critique de "Continuer", dernier livre de Laurent Mauvignier - onlalu
   
 
 
 
 

Continuer
Laurent Mauvignier

Les Editions de Minuit
romans
septembre 2016
240 p.  8,50 €
ebook avec DRM 8,49 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La chevauchée héroïque

Se mettre en danger pour se sauver. Sibylle femme fragile, imprévisible, qui a un peu tout raté dans sa vie et son fils Samuel grand ado à la dérive, partent pour plusieurs mois, seuls à cheval, en Asie Centrale dans les plaines et montagnes du Kirghizistan, pays des chevaux célestes. C’est à son corps défendant que Samuel se trouve embarqué par sa mère dans ce qu’il considère comme une galère. Déterminée, elle veut renouer avec ce fils qui lui échappe et retendre les fils de sa propre histoire.

Pour ce voyage Sibylle fait le choix de tous les sacrifices: vendre sa maison de famille, couper court avec sa vie et tout ce qui nuit à Samuel pour reprendre à zéro une relation altérée par les séquelles d’un divorce et des espoirs ceinturés . « Qu’on balance ce putain de monde qui nous sépare les uns des autres et qu’on arrête de prendre pour inéluctable ce qui ne l’était, que par notre passivité, notre docilité, notre résignation». Mais face à l’abnégation et l’amour de Sibylle, Samuel n’est qu’une boule de rejet, voire de haine. Ce profil de mère-courage l’insupporte et tout ce qu’elle fait pour lui, ne semble à ses yeux qu’une démarche délirante pour se donner le beau rôle. Son regard sur elle est impitoyable et cruel. Il n’a de cesse que de fuir sa bonté, sa bonne humeur et de « résister à tout ce qu’on voudrait lui imposer, à tout ce bien qu’on voulait pour lui sans qu’il ait le choix de s’y opposer ». Mais comme dit l’adage « fuis moi je te suis », l’avenir semble pouvoir s’ouvrir pour cette femme aimante, comme pour son fils. Ensemble.

Ce roman d’initiation en terre inconnue est aussi vaste et ample que les sauvages montagnes kirghizes qui lui servent de décor. C’est aussi un texte tout en retenue avec cette puissante capacité narrative de Laurent Mauvignier pour s’immiscer au cÅ“ur de l’intime, celui d’une relation aussi belle qu’imparfaite entre une mère et son adolescent de fils. « Elle voulait qu’il entende comment on pense par le souffle et que c’est par lui que la vie circule en nous ». L’auteur de «Autour du monde», « Apprendre à finir » et « Dans la foule », déploie ici une langue, un rythme où tout se joue au niveau du souffle justement. Celui de ses personnages, celui des chevaux et du vent dans les plaines. Sa maîtrise est parfaite tant il sait de ses mots retenir ce souffle littéraire pour les scènes sous tension, le lâcher dans les scènes d’abandon, où nous le couper net dans les scènes de nature de toute splendeur. Il y a l’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux et il y a l’auteur qui murmurait à l’oreille des lecteurs. Et comme David Bowie qu’il cite dans le livre, il nous donne à croire que même si c’est pour un jour, ensemble « we can be heros ».

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 Les internautes l'ont lu

l’amour maternel révélé

Un fils Samuel, adolescent qui se cherche, mais qui est prêt à basculer dans la délinquance, des parents divorcés , la mère Sybille, plus du tout capable de se valoriser, un père hâbleur et superficiel, et le Kirghizistan, superbe et rugueux, voilà la toile de fond de ce superbe roman , certes pas très épais , mais intense, très intense. Sybille veut sauver son fils, et se rendra compte au cours de la grande aventure dans laquelle elle l’ entraîne qu’elle s’était oubliée, et qu’en quelque sorte elle doit renaître elle aussi. A 25 ans elle fondait de grands espoirs, elle touchait du doigt le métier de chirurgien , avait écrit un roman prêt à être édité, et elle aimait d’amour un jeune homme qui se fait tuer dans l’attentat de la Station St Michel. De là, elle s’effondre, crée quand même une famille et se laisse aller. Elle a quand même la force de quitter son mari qui la trompe ; et se débrouille plus ou moins bien avec son fils. Et c’est à la suite d’une faute grave de son ado, copie conforme d’une majorité d’ados plus ou moins perdus qu’elle décide de l’emmener dans un pays sauvage et lointain, afin de lui re-inculquer les valeurs de base. C’est un périple époustouflant dans une nature souvent hostile, il y a des épisodes cauchemardesques, de belles rencontres humaines, du partage, les chevaux sont le fil rouge de ce voyage. Mais, l’intention première de l’auteur est avant tout de nous faire une leçon de « vivre ensemble ». L’attentat du métro à St Michel a été perpétré au nom d’Allah, Sybille en a éprouvé un certain recul vis à vis des « Arabes » musulmans ou pas d’ailleurs, elle sent chez son fils le même évitement, elle essaie donc au contact des ses hôtes de lui faire comprendre ce qu’est le partage. Parfait. Mais je n’aime pas trop qu’un auteur de romans se transforme en moralisateur parfois agressif. Dommage ,mais cela ne gâte en rien la beauté du texte.

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…ou pas ( à lire Mauvignier ? )

Un des livres de la « rentrée littéraire » que je ne voulais pas rater. De Mauvignier je n’avais lu que « Des Hommes », récit abrasif sur la guerre d’Algérie. Sans tomber dans le « littérature-mode d’emploi », certaines situations vous parlent, ou vous intéressent tout simplement . Ici une mère un peu défaite qui va tenter le tout pour le tout pour retrouver le contact avec un gamin de seize ans en plein marasme et perte de valeurs. L’histoire avait commencé quelques mois plus tôt. Samuel décrochait à tous les niveaux -scolaire, mais pas seulement. Comme si même dans sa façon d’être, soudain plus rien ne répondait, comme s’il n’était plus capable de savoir s’il faisait chaud ou froid et de s’habiller en conséquence ; comme s’il n’était plus capable de savoir quel jour de la semaine on était ; comme s’il était incapable de savoir s’il était seul ou avec quelqu’un dans une pièce ; comme s’il confondait le jour et la nuit. Dans une scène que j’ai trouvée très réussie (car glauque et mettant bien mal à l’aise) Mauvignier montre Samuel, dans une soirée du côté de Bordeaux où il vit avec sa mère depuis le divorce conflictuel de ses parents, en manque total de réaction alors que deux de ses copains coincent une fille dans la chambre des parents et s’apprêtent, finalement, à commettre ce qui s’appelle tout bonnement un viol en réunion. Il est saoûl, mal à l’aise, certes, mais il n’est « que » celui qui regarde ; il sait qu’il va se faire engueuler mais il est incapable de se reprendre, fasciné par la violence décomplexée des deux autres. La fille se libère à temps, la soirée est fichue. C’est à la gendarmerie que Sibylle récupère Samuel. Electrochoc. Sibylle, qui est une femme comme ternie par ses malheurs, grise comme le nuage de ses clopes qu’elle allume l’une au bout de l’autre, réfléchit intensément et réagit : elle a le levier pour organiser un voyage lointain, elle l’utilise pour emmener Samuel randonner à cheval au Kirghizistan, pour trois mois. Sic. Là je coince une première fois. Pas convaincue. Improbable (pour toutes sortes de raisons) Bon , passons. Le bouquin s’ouvre alors que cette chevauchée est entamée. Benoît, l’ex-mari et père, ne s’est pas opposé, bien qu’ignoblement sarcastique à l’encontre de la mère en échec. Vieux dossiers . Du lourd. Mais je ne vais pas continuer à vous raconter l’histoire, si vous avez envie de lire ce livre. Je vais juste dire que si certains passages réussissent à créer un bon suspense, si l’organisation en très courts chapitres, pratiquement plutôt des vignettes, rythme bien l’action, si les notations psychologiques sont souvent fines et pertinentes, pour moi à l’arrivée ça ne fonctionne pas . Pas du tout même puisque jamais je n’ai ressenti la moindre émotion durant cette lecture. Tout est resté très , trop, intellectuel. Et fort peu crédible par moments. Très « romanesque » (les malheurs de Sibylle) De plus la langue de Mauvignier reste un peu râpeuse pour moi (tout le contraire de fluide malgré l’usage permanent du présent) et je me suis souvent surprise à relire la même phrase ou page deux fois de suite, je ne « voyais » rien. « Autour du monde » attend dans ma Pal depuis longtemps, je le lirai et saurai si Mauvignier n’est tout simplement pas un auteur pour moi, c’est une possibilité 😉 MIOR.

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coup de coeur

Un magnifique roman d’amours

Incroyablement habile et si proche de nos propres blessures, ce roman touche au coeur et interroge le fils ou la mère, mais aussi l’homme qui grandit et celui qui ne veut pas grandir, la femme qui souffre mais ne peut renoncer. Nous sommes tout cela à la fois dans ce roman magistral. Laurent Mauvignier écrit bien et l’a prouvé à maintes reprises déjà. Ici, il va plus loin, en prenant chaque mot pour lui donner l’intonation qui va bouleverser le lecteur. Chaque situation est travaillée afin d’évoquer en nous crainte et espérance, violence et rédemption. L’un des plus beaux livres de cette rentrée et qui ne méritait pas d’être écarté des différents prix et notamment du Goncourt.

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nuit blanche

Continuer… la randonnée équestre au Kirghizistan

Durant les vingt premières pages du nouveau roman de Laurent Mauvignier, on vit au rythme d’une expédition à cheval dans les plaines et les plateaux du Kirghizistan. Sybille a choisi d’emmener son fils Samuel dans cette région d’Asie centrale pour partager avec lui sa passion pour la randonnée, mais aussi pour lui faire changer d’air. Car Samuel file un mauvais coton. Retour quelques semaines en arrière. Look de skinhead, désœuvrement, alcool et drogue, sans oublier la dernière virée dans une villa de Lacanau et cette tentative de viol qui lui vaut de finir à la gendarmerie. Sybille, qui élève seule son fils, est également au bout du rouleau. Depuis son divorce, elle se laisse aller, n’a plus vraiment goût à rien. C’est un peu en désespoir de cause qu’elle appelle son ex-mari Benoît à la rescousse. Qui, une fois de plus, ne partage pas son avis et refuse de l’aider, même financièrement : « Ton fils fait des conneries et toi au lieu de le foutre en pension avec des gens qui sauront lui tenir la bride, eh bien, non, madame veut lui donner le goût de l’air libre et partir… » Aussi décide-t-elle de vendre sa maison en Bourgogne et ne laisse pas vraiment el choix à son fils. Soit il l’accompagne, soit c’est la pension. Toutefois, le Kirghizistan n’a rien du Club Med. Après avoir réussi à se débarrasser de voleurs de grand chemin, la mère et son fils doivent affronter un terrain hostile. Sur un sol devenu spongieux, au milieu des glaces, ils évitent de peu la mort. C’est, pour Samuel, le moment d’appeler au secours. Car il a promis à son père qu’en cas de danger il serait prévenu. Mais les quelques jours de voyage, les conditions de vie spartiates, le quotidien avec les chevaux ont fait leur effet. Il va mieux, Sybille le sent : «C’est-à-dire lentement, doucement, les choses apparaissent, il revient vers la vie, ou plutôt il commence, pas à pas, à accepter de prendre le temps de regarder autour de lui ; c’est comme si tout à coup il découvrait qu’un monde existe qui n’est pas lui, dont il n’est pas le centre. » Voilà qui met un peu de baume sur les blessures d’une mère, dont on va comprendre au fil des pages le lourd passé. Les cauchemars qui l’accompagnent et cette sensation d’être passée à côté de sa vie. Comme dans son précédent roman, Laurent Mauvignier utilise l’histoire récente, le fait divers, cette fois il s’agit de l’attentat du 25 juillet 1995 dans la station Saint-Michel de la ligne B du RER parisien, pour construire son scénario. On comprend dès lors combien ce voyage est autant pour le fils que pour la mère l’occasion d’une délicate introspection. Avec le sens de la tension dramatique qu’on lui connaît, l’auteur alterne les phases d’espoir et celles de doutes, les épisodes qui rapprochent avec ceux qui éloignent. Je ne dirai rien de l’épilogue, sinon que nous sommes loin d’un Happy end romantique. Car toujours, il faut continuer.

Retrouvez Henri-Charles Dahlem sur son blog 

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coup de coeur

Comment réagir et que faire quand son fils adolescent part à la dérive en raison de ses mauvaises fréquentations et se trouve entraîné sur le chemin de la délinquance ? Sibylle, fraîchement divorcée, a la garde de son fils Samuel. Elle a choisit de s’installer dans une autre ville pour s’éloigner de son ex-mari. Les relations avec son fils sont compliquées et la jeune femme regrette de ne pas avoir su tisser des liens plus profonds. Quand Samuel est placé en garde à vue avec d’autres camarades de classe de son lycée suite à une fête chez les parents absents d’une amie (dégradations matérielles, possession de stupéfiants, tentative de viol), Sibylle décide de prendre les choses en mains de façon radicale. Elle, qui se laisse vivre depuis si longtemps et qui a gâché le bel avenir auquel elle était promise, décide d’empêcher son fils de sombrer. En accord avec l’éducateur que la Justice a imposé à Samuel, et contre l’avis de son ex-mari, elle programme un voyage à cheval de plusieurs mois dans les montagnes du Kirghizistan. Samuel est loin d’être fou de joie et plutôt inquiet de voyager avec sa mère que son père lui a toujours présenté comme une faible dépourvue de volonté et sur qui on ne peut pas compter.

Sur 240 pages environ, l’auteur nous raconte les aventures et les mésaventures, les dangers que ces deux là vont rencontrer sur leur chemin. Sibylle note tous les jours dans un cahier à spirales ce que lui inspire le voyage mais surtout elle revient sur tous les événements qui ont jalonné sa vie. On découvre alors une femme que la perte de son grand amour a brisée à l’âge de 25 ans.Depuis lors, elle ne fait que tenter de survivre. On suit aussi l’évolution des relations entre la mère et le fils, celui-ci ayant bien dû mal à accepter que Sibylle est une femme. C’est d’ailleurs son refus de voir sa mère en tant que telle qui provoquera un accident tragique. Sibylle, grièvement blessée, sera hospitalisée pendant de longues semaines au Kirghizistan. Samuel, resté à son chevet, mettra ce temps à profit pour lire les cahiers de sa mère et comprendra qui elle est réellement. Samuel, qui se sentait si mal dans sa peau, se trouvera complètement transformé et s’ouvrira aux autres : « Si on a peur des autres, on est foutu. Aller vers les autres, si on ne le fait pas un peu, même un peu, de temps en temps, tu comprends, je crois qu’on peut en crever. Les gens, mais les pays aussi en crèvent, tu comprends, tous, si on croit qu’on n’a pas besoin des autres ou que les autres sont seulement des dangers, alors on est foutu. Aller vers les autres, c’est pas renoncer à soi. » J’ai lu dans un article la semaine dernière que Laurent Mauvignier s’est inspiré d’une histoire réelle, celle d’un père et de son fils.

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oui mais…

C’est l’histoire d’un amour maternel. C’est l’histoire de Sybille qui sentant son adolescent partir à la dérive sur des valeurs aux antipodes des siennes décide de prendre le taureau par les cornes et l’emmener, loin dans un pays où à cheval elle compte lui réapprendre à vivre. C’est beau, c’est écrit dans un style lapidaire, avec des phrases très courtes, incisives et efficaces. J’ai beaucoup aimé le début, un peu moins le milieu et carrément détesté la fin. J’ai trouvé que l’auteur tombé dans les clichés et je n’attendais pas ça de lui. La relation entre la mère et son fils ado est particulièrement bien décrite et touchante mais j’ai trouvé les passages sur le premier amour tragiquement disparu un tantinet convenu.

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on n'aurait pas dû

Une grande déception

En 2014, j’aurais volontiers donné le Goncourt à « Autour du Monde » que j’avais trouvé excellent. Deux ans plus tard, je n’ai pas l’impression de lire le même écrivain. Dans «Continuer », s’il s’applique à décortiquer par de courtes phrases nerveuses les mécanismes de la pensée de ses protagonistes, Laurent Mauvignier échoue, à mon sens, et dans la tenue de son histoire et dans la justesse des sensations évoquées, libérant de surcroît un pathos un peu dégoulinant dont on peine à s’extirper. Nous sommes de nos jours, à Bordeaux. Sibylle, en pleine quarantaine, travaille comme une brute dans un hôpital puis rentre fumer des tonnes de cigarettes chez elle, le regard dans le vide. Récemment divorcée, elle a perdu le contact avec son fils Samuel, seize ans, qui vit pourtant avec elle. Après qu’il a passé une nuit en prison (difficile de comprendre à ce moment là la façon ultra légère qu’a l’auteur de « passer » sur un presque viol…), Sibylle décide de partir avec lui, plusieurs mois, à cheval. L’éloigner de cette vie grise qui n’a pas de sens pour lui, lui réapprendre ce sens dans la nature. Ce sera le Kirghizistan, elle parle Russe, ce sont ses racines. A partir de là on plonge dans une sorte de « Rendez-vous en Terre inconnue » qui m’a semblé se cantonner dans la facilité des clichés (ou disons des évidences), avec en parallèle une exploration des personnalités qui souvent fait preuve de simplisme. L’épilogue n’est pas en reste, chargé et vraiment peu crédible.

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coup de coeur

En avant !

Le livre s’ouvre sur Samuel et Sibylle se réveillant entourés d’hommes agressifs et menaçants. Ils sont au Kirghizistan, Asie centrale. Ces individus veulent peut-être leur voler leurs chevaux ou les tuer, ça aussi c’est possible. Le danger est là, c’est évident et ils ont peur. Pourtant Sibylle murmure à Samuel qu’il faut continuer. Elle se le dira souvent, très souvent… Sibylle est la mère de Samuel. Ils vivent à Bordeaux depuis son divorce. Samuel ne va pas bien, il sombre peu à peu dans la délinquance. Ils ne communiquent plus, ne se regardent même plus. Elle perd son fils, elle le sent. Alors, avant qu’il ne soit trop tard, elle prend une décision pour le sortir de là où il est en train de sombrer : ils vont partir au Kirghizistan, acheter des chevaux et parcourir le pays, traverser des paysages sublimes, vivre des expériences fortes, rencontrer des gens et laisser tout le reste derrière eux. Elle vend sa maison d’enfance, celle à laquelle elle tenait tant. Le père de Samuel, averti du projet, rit au nez de Sibylle: quelle expérience stupide ! Elle qui a failli mourir en Corse lors d’une simple rando va traverser des espaces inconnus, sauvages, dangereux et tout va bien se passer ? C’est ridicule ! D’ailleurs, dit-il à Samuel, sa mère n’a jamais eu que des projets foireux de ce genre, tout ce qu’elle fait échoue. Encore une preuve de sa médiocrité ! Il demande à son fils de lui envoyer un SMS si quelque chose tournait mal, ce dont il ne doute pas. Et ils partent. Ce livre est mon coup de cœur de la rentrée littéraire : il m’a bouleversée. Et si j’en ai aimé d’autres, le livre de Karine Tuil par exemple, je place celui-ci au dessus. Pourquoi ?
Tout d’abord parce que j’en ai aimé l’écriture. Lorsque Mauvignier décrit des chevaux qui galopent, la phrase en fait autant, elle se fait mouvement, course, vitesse, elle traverse l’air, la poussière, se heurte aux cailloux, aux rochers, contourne les arbres, traverse les cours d’eau. La phrase devient chemin, épouse le parcours accidenté de la route, s’ouvre à la beauté absolue des paysages. C’est superbe, magnifique, splendide. Sueur et souffle des bêtes et des hommes se mêlent. Ils sont unis dans ce que l’on appelle la vie et que l’écriture rend si merveilleusement. Lorsque l’auteur évoque les sentiments des personnages, leurs émotions, la phrase fouille leur âme, se faufile au plus profond d’eux-mêmes, dans l’intime de l’intime. Je repense à des scènes fabuleuses, impossibles à oublier, des moments forts et sensuels entre la mère et le fils, celui qu’elle veut ramener à la vie coûte que coûte, des scènes où l’on côtoie la mort dans une tension extrême, où l’on sent que la terrible prophétie du père va se réaliser. On a peur pour eux tandis que leurs pensées s’emballent, se cognent aux parois de la vie, se heurtent aux tranchants du monde, cherchant dans l’affolement et la terreur un sens à tout cela.
J’ai aimé aussi la construction narrative qui va permettre de livrer bribe par bribe des éléments du passé de Sibylle, femme blessée, meurtrie, épuisée mais encore capable de faire don de sa personne, de s’offrir à l’autre, son fils, et aux autres, aux gens de passage dont elle refuse d’avoir peur. Car c’est aussi ce que dit ce livre : l’autre, l’étranger, celui que l’on ne connaît pas est une richesse. Des bons sentiments ? Non, du bon sens ! On ne peut pas vivre en se haïssant ou l’on finit par s’entre-tuer… Ainsi, cette femme va-t-elle pouvoir mener à bout ce projet et à quel prix ? Samuel est-il capable de changer ou va-t-il rester ce garçon mutique, les écouteurs vissés aux oreilles, enfermé dans sa haine de l’autre ? Vont-ils, l’un et l’autre, tels deux pauvres désarçonnés de la vie, parvenir à remonter en selle et poursuivre leur aventure sur le chemin de l’existence ? Et puis, qui est Sibylle au fond, que cache-t-elle de si douloureux qui l’empêche de vivre ? Le roman se fait livre d’aventures, exploration de territoires physiques et psychologiques, découvertes de terres et d’âmes, plongée dans ce monde inconnu, celui du cœur des hommes, des bêtes et des espaces que l’on traverse. Un hymne à la vie, à l’amour, une invitation à poursuivre malgré les épreuves individuelles et collectives… Comme ça fait du bien… En cette période de prix littéraires, sachez-le, mesdames et messieurs, membres de jurys, s’il n’y en avait qu’un à prendre, je prendrais celui-là.
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