Iain Levison
Liana Levi
octobre 2015
232 p.  18 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 

 Je préfère être écrivain
que pêcheur de crabes

 Iain Levison n’a jamais eu de plan de carrière. Elevé dans une extrême pauvreté en Ecosse, puis devenu un jeune Américain aisé, il a exercé toutes sortes de métiers avant de réaliser sa vocation de romancier. Aujourd’hui, le cinéma français consacre le talent de cet électron libre de la littérature noire américaine en portant à l’écran deux de ses romans : « Arrêtez-moi là », mis en scène par Gilles Bannier, avec Reda Kateb et Léa Drucker, sortira en janvier, et « Un petit boulot », réalisé par Pascal Chaumeil (décédé récemment), avec Romain Duris et Michel Blanc, est attendu pour mai.
De quoi lui attirer de nouveaux lecteurs. Les fans, eux, apprécient déjà son style simple et direct, ses dialogues percutants et cette vision de l’Amérique qui donne à ses textes un goût de pamphlet. Comme dans ce sixième roman qui vient de paraître en français, « Ils savent tout de vous ». L’histoire d’un jeune policier et d’un détenu condamné à mort qui se découvrent capables d’entendre les pensées de leurs semblables. L’un s’en sert pour prendre du galon, l’autre pour s’évader. Jusqu’à ce qu’ils réalisent que leur don intéresse le gouvernement et les met en danger…
Ce suspense original et bien mené enrobe une mise en accusation de la surveillance des citoyens telle que l’ont révélée les « lanceurs d’alerte ». Aussi politique soit son propos, Iain levison n’adopte jamais le ton d’un donneur de leçons, pointant la drôlerie ou l’absurde des situations les plus sombres, conservant à l’écrit la même distance amusée que dans la vie. Cet auteur insaisissable – y compris pour son éditeur qui ne sait pas toujours où le joindre – n’a pas fini de nous surprendre…

« Ils savent tout de vous », c’est de l’anticipation ?
Non, c’est le présent. En fait, j’ai eu l’idée de ce livre parce que je vis en Chine où l’on sait ce que c’est que de contrôler internet. Ce n’est pas aussi violent que de vous envoyer des Gardes rouges comme il y a cinquante ans, mais l’effet est le même : on a peur et on s’auto-censure. Le gouvernement contrôle l’information et bloque l’accès aux médias étrangers. Ce n’est pas une dictature à proprement parler, c’est un état totalitaire. Les Etats-Unis ne sont pas davantage une dictature, mais pas une vraie démocratie non plus. Internet est tout aussi contrôlé, c’est juste que la méthode est différente : on distrait les gens, on les amuse, on les laisse trouver les sites qu’ils veulent, mais on enregistre la moindre de leur recherche et le moindre de leurs mails.

Qu’est-ce qui vous a inspiré ce roman ?
J’ai eu l’idée du personnage de Snowe, un simple policier de la route qui a la capacité d’entendre ce que pensent les gens. Comme cela faisait un peu cliché, je me suis intéressé aux effets de ce don sur sa psychologie. J’ai réalisé qu’il serait incapable de s’intégrer à une chaîne hiérarchique car il lirait aussi les pensées de ses supérieurs et connaîtrait leurs motivations. Il verrait comment fonctionne le pouvoir et n’accepterait pas les ordres. Ce ne serait pas un bon petit soldat obéissant, ni un bon consommateur docile, il deviendrait une source de chaos…

Entre « Un petit boulot », sur les difficultés à trouver sa place dans le monde du travail, « Arrêtez-moi là » sur les ratés du système judiciaire, et ce roman sur la surveillance des citoyens, vous développez une vision très pessimiste de la société…

Ce n’est pas que je sois pessimiste mais on doit être conscient du fonctionnement de la société, des dangers que je décris, pour essayer de se corriger.  C’est plus prononcé aux Etats-Unis parce qu’à mes yeux, c’est une société en déclin, où les citoyens se laissent aller, consomment trop de tout et ne savent plus prendre soin d’eux-mêmes.

Vous fuyez les Etats-Unis ?
Je ne suis pas ce qu’on appelle un patriote, mais j’aime mon pays, qui est très beau et plus facile à vivre que partout ailleurs. Mais je me sens désolé de le voir décliner ainsi. La conscience politique des Américains est très superficielle, il y a moins d’industries et moins de travail, pas de vision d’avenir… Et tous les arts déclinent :  Amazon tue les librairies et la lecture, le téléchargement prive la musique de ressources, personne ne s’intéresse à la peinture… Il n’y en a que pour l’entreprise. Et comme j’adore voyager… Dans le pire des cas, je pourrais m’établir quelque part en Europe, la société y est plus sophistiquée, plus informée, plus engagée politiquement.

Vous vivez en Chine, à Taiyuan, où vous enseignez l’anglais dans une école élémentaire. Comment conciliez-vous cette activité et l’écriture ?
J’ai écrit mes deux derniers romans alors que j’enseignais. J’adore les enfants et puis, parmi les boulots que je pouvais faire, c’est celui qui me laisse le plus de temps. Je donne de dix-huit à vingt heures de cours par semaine et il faut que je les prépare, que je vienne avec des idées pour capter leur attention. Cela me laisse quand même du temps pour écrire. En ce moment, je suis en année sabbatique, car j’avais besoin d’une pause. Enseigner est un travail amusant, mais qui pompe votre créativité. Avec ce que me rapportent les adaptations au cinéma d' »Arrêtez-moi là » et « Un petit boulot », comme je n’ai pas de famille à nourrir, ni de maison ou de voiture à entretenir, je peux me permettre d’arrêter d’enseigner un an sans souci financier. 

Ces deux films vont vous changer la vie ?
N’exagérons rien, ça ne paie pas tant que cela. Mais ils pourraient relancer les ventes de mes livres car ils vont bénéficier de promotion massive. Et ils sont très bien joués. J’ai adoré découvrir sur grand écran ces histoires que j’avais imaginées dans le calme de ma petite école chinoise.

Comment vous sentez-vous en Chine ?
A l’échelle du pays, avec ses quatre millions d’habitants, Taiyuan est une ville moyenne. Il y a cinq ans, quand je suis arrivé, c’était une des plus polluées du monde, mais ça s’est amélioré. Je devais faire une heure de train pour trouver un café et aujourd’hui, on a des Starbucks à tous les coins de rue. Tout bouge très vite en Chine. Je suis impressionné par le côté industrieux des Chinois, les efforts qu’ils sont prêts à faire sans se plaindre. Ils travaillent très dur pour gagner peu, ils ont leurs parents à charge et ils se moquent de la politique tant que le gouvernement ne les roule pas. Un jour, peut-être, je raconterai mon expérience…

Vos projets immédiats ?
J’ai juste une série à écrire pour la radio avant Noël. Je ne sais pas encore sur quoi. Pour l’instant, je vis entre Paris, Amsterdam, Lisbonne. J’aime bouger, ça va vite, ce n’est pas cher. Le monde est grand et beau, je veux en profiter. J’absorbe des choses, je fais des signatures. C’est agréable d’aller parler de mes livres avec des lecteurs et d’être invité à dîner ensuite. C’est bien mieux que quand j’étais pêcheur de crabes ou ouvrier dans une usine de moquettes.

Propos recueillis par Philippe Lemaire

 
 
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