William Boyle
Rivages
rivages noir
mars 2016
350 p.  8,50 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 

l a   c  r  i  t  i  q  u  e    i  n  v  i  t  é e  

Bruno Corty (Le Figaro) a aimé
Gravesend de William Boyle  (Rivages noir)

« La sensation du moment a pour nom William Boyle. Originaire du sud de Brooklyn, il a publié en 2013 un premier roman que François Guérif a choisi pour être le numéro 1000 de sa collection Rivages/Noir qui fête ses trente ans. On aurait pu s’attendre à ce qu’il prenne l’un des cadors de cette caverne d’Ali Baba comme James Ellroy, Dennis Lehane ou James Lee Burke. Non, il leur a préféré un inconnu. A lire « Gravesend », on comprend mieux le choix de Guérif, qui ne laisse jamais rien au hasard. Avec le roman de Boyle, il tient la quintessence de sa collection. Un mélange associant les glorieux aînés : le David Goodis de « La Blonde au coin de la rue », le Charles Willeford d’ « Une fille facile », le Larry Brown de « Dur comme l’amour » et la moderne trinité composée de Richard Price, Dennis Lehane et George Pelecanos. On remarquera au passage, qu’aucun d’entre eux n’écrit du roman policier mais du roman noir. On est donc prévenu : les choses ne s’arrangent jamais dans leurs histoires. Pas de happy end qui fait plaisir au lecteur froussard et lui permet de s’endormir sur ses deux oreilles. De leurs pages s’écoule le monde tel qu’il s’abîme chaque jour un peu plus.

« Gravesend » est l’histoire d’une vengeance dans un quartier italo-russe au sud de Brooklyn. Conway d’Innocenzio attend depuis des années que Ray Boy Calabrese, le garçon qui a poussé son frère Duncan à la mort à force d’intimidations et de provocations, sorte de prison. Alors, il s’entraîne au tir. Mais Conway est un loser, incapable de toucher la cible, un petit employé de pharmacie qui vit avec son vieux père brisé.

Quitter Gravesend, c’est retourner à la vie. Alessandra, qui rentre de Los Angeles où elle a fait du cinéma, comprend vite que non seulement rien n’a changé dans son quartier mais que les choses ont empiré. Elle retrouve son vieux père, une copine célibataire ingrate, les cafés miteux où des barmen minables jouent les play-boys. Et puis il y a Eugene, le boiteux, le voyou en herbe qui attend lui aussi le retour de son oncle Ray Boy. Une légende à ses yeux, le sésame pour une autre vie, pleine de bruit et de fureur.

Malheureusement pour les uns et les autres, Ray Boy n’est plus que l’ombre de l’odieux voyou à qui rien ne résistait. Seize années à l’ombre l’ont brisé. Il n’attend plus rien de la vie. Croisant Alessandra, Conway reconnaît en elle son amour de jeunesse, la fille devant lui à l’école. Celle qui lui souriait si souvent et lui offrait la vision de sa nuque fragile et touchante. Rongé par la nostalgie, il se prend à espérer, à croire à une dernière chance de salut.

On l’aura compris, le suspense est subsidiaire ici. William Boyle décrit un monde sans espoir. Une atmosphère de défaite recouvre tout. Les fils et filles n’ont plus rien à dire à leurs parents, vieux et malades. Petits boulots, petits plaisirs, petites vies. Un peu de colère, beaucoup de frustration et, pour la plupart, le renoncement, l’acceptation de son sort. Tous baissent les bras, sauf Eugene le boiteux. Il tente le tout pour le tout, inconscient, et Boyle rejoue la scène finale de « Taxi Driver ».

Avec ce roman d’une incroyable beauté sombre, François Guérif a encore une fois mis en plein dans le mille ! »

Propos recueuillis par Pascale Frey
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