b i e n t ^o t 

anneRagdeSa Majesté Maman
d’Anne B. Ragde paraîtra le 14 janvier aux éditions Fleuve

 

On avait adoré sa « Trilogie des Neshov », puis « La tour d’arsenic » dans lequel sa mère (qui détestait la sienne) tenait déjà un rôle important. « On a le devoir d’aimer ses enfants, pas ses parents » écrit-elle.
A la suite d’un après-midi passé en compagnie d’anciennes amies, Birte Ragde lance à sa fille : « quelle mère ai-je été ? » Ainsi commence le voyage d’Anne B. Ragde dans le passé, traçant le portrait d’une mère au fort tempérament, conductrice en chef d’un chariot-élévateur dans une usine fabriquant des sacs en plastique.

En voici le début :

«-Cela a dû être épouvantable pour toi de m’avoir comme mère, Anne. Quand tu étais petite. 

-Ah bon ?

-Oui, ma pauvre.

C’était l’été, le soleil de l’après-midi baignait ma terrasse, chez moi, à Ila, à Trondheim, et après avoir fumé une cigarette, je commençais à rapporter les plats et les assiettes pour les mettre au lave-vaisselle.

Nous avions eu la visite de plein d’anciens voisins sur ma terrasse et dans mon jardin. Des voisins de mon enfance, de l’enfance et de la vie adulte de maman. J’avais servi un gâteau glacé au Daim, des gaufres en forme de cœur avec des fraises, des brownies bourrés de noisettes et de chocolat, ainsi que des petits verres de madère sec pour ceux qui apprécient ça, qui ne conduisent pas et qui ne prennent pas d’anticoagulants. Cela avait été un bel après-midi, très gai, jusqu’à la fin. Un vrai bon moment, reposant.

Après que maman se fut installée à Oslo, j’avais pris l’habitude d’inviter ses anciennes amies chez moi quand elle venait pendant l’été me rendre visite à Trondheim, même si elle protestait toujours en disant que ce serait beaucoup trop de travail pour moi. Une fois n’est pas coutume, elle sous-estimait mon niveau d’activité quotidien, à moins qu’elle ne fasse la coquette, trouvant que je n’avais pas à me donner autant de peine pour distraire ses vieilles amies.

Toujours est-il que j’ai entretenu durant de nombreuses années cette tradition que je m’étais moi-même imposée dès que maman était partie plus au sud, désespérée par le climat de Trondheim et par son boulot de conductrice d’engins dans une usine de sacs plastique pleine de communistes. Elle avait été embauchée comme intérimaire chez Manpower, à cinq cent vingt kilomètres de son seul petit-fils, mon fils alors âgé de quatre ans ; je n’ai jamais compris comment elle a pu tourner le dos aussi facilement à son rôle de grand-mère sans le regretter par la suite.

-Oui, je t’épargne la corvée de m’aimer, Anne, c’est au moins ça.

-Eh bien dis donc, tu n’y vas pas de main morte. Pourquoi dis-tu ça maintenant ?

Elle portait un chemisier couleur coquille d’œuf la serrant légèrement au niveau de sa forte poitrine, un chemisier que je lui avais repassé un peu plus tôt dans la journée pour la remercier d’être allée faire les courses pour moi dès l’ouverture du magasin, à neuf heures.

D’un point de vue égoïste, c’était ce que je préférais quand ma mère venait me voir : la sollicitude qu’elle manifestait à mon égard au petit matin, bien avant que je ne me lève à mon tour. J’avais l’habitude de toujours tout faire à la maison, pour tout le monde, mais quand maman était là, je trouvais à mon réveil des petits pains frais, le café prêt, des journaux et tous les produits de ma liste de courses, sans jamais aucun oubli. Elle pensait aussi à apporter à la consigne les bouteilles vides qu’elle trouvait sous le plan de travail : elle savait que j’avais horreur de voir s’accumuler les bouteilles vides, et aussi que je les jetais parfois à la poubelle, à son grand mécontentement. En outre, elel avait vidé le lave-vaisselle de la veille et nettoyé tous les plans de travail et la table. Et elle ne m’adrssait pas la parole avant de m’entendre allumer ma première cigarette de la journée.

Les matins des visites de maman étaient tout à fait merveilleux, je me sentais réellememnt comme sa vraie fille, une fille dont elle prenait soin. »

 
 
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