Cristina de Stefano
Editions Albin Michel
essais document
février 2015
327 p.  24 €
ebook avec DRM 16,99 €
 
 
 
Rencontre avec Cristina de Stefano

C’est une biographie comme on les aime, à la fois documentée et romanesque, sur une femme emblématique du 20e siècle : Oriana Fallaci. Journaliste, elle a sillonné la planète pour en couvrir les conflits, a interviewé les plus grands de ce monde, qu’ils dirigent un pays, ou qu’ils nous fassent rêver depuis Hollywood. Son stylo était affûté, rien ne lui faisait peur, personne ne l’impressionnait. Mais en 1979, elle dévoilait une autre facette de son talent en publiant « Un homme », le récit de son histoire d’amour avec Alexandros Panagoulis, un politicien grec, opposant à la dictature grecque et qu’elle rencontrera à sa sortie de prison. Plus tard, après le 11 septembre 2001, elle créera la polémique en raison de ses prises de position contre l’islam. Oui, Oriana Fallaci était un personnage incroyablement complexe, une véritable héroïne que sa compatriote, la journaliste italienne Cristina de Stefano, nous fait revivre aujourd’hui.

Aviez-vous déjà écrit des biographies avant de vous attaquer à ce mythe ?
Oui, une sur Cristine Campo et une autre sur une vingtaine d’Américaines du 20e siècle. Mais c’était la première fois que l’initiative ne venait pas de moi. Lorsqu’Oriana est décédée en 2006, je m’étais dit que ce serait formidable de travailler sur cette vie, tout en pensant que c’était impossible, insurmontable. Et il y a deux ans, son neveu, Edoardo Perazzi, a pris contact avec moi. Il m’a ouvert les archives de la famille. Ce qui est formidable, c’est qu’elle gardait tout, carnets, agendas, photos, lettres… Néanmoins, j’ai hésité. J’étais effrayée par la tâche qui m’attendait, et par ce personnage compliqué, fascinant, polémique. J’ai accepté avec la promesse qu’il me laisserait une liberté totale et qu’il ne demanderait pas de lire le manuscrit avant que je ne l’aie terminé.

Pour vous, que représentait Oriana Fallaci ?
J’étais une adolescente quand elle était une star en Italie. Je ne sais pas si je suis devenue journaliste à cause d’elle, mais cela a probablement influencé mon choix. Je me souviens d’avoir lu ses interviews politiques et de l’effet qu’ils m’ont fait. Et puis, à partir de 1977, Oriana est entrée dans un long silence, et je l’ai un peu oubliée. Elle est revenue dans ma vie comme dans celle de beaucoup de gens avec le 11 septembre, où ses prises de position contre l’islam ont fait beaucoup de bruit.

Est-ce que cela a été difficile de trouver la véritable Oriana parmi toutes ses contradictions ?
Lorsque j’ai commencé, j’étais comme possédée ! Chaque nuit, je faisais un cauchemar où elle me criait dessus : « tu n’as rien compris de moi » ! Et puis un jour, le cauchemar s’est transformé en un rêve serein et j’ai écrit le livre en trois mois. Ce fut une énorme aventure, et je crois que j’en suis sortie changée. D’abord avec beaucoup d’admiration et d’affection pour elle. Mais moi qui ai toujours évité les conflits et ne suis pas très courageuse, je me suis surprise à penser de plus en plus souvent : « que ferait-elle à ta place ? » Et, je le reconnais, j’en suis sortie un peu plus féministe, un peu plus militante, un peu plus vigilante. Je ne la considère pas comme un modèle, mais c’est quelqu’un qui laisse des traces dans ta vie.

Mais avant l’écriture, il y a eu une longue période de préparation j’imagine ?
J’ai relu absolument tout ce qu’elle a écrit, livres et articles. Il y a eu une période d’investigation très longue, où il a fallu rechercher toutes les personnes qu’elle avait rencontrées, et ses amours aussi, le journaliste français François Pelou et Paolo Nespoli, de trente ans son cadet, qui deviendra astronaute…. Je voulais m’assurer que je pouvais les citer que cela ne leur pose pas de problème. Elle a vraiment connu tout le monde, eu des aventures avec la moitié d’Hollywood. Certains ont accepté de parler, d’autres ont refusé par fidélité. J’ai souvent été perdue, je n’arrivais pas à écrire, et je crois que s’il n’y avait pas eu la famille d’Oriana qui comptait sur moi, j’aurais abandonné.

C’était un personnage très controversé. Comment l’expliquez-vous ?
Elle pensait que tout le monde a le droit de dire ce qu’il pense, et elle ne s’en privait pas. L’Italie est divisée en deux à son sujet, mais en Chine par exemple, elle est un mythe. Parce qu’elle a rencontré Deng Xiaoping, qu’elle a évoqué ce leader comme s’il s’agissait d’un grand-père. L’interview qu’elle fit de lui reste historique car, pour la première fois, il a évoqué pour elle la nouvelle Chine. Lorsqu’est arrivé le 11 septembre, elle n’avait plus rien écrit depuis vingt ans, et elle a envoyé un long papier au Corriere della Serra. Comme un sermon, qui était une attaque de la civilisation occidentale, une critique de l’Europe et de son attitude face au monde musulman. Cet article a provoqué de violentes réactions, on lui a reproché d’alimenter le conflit, de faire un appel aux armes, on lui a même intenté un procès pour invitation à la haine raciale, procès qu’elle a gagné. Mais il serait dommage que l’on ne garde que cette image en mémoire.

Comment voudriez-vous que l’on se souvienne d’elle ?
C’était une femme plus large que la vie, comme disent les Américains (« bigger than life »), un modèle d’émancipation féminine et au-delà de ses rugosités, une personne admirable. Elle est née pendant la guerre, et a vécu dans la guerre toute sa vie. Elle était d’un courage immense et investie d’une vocation : elle était au monde pour écrire, et elle est morte parce qu’elle ne voulait pas renoncer à son travail. Lorsqu’on lui a diagnostiqué un cancer, elle a exigé le minimum de traitement, juste ce qu’il fallait pour  pour qu’elle puisse terminer son livre, « Un cappello pieno di ciliege : una saga ».

Propos recueillis par Pascale Frey

 
 
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