoisonner ses six enfants.

Avec une écriture réaliste et épurée il alterne la fin du Reich avec la lutte pour la survie des passeurs d’Histoire, dépositaire de la mémoire de l’horreur des camps de concentration. L’auteur dans une Postface éclaire parfaitement son récit entre fiction et réalité. Un premier roman tout à fait remarquable.

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Le dernier maillon de la chaîne…

Il y a l’Histoire que l’on apprend à l’école : les dates, les événements, les noms des hommes illustres et puis celle que l’on découvre plus tard lorsqu’un roman décide de la rendre vivante, d’incarner ces femmes et ces hommes qui ont fait l’Histoire, d’imaginer leurs pensées, leurs doutes, leurs souffrances et c’est précisément cela que Sébastien Spitzer réussit à merveille dans son premier roman : Ces rêves qu’on piétine.
Les premières pages s’ouvrent sur une longue marche, une parmi tant d’autres, une marche de la mort… Terrible fin de guerre, la Seconde… « Des cohortes de guenilles maculées de mois de crasse, tiraillées par le manque. La faim, la soif, les proches, l’avenir. Des cadavres en mouvement. »
Aimé marche. Il vient de Stöcken (Hanovre). Il porte un rouleau de cuir caché dans sa veste : « La mémoire des camps. Témoin écrit de leurs vies effacées. » Ce rouleau qui renferme des lettres et des témoignages sera le fil conducteur du roman, transformant les différents protagonistes en maillons d’une chaîne, chacun se relayant pour que la vérité soit sue et que rien ne soit oublié. Au bout de cette chaîne humaine, il y a une femme à qui sont destinées ces lettres, pauvres missives d’un père juif désespéré à sa fille qui jamais ne s’autorise à penser à lui. Cette fille se nomme Magda. Nom de famille : Goebbels.
1945, c’est la fin de la guerre, Berlin est assiégée et les hauts dignitaires nazis se planquent au sein de leur bunker dans les jardins de la chancellerie du Reich. Ils ont compris que c’était fini : Magda et Joseph Goebbels sont là avec leurs six enfants Helga, Hildegarde, Helmut, Holdine, Hedwig, Heidrun. Sont présents aussi Eva Braun, Adolph Hitler, son secrétaire particulier Martin Bormann, un chargé des communications téléphoniques Rochus Misch, un médecin, le docteur Stumpfegger, du personnel administratif, des militaires, des cuisiniers et la chienne d’Hitler, Blondi… Enterrés sous une épaisse couche de béton…
Sur les routes, les survivants des camps par milliers continuent d’avancer. Les nazis souhaiteraient les faire disparaître au plus vite afin que personne ne puisse témoigner… Certains tombent d’épuisement, d’autres sont fusillés ou brûlés dans des granges. Les corps sont au plus vite jetés dans des charniers. L’horreur des camps se poursuit sur les routes…
Ava, née en camp au block 24-A, et sa mère luttent, elles n’en peuvent plus…
Le récit de Sébastien Spitzer passe d’un groupe à l’autre : d’un côté les assassins, les bourreaux qui sentent que leur heure est venue, qu’elle est imminente et qui imaginent déjà la forme que cette mort va revêtir, de l’autre, une lutte de chaque seconde pour survivre. Triste contraste. Des deux côtés, pour des raisons évidemment bien différentes et non comparables, pauvre humanité…
Dans le bunker, l’auteur s’intéresse surtout au personnage de Magda Goebbels dont il retrace l’existence. On la découvre alors qu’elle assiste au dernier concert du philharmonique organisé par son vieil ami Speer  et écoute le Crépuscule des dieux. Elle est rapidement conduite dans le bunker. La situation est incompréhensible pour elle. La fin du Reich : simplement impossible. Ce serait la fin d’un monde dont elle est la première dame, une reine « puissante et respectée », au fait de sa gloire, au paroxysme de son ascension sociale. Elle se croit au contraire « loin des croche-pieds du sort ». Quelque chose va se produire, la situation de l’Allemagne va s’inverser, forcément… Enfermée entre ses quatre murs de béton, elle pense à son destin que le lecteur découvre alors que cette femme fait le point sur sa vie.
On n’imagine pas forcément qu’elle est née de la liaison d’une petite employée de maison avec son patron et qu’elle fut placée à Vilvorde dans un pensionnat religieux où étaient éduquées des jeunes filles de bonne famille. Déjà, dans ses pensées, on sent qu’elle en veut : « Chaque soir, dans ses prières, elle se jurait qu’elle serait différente, qu’elle porterait de beaux souliers, puis de belles robes, que son mari ferait la pluie et le beau temps, que des jardiniers passeraient le râteau chez elle et qu’elle n’aurait plus jamais à partager sa chambre, qu’il n’y aurait plus de promiscuité, de pensionnaires… »
Une ambition démesurée, un goût du pouvoir sans limites, une volonté de se hisser au plus haut rang de la société, voilà ce qui caractérise Magda Goebbels. Coûte que coûte, quels que soient les moyens d’y parvenir, elle y arrivera. Rien ne pourra l’arrêter.
Lorsque sa mère vient la voir au pensionnat, elle lui présente son nouveau compagnon, Monsieur Richard Friedländer, un riche commerçant juif qui l’élèvera comme sa fille.
Après avoir eu une relation amoureuse avec Victor Arlosoroff, un jeune sioniste, frère d’une de ses amies, elle épousera Gunther Quandt, un riche industriel allemand dont elle aura un fils Harald. Mais elle divorcera une dizaine d’années plus tard.
Puissamment attirée par le pouvoir et tout ce qui tourne autour, elle s’inscrit au Parti national-socialiste où elle rencontre Joseph Goebbels dont l’aura la fascine : « Il n’y avait plus d’orchestre, plus de micro sur l’estrade, qu’un vague murmure éteint, un contentement de foule dont la masse auparavant compacte se déchirait en lambeaux dans les gradins, aux étages, derrière et devant elle. Ils avaient aimé ça. Ils avaient aimé cette puissance. Le pouvoir d’un seul homme. Au-dessus. Au-dessus des autres. C’était sexuel. Absurde, aussi. Magda avait bien observé cet homme. Elle l’avait même envisagé. Pas lui. Mais ce qu’il incarnait. Celui qui restait droit quand les autres le buvaient. Celui qui faisait crier. Sa place à elle était là-haut. Au-dessus. Elle méritait l’estrade, la droite du chef. Elle aimait qu’on la regarde. Bientôt ce serait son tour… Qu’il était laid, sans la foule. Mais il y avait la foule. »
Terrible portrait que celui de cette femme prête à se donner corps et âme à l’homme que l’Allemagne admire…
Sur les routes, c’est la tragédie d’Aimé, de Judah, d’Ava et de sa mère Fela que nous suivons : la lutte de tous les instants pour échapper au pire, à la grange où ils sont parqués et que l’on brûle, à la course contre la mort, à la nécessité de vivre cachés, aux coups de feu que les paysans tirent par peur d’être attaqués et volés, à l’épuisement qui les guette. Peu de mots pour exprimer une telle souffrance… Fela porte un sac dont elle ne se séparerait pour rien au monde et qui contient des lettres…
C’est avec beaucoup d’adresse et un immense travail de recherche que Sébastien Spitzer a su rendre vivants tous ces personnages de l’Histoire, les mettre en scène, nous permettant d’une certaine façon de mieux les approcher, de mieux les voir, à défaut de les comprendre – certains actes resteront à jamais incompréhensibles.
J’ai dévoré ce texte, en ai apprécié l’écriture très rythmée et une construction assez habile créant de saisissants effets de contraste. J’ai bien sûr découvert des éléments historiques que je ne connaissais pas et qui m’ont littéralement stupéfiée. D’ailleurs, la puissance d’évocation de certaines scènes est telle que je ne les oublierai jamais.
Terrible Histoire, terribles histoires, destins gâchés, rêves piétinés… Mais j’arrête là et vous laisse découvrir ce premier roman dont on va certainement beaucoup entendre parler…
A lire absolument !

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