Crépuscule du tourment
Leonora Miano

Grasset
août 2016
288 p.  19 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

en attendant l’orage

Elles sont quatre, quatre femmes africaines liées à un homme absent à qui elles s’adressent dans le silence de quatre monologues intérieurs successifs. Il y a d’abord Madame, la mère de Dio, Amandla, son ex-compagne, Ixora, la nouvelle fiancée mal aimante, et enfin Tiki, la sœur de Dio. C’est un soir orageux et lourd, quelque chose dans l’air s’apprête à éclater. Madame est veuve, elle remâche son existence de femme battue par un mari qu’elle a subi en silence à cause du sens du nom et du patrimoine. Lorsqu’elle a vu son fils ramener l’étrangère Ixora et son enfant sous son toit, elle n’a pas supporté cette tache altérant le blason familial qu’elle s’est efforcée de préserver toute sa vie, elle qui, en se mariant, avait apporté sa fortune à une lignée prestigieuse mais ruinée. Etre femme en Afrique aujourd’hui Ixora et Amandla représentent quant à elles la génération suivante, celle qui tente de revendiquer sa liberté au prix de luttes internes et sociétales, et qui affirme une féminité bridée par leurs mères et par un patriarcat ancestral. Ixora, professeur d’anglais, s’évertue à trouver sa propre voie, son bonheur à elle, tandis qu’Amandla est une militante, insurgée contre une certaine idée de l’Afrique faible et acculturée. Lorsque Tiki ferme le roman, elle qui s’est construite seule dans un environnement qui brutalise les femmes, on se dit que si chacune pouvait libérer sa parole et la transmettre, cet échange servirait la cause féminine. Mais c’est bien là tout le problème et l’enjeu du roman : qu’est-ce qu’être une fille, une femme en Afrique aujourd’hui ? Et Léonora Miano de poser la question de l’homosexualité féminine taboue, qui ne s’accomplit que dans le secret ou se condamne au renoncement, dans une société qui refuse le désir féminin. L’auteure, d’une écriture sensuelle et riche, donne une voix singulière à chacune, toutes porteuses d’un désir d’avenir en suspens. Mais les histoires individuelles sont trop souvent absorbées et alourdies par les thèses sur l’identité africaine et le fonctionnement de la société, qui ralentissent le souffle romanesque. Les quatre monologues juxtaposés se croisent mais ne se répondent jamais, alors que c’est bien le destin particulier de ces femmes qu’on aurait aimé voir se déployer de façon plus vivante et moins discursive.

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 Les internautes l'ont lu

Quatre femmes se dévoilent

Après Catherine de Médicis, je retrouve, avec crépuscule du tourment, une mère incapable de démonstration d’amour maternel, celle que tout le monde appelle Madame. Léonora Miano met en scène quatre femmes, quatre voix africaines. Ces mélopées sont adressées à un homme absent, fils, ex ou fiancé, frère des quatre femmes. Madame. Oui, c’est ainsi que l’appelle son entourage, enfants inclus, débute le bal. Il y a en elle une immense blessure héritée de ses ascendants, qui se dévoile petit à petit. « Je sais nommer l’épine qui, logée en moi depuis le plus jeune âge, est ma torture et ma boussole. Ma véritable identité. » Elle a épousé Amos, un noble désargenté mais à la lignée prestigieuse. Elle ne quittera jamais malgré les coups assenés même devant ses enfants, Pour elle, on doit avoir une généalogie et c’est au fil de ma lecture que je découvre ce que ce terme de sans-généalogie signifie pour elle. Je comprends pourquoi elle n’a accepté aucune des deux femmes que Dio a connues dans le Nord (la France) et ramené à la maison. Elles sont descendantes d’esclaves, donc sans généalogie, leur grande tare. Madame est une femme à qui on obéit mais que l’on n’écoute pas, une femme seule qui s’est caparaçonnée pour survivre aux coups de son mari, à ce qui la ronge, pour assurer l’avenir de ses deux enfants Dio et Tiki. « Je ne serai pas accusée de m’être dérobée ». Amandla, Dio l’a aimée et, pourtant, il l’a quittée. Ce n’est pas le grade de sans-généalogie donné par Madame, non, il y a autre chose qui vient du père. Leur relation amoureuse est toujours restée chaste, Il en est de même avec Ixora qu’il veut épouser parce qu’il ne l’aime pas. Tiki, la sœur, ferme le bal. Elle a vécu le drame de sa mère de l’intérieur. Elle s’est construite sur ces ruines, toute seule et, comme son frère, a une vie et une sexualité compliquée. « Ici, comme ailleurs, nous avons des codes. Une vision du monde. Une manière d’être. Et, pour nous, l’ascendance servile est une des pires choses qui soient. Lorsque par-dessus le marché, elle s’expose à travers gestes et attitudes… Cette femme ne sera pas tolérée, tu ne l’épouseras pas, nous ne célébrerons pas vos fiançailles. ». Elles vont se réinventer, se recréer sur le territoire africain. Amandla renoue avec les racines africaines d’avant la colonisation. Ixora rencontre l’amour en la personne d’une belle africaine. Quatre monologues distincts qui se répondent, s’imbriquent, se complètent. Les femmes déroulent leurs peines, leurs douleurs, leurs vies. La féminité bâillonnée par la religion des coloniaux et la place de servante qu’elle lui a donnée, l’amour saphique, complètement tabou avec, pour emblème, le quartier « Vieux pays ». Le retour à un besoin de racines africaines et chamaniques, Les hommes faibles, versatiles, fainéants et, surtout, l’importance de la lignée. Ce que j’aime chez elles, c’est leur énergie qui leur permet de rebondir, de rester droites. Entre sorcellerie, chamanisme, modernité, sensualité, Léonora Miano parle de ces femmes qui portent une blessure, un secret refoulé, de la colonisation et ses effets sur la population camerounaise, des hommes velléitaires, qui sèment à tout vent Une lecture forte et émouvante

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