critique de "Une activité respectable", dernier livre de Julia Kerninon - onlalu
   
 
 
 
 

Une activité respectable
Julia Kerninon

Editions du Rouergue
rouergue litter
janvier 2017
60 p.  9,80 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Autoportrait de lectrice

Avec deux romans publiés, «Buvard » et « Le dernier amour d’Attila Kiss », Julia Kerninon, tout juste trentenaire, nous livrerait-elle déjà son autobiographie ? Non, la jeune romancière n’a pas cette prétention, et c’est plutôt l’invention de son moi écrivain qui l’intéresse ici.

Fille de lecteurs

La lecture est inscrite dans l’ADN de Julia Kerninon, fille de lecteurs passionnés, compulsifs, obsessionnels, ayant grandi au milieu des livres qui ont forgé l’adulte et l’écrivain qu’elle est devenue. A travers des anecdotes parlantes, elle raconte cet atavisme : son premier pèlerinage à la librairie parisienne « Shakespeare and Company », la maison familiale plongée dans le silence de la lecture les fins de semaine, sa chambre d’enfant remplie de livres du sol au plafond, et la machine à écrire électrique dont elle hérite de sa mère à l’âge de cinq ans, sur laquelle elle pianote ses premiers poèmes et histoires. Lorsqu’elle est punie, la petite Julia est privée non pas de dessert, mais de lecture. De ses parents professeurs, bilingues et amoureux du Canada, elle a aussi reçu en héritage le goût de la langue anglaise et l’attachement viscéral à la Hongrie, où elle s’exile durant un an pour écrire, une année blanche au milieu de ses études, négociée avec son père.

L’écriture, une idée fixe

Julia Kerninon écrit et lit partout, tout le temps : à Berlin, dans les Midlands, à Budapest, à Rome, avec une discipline de fer. Son luxe à elle, c’est avoir du temps pour ces deux activités ; pour le reste, elle exerce des petits boulots alimentaires. Bien qu’elle répète vivre « la même journée depuis vingt-cinq ans », l’auteure avoue ses errements, ses premières armes dans des cafés interlopes pour poètes paumés, et ne cache ni ses doutes ni les sacrifices qu’exige une vie vouée à l’écriture. Ce livre est avant tout une recherche introspective, un peu comme dans ses romans. Julia Kerninon est au commencement de ses explorations qui nourrissent son œuvre. Une étape en début de parcours d’une auteure prometteuse…

 

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 Les internautes l'ont lu

Une ode à la littérature

Julia Kerninon vient de fêter ses trente ans. Ses parents, des enseignants qui se sont posés après avoir parcouru le monde lui ont transmis leur passion pour les livres et la littérature américaine.

Elle a cinq ans et demi lorsque sa maman l’emmène à la librairie « Shakespaere et Company ». Elle est littéralement sous le charme et souhaiterait rester dormir entourée de livres dans cette librairie.

Depuis ce moment, elle ne peut s’empêcher de lire tout ce qui l’entoure, peu importe le format : étiquettes, livres… Il devient vital pour elle de lire.

La sanction ultime pour la punir est la priver de lecture.

Ce sont les mots qui la fascinent, qui lui permettent de quitter la vraie vie lorsqu’elle n’est pas intéressante pour se réfugier dans cette vie intérieure livresque.

Les mots car très tôt, âgée de cinq ans elle reçoit comme cadeau d’anniversaire une machine à écrire. Alors elle lit, elle écrit, c’est naturel, c’est essentiel, c’est VITAL.

Âgée de seize ans et demi, elle lira des poèmes dans les cafés, la littérature l’habite complètement.

Elle fait des études de lettres et à 20 ans demandera à son père « une année de pause, une coupure » afin de voir si elle peut réaliser son rêve, devenir écrivain.

Elle s’en va donc s’installer à Budapest, et là, pendant une année, seule devant sa table isolée du monde, elle lira le matin et écrira la nuit. Deux livres sont écrits en un an. Ce n’est que deux ans plus tard que le premier « Buvard » sera publié et primé du prix Françoise Sagan.

Ce récit est une ode à l’écriture, à l’amour des mots et de la littérature mais aussi un magnifique témoignage d’amour à sa maman.

Un style précis et souple. De longues phrases bien agréables. J’ai passé un excellent moment et envie de découvrir les deux romans primés tous les deux, le second « Le dernier amour d’Attila Kiss » ayant obtenu le prix de La closerie des Lilas.

Hâte de découvrir l’avis de ma binôme Julie.

Ma note : 9/10

Les jolies phrases

Cétait évident qu’il faudrait pouvoir dormir entre les livres, qu’il n’y aurait pas de frontière entre la vie quotidienne et les pages, à la maison ma housse de couette représentait aussi des livres, de tout petits livres alignés sur des dizaines et des dizaines d’étagères, leur tranche ne dépassant pas un centimètre – alors bien sûr, bien sûr qu’on pouvait dormir là, dans une librairie.

C’est elle aussi qui m’a convaincue de renoncer à décrire physiquement mes personnages – arguant que dans les livres d’horreur parfaits qu’elle avait lus, les créatures monstrueuses ne sont décrites qu’à travers les bruits qu’ils font ou l’odeur qu’ils dégagent, ou même la texture de leur peau, leur température, et que c’est dans ce silence que le lecteur est le plus en mesure d’assembler le monstre intime qui lui fait vraiment peur à lui, personnellement, parce qu’on ne peut pas exactement deviner ce qui effraie quelqu’un d’autre que soi.

Je pensais que pour être écrivain, je devais m’exercer comme un athlète, comme une danseuse, jusqu’à ne plus avoir mal, jusqu’à ne plus me poser de questions, et je cherchais à posséder cette compétence.

Comme des repères, les livres nous mènent à d’autres livres, ils nous font ricocher – nous lisons comme Dante se laissant guider par Virgile dans la forêt sauvage du péché. Dans les bibliothèques, dans les librairies, les voir tous côte-à-côte, si nets, comme des compartiments dans un columbarium, chacun renfermant une voix, une aria, je ne connais rien de mieux. Je reviens toujours là. C’est tout.

Ma vie, je la passe à lire des livres pour remettre les choses en place, pour me déplier, et c’est comme chanter tout bas à ma propre oreille, pour me réveiller.

Les histoires ne sont que des histoires, elles permettent une respiration mais ne réparent rien, elles sont ce qu’on peut fabriquer avec les petits débris retrouvés après les catastrophes, elles ne sont pas une seconde chance, simplement des louanges du mort chuchotées à l’oreille des survivants, aussi éloquentes qu’elles sont vaines.

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coup de coeur

« Ma vie je la passe à lire des livres pour remettre les choses en place, pour me déplier, et c’est comme chanter tout bas à ma propre oreille pour me réveiller. »

« (…) j’étais la toute petite fille de ma mère qui, elle-même, lorsqu’elle s’asseyait trois minutes dans des toilettes de restaurants dépourvues de toute affiche, cherchait dans ses poches un billet de cinq, et le lisait intégralement. Voilà comment elle était, comme elle est. »

« (…) je suis comme une pierre au fond de l’eau, tout au plus puis-je m’arrondir à la mesure de mon usure (…) »

« Les histoires ne sont que des histoires, elles permettent une respiration mais ne réparent rien, elles sont ce qu’on peut fabriquer avec les petits débris retrouvés après les catastrophes, elles ne sont pas une seconde chance, simplement les louanges du mort chuchotées à l’oreille des survivants, aussi éloquentes qu’elles sont vaines. »

On pourrait citer l’intégralité des 60 pages ici offertes au lecteur tant elles recèlent de trésors. Quiconque a lu « Buvard » a déjà lu entre les lignes de ce merveilleux roman ce que les livres signifient pour Julia Kerninon, mais elle entreprend ici de nous le raconter avec précision, et on se régale. Atypique, elle l’est assurément et de mille manières, mais rares sont les écrivains capables de transmettre avec une telle évidence leur rapport aux livres et partant, au monde. La langue de Julia Kerninon m’enchante littéralement, il y a une magie dans ses mots qui tient à leur exactitude et à leur agencement méticuleux, et faire ainsi la connaissance de son univers (sa famille, ses voyages…) est un vrai cadeau. Plutôt qu’une autobiographie, un exercice de partage. Une pépite.

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