Les attachants
Rachel Corenblit

Editions du Rouergue
août 2017
192 p.  18,50 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

Pas facile la vie d’enseignant

Emma est jeune enseignante et hérite bien entendu en début de carrière d’une classe dont personne ne veut. Elle se retrouve à l’école des Acacias, une école de douze classes, 300 élèves, dans un quartier défavorisé.

« Une classe c’est comme un roman. Vingt-six histoires qui se combinent, qui se heurtent, qui s’emboîtent. Cinq jours sur sept, de huit heures du matin jusqu’à la fin de l’après-midi, près de neuf mois dans une année, des histoires se tissent. Si l’on calcule le temps passé ensemble, on s’effraie de constater à quel point une classe absorbe les individus qui la constituent. »

Un roman, une fiction c’est pas si sûr que cela, l’auteure a été enseignante durant quinze ans puis formatrice d’enseignante. Elle nous présente une classe en milieu défavorisé. Elle rassemble certes beaucoup d' »attachiants », attachants, de chiants comme elle dit.

On suivra en particulier l’histoire de Ryan dont les parents sont divorcés. Il arrive de Marseille en cours d’année. Il y a aussi Michel qui est mal dans sa peau, Lola dont la mère souffre d’un cancer et vit dans la misère à quatre dans un petit studio, Molly l’enfant maltraitée, Emir, une petite frappe au père redoutable, Allan livré à lui-même dont on ne s’occupe pas et d’autres destins malheureux.

Emma essaiera d’établir le contact avec les parents démissionnaires. Elle ne comprendra pas toujours l’attitude de Aucalme, le directeur de l’établissement. Tous les deux feront de leur mieux avec les moyens dont ils disposent. Emma rencontrera Mathieu et nous contera en parallèle à tout cela sa vie sentimentale.

Un regard sur notre société, sur le monde des enseignants,. Des doutes, des remises en question, de la difficulté mais aussi de la passion d’un métier ingrat donnant parfois des envies d’abandonner tout mais à d’autres moments de grandes joies et des petits moments de bonheur.

Un très beau récit choc.

Ma note : 8.5/10

Les jolies phrases

Le cadeau qu’on offre aux débutantes pleines d’enthousiasme et de zèle pour qu’elles comprennent que l’Education nationale était à l’image de la vie, un monde sans pitié où il fallait avant tout s’adapter. Pour qu’elles réalisent aussi que la vocation, c’était un mythe, un délire romantique, qu’il fallait vider de ses idéaux pour appréhender la substantifique moelle du métier : apprendre à survivre.

On est pas là pour sauver la vie des gens, on ne peut pas changer les destins, on ne sert pas à grand- chose, finalement. Un caillou ne dévie pas le cours de la rivière et je suis quoi, moi, une caillasse, un galet, rien, et l’eau me passe dessus et les emporte, ces gosses, loin, sans que je puisse rien faire.

Quand on essaie de se fixer quelque part et qu’on n’a pas de mari, pas d’enfant, pas de chat, rien qui compte dans les points du barème, on est sûr, en tant qu’enseignant débutant, de finir là où personne ne souhaite aller.

Une classe, c’est comme un roman. Vingt-six histoires qui se combinent, qui se heurtent, qui s’emboîtent.

A réfléchir sur la nécessité de vivre avec quelqu’un qu’on n’avait pas vraiment choisi. Qui s’était imposé et dont on aurait du mal à se débarrasser.

Peut-être qu’elle voulait raconter à Emma comment c’était humiliant, de ne pas pouvoir aider son enfant, de la laisser se débrouiller dans une langue qu’elle ne possèdait pas. De ne pas être à la hauteur. Nos enfants nous dépassent, nos enfants nous enterrent, nos enfants nous survivent. Comment dit-on, en français, cette infinie tristesse de les contempler, de constater à quel point ils nous sont étrangers ?

On pourrait sauver l’humanité rien qu’en sortant ces enfants des limites de leur territoire.

Retrouvez Nathalie sur son blog 

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coup de coeur

Vive la rentrée !

Madame Corenblit, page 183, vous prêtez à votre lecteur l’idée que l’écrivain a dans ce livre « … mélangé la réalité avec sa drôle d’imagination qui lui fait raconter des trucs tordus pour donner des peurs rétrospectives aux lecteurs tranquilles qui essaient de vivre mieux que les personnages perdus des romans qu’on veut bien leur proposer. »
Eh bien, sachez, Madame, qu’à aucun moment, je ne me suis dit : tiens, n’importe quoi, elle veut nous faire peur celle-ci, rien à voir avec la réalité de l’école tout ça, encore une alarmiste, une râleuse comme il y en a tant dans ce milieu, une qui est toujours dans la rue les jours de grève, une qui veut encore révolutionner le système, une qui…, une qui…, une qui…
Non, hélas, de tout coeur, j’aurais préféré ne pas croire à ce que vous racontez, ranger le livre sur l’étagère des « romans » et passer rapidement à autre chose…
Mais, dans quelques jours, Madame Corenblit, ce sera ma 29ème rentrée, certes pas à l’école primaire mais au collège et croyez-moi, des Ryan, des Michel, des Dimitri, des Myriam, mes collègues et moi les avons devant nous chaque année, comme vous les décrivez et nous les accueillons comme ils sont, nous donnant corps et âme pour qu’ils aient le plaisir d’être en classe, pour qu’ils viennent à l’école avec le sourire, qu’ils en repartent avec une autre façon de voir le monde et nous l’espérons, le coeur plein de confiance en l’avenir.
C’est pourquoi, Madame Corenblit, j’ai trouvé votre livre magnifique, très juste et nécessaire. Je ne vous cache pas qu’il m’a beaucoup touchée. Parfois j’ai dû m’arrêter dans ma lecture tellement je sentais l’émotion me gagner.
Merci de rappeler à ceux qui ne travaillent pas dans l’Éducation Nationale ce qu’est l’école aujourd’hui, les difficultés que l’on rencontre en tant qu’enseignant et notamment jeune enseignant, trimbalé à droite à gauche, sur plusieurs écoles à la fois, à des kilomètres de distance, placé sans aucune expérience devant des enfants cabossés par la vie et usés par les écrans, mal formé, mal considéré, très peu reconnu ou respecté, démuni face à un sentiment d’absurdité et de perte du bon sens, dans l’obligation d’appliquer des réformes ou des méthodes d’apprentissage dont l’efficacité reste à prouver, soumis à une terminologie ridicule et absconse ou à des sigles indéchiffrables, accablé par l’accumulation de tableaux ou paperasses inutiles à remplir – comme si c’était ça l’essentiel du métier -, luttant contre des rythmes scolaires insensés, pleurant après des horaires « peaux de chagrin » (quatre heures, ma bonne dame, quatre pauvres petites heures par semaine en troisième pour enseigner le français, à savoir, la compréhension de texte, la grammaire, l’expression écrite et orale, l’orthographe, la conjugaison, le vocabulaire et si possible un peu de lecture de l’image ou de l’analyse filmique si on a le temps…) et malgré tout, se battant coûte que coûte, montant des projets en veux-tu en voilà, retravaillant les cours parce que Dimitri n’a rien compris ou que Myriam n’a visiblement pas été intéressée, rencontrant des parents fatigués, dépassés parce que les modes de vie ont en quelques années beaucoup changé et qu’ils n’y comprennent plus rien, et nous, à dire vrai, pas beaucoup plus et pourtant, on est là, on ne lâche pas, on réexplique que les écrans doivent être éteints le soir, les portables posés dans l’entrée, on rappelle qu’une demi-heure de lecture avant de se coucher, c’est pas mal, que travailler dans le silence, c’est mieux, que dormir au moins huit heures par nuit permet de ne pas s’effondrer sur sa table le lendemain en classe…
Pour toutes ces raisons, Madame Corenblit, j’ai beaucoup aimé votre livre, votre personnage, Emma, professeur des écoles, qui s’accroche, qui en veut, qui résiste et essaie de comprendre. Une Emma « Antigone », entière, intransigeante, refusant les misérables compromis, prête à rentrer dans le lard de ceux qui disent que ça ira, que c’est pas terrible mais bon, on fera avec…
J’ai aussi trouvé très juste le personnage du directeur, monsieur Aucalme, qui fait ce qu’il peut, le pauvre homme, et qui visiblement, à la fin, n’en peut plus. Je l’ai aimé parce qu’il est très humain, il ne veut pas faire de vagues (d’ailleurs Emma le traite de « lâche »), il essaie d’arranger les choses mais il s’use et la scène finale de son départ à la retraite, toute en retenue, est magnifique .
Non, la réalité n’est pas simple, oui, il faut se battre, pour eux, j’allais dire malgré eux, parce que plus tard, ils seront les premiers à courir vers nous, comme vous le dites si bien dans le livre, en nous appelant par notre nom, redevenant soudain l’enfant ou l’adolescent qu’ils étaient, nous avouant, un peu essoufflés, les joues rosées, un vaste sourire aux lèvres, à quel point l’exposé sur tel bouquin, le poème qu’ils avaient écrit puis lu devant la classe ou le rôle qu’ils tenaient dans telle pièce de théâtre, ils ne l’ont jamais oublié – et ça, c’est du vécu et rien que pour ça, ça vaut le coup !
Merci Madame Corenblit d’avoir mis toutes ces choses, les belles et les moins belles, dans ce magnifique livre plein de désespoir, de joie, de violence, de poésie, d’humour et de rire.
A coup sûr, je penserai à vous lundi lorsque je me retrouverai devant mes futurs « attachiants », heu, pardon, attachants !

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« Ne pas juger sans savoir, jamais. La base du métier. »

C’est l’histoire d’Emma, du temps où elle commençait à peine sa carrière d’instit. Dans sa liste de voeux, l’école des Acacias était en dernière position. C’était sa première classe fixe comme titulaire – même si elle avait déjà fait plusieurs remplacements – et quelle classe. Des enfants difficiles, parce que des enfants issus d’histoires difficiles. Un endroit défavorisé, des familles en proie à de sacrés problèmes. Elle, au milieu, qui rencontre Mathieu. Et l’année scolaire qui égrène ses mois, petit bonheur après grande joie tout au long d’une myriade de problèmes. Le frottement avec le directeur. Et les enfants, bien sûr les enfants. Ses enfants.

« Emma les a regardés, ses enfants, ses élèves, sa troupe, ses mômes, ses monstres, ses pourritures, ses petits loups, ses horreurs, ses gamins, ses grands, ses morveux, ses mignons. Ses attachants, ses chiants. Ses attachiants. Sa classe. »
Un roman dont on ne sort pas indemne, et pour lequel l’autrice, très intelligemment, aborde cet aspect peu avant son épilogue. Quelle est la place du lecteur dans ce grand maelström ? Directement dans l’instant de grâce de la classe de neige, qu’on lit émerveillé.

« Mais elle a eu le mérite d’exister, cette seconde, et rien que pour elle, être enseignant vaut la peine. »
Un roman très attachant, effectivement. Même si :

« Ne pas s’attacher aux gens.
Simplement les aimer. Les supporter. Les accompagner. Et les laisser partir.»

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