Rade amère
Ronan Gouezec

Editions du Rouergue
avril 2018
208 p.  18,50 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur nuit blanche

Ah, comme j’aime les romans noirs bien noirs, battus par les vents violents de l’océan et une bonne pluie glaçante qui vous saisit les os ! Pas beaucoup d’éclaircies dans ce récit bien sombre qui met en scène Jos Brieuc (oui, ça se passe en Bretagne!), un ancien libraire divorcé qui s’est lancé dans une entreprise de taxi maritime. Un bon gars qui ne va pas très bien depuis que sa femme l’a quitté et qui aimerait bien se sortir de sa solitude et de sa vie de galère… Il a réinvesti tout son argent dans l’achat d’un bateau et il compte transporter les gens autour de la rade de Brest, vers Camaret ou la pointe du Conquet. Une remise à flot qui semble plutôt partir du bon pied. J’ai dit « qui semble »…
Et puis, il y a Caroff, un ancien pêcheur qui, il y a de ça quelques années, a voulu à tout prix sortir en mer alors que le temps était menaçant. Le jeune matelot de seize ans qui l’accompagnait est mort et depuis, tout le monde lui en veut de sa folle imprudence. Il vit dans un pauvre mobil-home posé sur un terrain vague avec sa femme et sa fille, ses seuls bonheurs de l’existence. Sans boulot, sans bateau, ça sent le fiasco et l’avenir lui paraît bien compromis, alors quand on lui propose de tremper dans une magouille qui rapporte – des colis à récupérer en mer -, il a beau vouloir refuser, il se dit que c’est peut-être l’unique chance qui lui permettra de partir avec sa femme et sa fille en Irlande et de couper avec cette vie pourrie dont il ne veut plus.
Deux hommes, deux destins qui n’auraient jamais dû se rencontrer…
Ce que j’ai trouvé vraiment très réussi dans ce roman, c’est la description des lieux, l’atmosphère  : on sent que l’auteur connaît la Bretagne et sait de quoi il parle. La pluie, les nuages sont omniprésents (seuls ceux qui ne sont pas du coin semblent d’ailleurs en souffrir – « en Bretagne, il pleut que sur les cons » aiment rappeler mes collègues bretons), le vent du large ne décoiffe pas que les Bigoudens, son souffle hurle la nuit, se faufile dans les moindres recoins. Tout craque, tout vibre, croule sous les rafales. Une bourrasque en appelle une autre. Il n’y a jamais aucun répit, à peine une accalmie. C’est bien sombre, bien pesant et, en même temps, magnifique, comme une peinture dans les tons gris et noir. Les contrastes de lumière sont saisissants, quasi cinématographiques. Et l’on entend l’océan gronder dans le lointain… Tous les sens sont en alerte…
Une vraie plongée dans l’atmosphère bretonne donc, l’hiver bien sûr, parce que l’été…
J’ai beaucoup aimé aussi, malgré toute la noirceur de ce texte, l’humour : je vous en donne un exemple. Le gars chargé de transmettre les infos du boss auprès de Caroff est un homme du Sud, alors la Bretagne n’est pas vraiment son truc et c’est en ces termes qu’il en cause : « Des marées noires, des oiseaux crevés, des tempêtes… Il avait du mal à croire vraiment que des gens veuillent aller passer des vacances là-bas… Ou alors, il fallait être anglais ou belge… allemand à la rigueur… » ou bien « Bon, la Bretagne donc… Des plages désertes forcément, tellement il gèle, des crabes et des cirés jaunes un peu partout, des bonnets, des crêpes, des coiffes, misère… Il paraît qu’ils sont saouls toute la sainte journée… » Ça me fait rire parce que c’est exactement la façon dont les gens du Sud voient la Bretagne… Autre exemple, dans un autre domaine, assez marrant : notre Caroff se voit imposer deux loubards d’une cité brestoise qui n’ont pas franchement le pied marin, espèces de clichés ambulants, survêt’ et chaînes dorées au cou, dont la description est à mourir de rire. Alors, il faut en profiter parce que pour le reste, encore une fois, l’atmosphère est comme le ciel : bien plombée. On met les pieds dans quelque chose qui ressemble à une tragédie. Ah, le destin des hommes parfois…
Dernier point pour finir de vous convaincre, l’écriture est magnifique (et ce n’est pas toujours le cas dans les romans policiers…). Espérons que l’auteur, dont c’est le premier roman, sera de nouveau inspiré par ses « vagabondages côtiers » comme le dit la 4e de couv’ parce que des comme ça, on en redemande !
Une très belle réussite donc !

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