©Bruno Chabert
 
 
Olivier NOREK
Pocket
octobre 2017
384 p.  7,60 €
 
 
 

Quel lecteur êtes-vous
Olivier Norek 
?

« Le polar est un genre qui permet
de prendre à bras le corps
les sujets de société »

Depuis quelques années, cet ancien lieutenant de police s’est mis à raconter… des histoires de police et est devenu auteur de polars. Après le succès de sa trilogie (« Code 93 », « Territoires » et « Surtensions »), il a changé d’univers, quitté la banlieue parisienne pour Calais, avec «Entre deux mondes ».  Aujourd’hui avec « Surface » qui caracole en tête des ventes, il revient à un polar plus classique. Rencontre avec un auteur à succès qui nous parle de son parcours de lecteur.

Quels sont vos premiers souvenirs de lecture ?
Le premier livre qui m’a fait prendre conscience de la magie de la lecture, qui m’a montré que l’on pouvait se transporter ailleurs tout en restant dans sa chambre, c’est « L’histoire sans fin » de Michael Ende. Un gamin se cache dans une librairie et plonge dans le récit d’une aventure à laquelle il va participer. Je me suis identifié à lui, et suis devenu le héros de tous les livres que je lisais. Le deuxième ouvrage important de ma jeunesse, c’est « L’attrape-cœur » de J.D. Salinger , l’histoire d’un adolescent de 14 ans, qui se cherche. Je l’ai lu alors que j’étais en pension chez les jésuites, séparé de mes parents, que je me sentais le garçon le plus perdu du monde. Il m’a fait entrer de plain pied dans la littérature.

Y avait-il beaucoup de livres chez vous ? 
Oui, beaucoup. Ma mère enseignait, mon père, énarque, enseignait lui aussi. Mes professeurs de français  ont fait l’erreur que les profs d’aujourd’hui continuent à commettre: au lieu de comprendre que lire Roald Dahl ou Stephen King constitue un palier pour arriver à Zola ou à Balzac, ils me conseillaient des livres trop difficiles pour mon âge. Cela a provoqué chez moi une petite défiance envers la littérature et la lecture ! Puis j’en ai retrouvé le chemin, plus tard, lorsque j’étais en pensionnat. Je ne suis pas un grand lecteur, je dois lire à peu près un livre par mois. Mais j’en ai besoin.

Comme l’avez-vous retrouvé ce chemin ?
Grâce à John Irving, qui travaille essentiellement sur des véhicules empathiques. Un véhicule empathique, c’est un personnage que l’on va suivre, avec lequel on va traverser l’histoire. Une fois que l’on en est tombé amoureux, il peut nous emmener partout. Un autre auteur qui écoute son lecteur, c’est Ken Follett. Dans « Les piliers de la terre », il raconte l’histoire des constructeurs de cathédrales sur plusieurs époques, un sujet dont je n’ai strictement rien à faire ! Mais il crée des personnages empathiques et construit son intrigue comme un policier.

Pourquoi lisez-vous si peu ?
Par manque de temps. Lorsque j’étais flic, je travaillais douze à quatorze heures par jour. Et maintenant que je suis moi-même auteur, comme je suis une éponge, j’évite de lire les écrivains que j’aime lorsque je me trouve en période d’écriture.

Quels ont été vos grands chocs littéraires d’adulte ? 
Le jour où j’ai débarqué pour la première fois à l’école de police où j’allais devenir gardien de la paix, j’avais un livre sous le bras : « Oh, il a un livre ! » Tout le monde s’est moqué de moi. Ce livre, c’est celui m’a conduit vers le polar et c’était « Les racines du mal » de Maurice G. Dantec. Ce roman en contient cinq, Dantec ne recule jamais dans ce qu’il a envie de dire, il va au bout de toutes ses scènes, de tous ses personnages. Il a dressé une sorte de passerelle entre la littérature blanche et la noire. Passerelle qui est totalement intégrée aujourd’hui. Deux Goncourt récents, Pierre Lemaitre et Nicolas Mathieu, ont débuté dans le polar. C’est un genre qui permet de prendre à bras le corps les sujets de société. Qui s’est emparé de la jungle de Calais ? Des auteurs de polar. Du cas des enfants TDAH, des transgenres, du terrorisme ? Des auteurs de polar. La première question que ceux-ci se posent, c’est comment vont-ils réussir à coffrer leur lecteur, à le retenir !

Vous ne lisez plus du tout d’autres genres littéraires ?
Il y a tellement d’informations qui nous parviennent, que notre tête est une machine à laver : on prend, on lave, on oublie. Alors si je veux être touché par un sujet et en même temps éprouver un plaisir de lecture, la littérature noire est la seule qui me l’offre. Elle a une manière bien à elle de tatouer ses histoires sur la peau des lecteurs. Et la France est maintenant très représentée dans ce genre.

Avez-vous lu beaucoup de policiers avant d’en écrire ? 
Ceux de Fred Vargas, pour l’écriture et pour Adamsberg. Je me fiche de savoir s’il va enquêter dans les Cévennes ou à Paris, qui il va arrêter. Je veux savoir comment il va, comment ça se passe avec Camille et Danglard. Le polar nous assure de passer par le panel à peu prêt complet des émotions. Même si certains trouvent qu’un « page turner » c’est vulgaire, le meilleur compliment qu’on puisse me faire, c’est me dire : « J’ai raté ma station de bus », « merci pour les nuits blanches » etc… » Celui qui est surdoué dans le genre, c’est Jean-Christophe Grangé. Il a une capacité incroyable à vous emporter…

Quel auteur vous a donné envie d’écrire ?
Disons que ce n’était pas gagné, étant donné que j’ai eu 5 sur 20 au bac français ! Lorsque je me suis retrouvé en mission humanitaire en ex-Yougoslavie, dans les années 90, j’avais 17 ans et demi. Trop jeune pour voir ce que j’ai vu. J’envoyais des lettres à mes parents parce que j’avais besoin de leur raconter ce que je vivais. Ma mère m’a répondu en me demandant qui écrivait mon courrier ?! Il y avait de l’émotion, des sentiments. Des années plus tard, j’ai participé à un concours de nouvelles pour aufeminin.com. Je suis sorti troisième. Un membre du jury m’a encouragé à poursuivre. J’ai utilisé tout ce que j’avais vu pendant dix-huit ans de police, et j’ai suivi ce conseil précieux : ne pas oublier que l’on est français, écrire des histoires qui nous touchent et sont proches de nous, raconter le quotidien.

Lisez-vous vos confrères ?
Je suis invité dans de nombreux salons littéraires et je me suis fait des camarades. Mon but c’est de réussir à lire au moins un livre de chacun de mes « collègues » : Frank Thilliez, Claire Favan, Maxime Chattam, Jacques Saussey… Mais aussi ceux qui grenouillent autour de nous comme Mathias Malzieu et ses livres empreints de poésie. Dans le polar quand quelqu’un gagne un prix, il reçoit soixante mails de félicitation de tous ses potes. Quand un auteur de littérature blanche gagne un prix, il y a aussi soixante mails qui partent, mais aux maisons d’édition demandant « pourquoi c’est pas moi ? » !

COMMENT LISEZ-VOUS ?

Papier ou tablette ?
Sur papier uniquement. Sur tablette, je ne sais pas où j’en suis, et comme c’est dématérialisé, je n’ai pas le souvenir de ma lecture. Un livre, c’est une histoire, mais elle existe dans un espace temps et émotionnel de qui nous sommes à ce moment-là. Lorsque je regarde ma bibliothèque, je suis transporté dans une époque de ma vie.

Marque-pages ou pages cornées ?
Pages cornées, livres stabilotés, écriture sur le côté de la marge et, au début, arbre généalogique des personnages !

Debout, assis ou couché ?
Assis. Dans mon canapé, sous mon olivier.

Jamais sans mon livre.
Presque jamais. Ou jamais sans mes carnets. La belle phrase peut arriver lorsqu’on s’y attend le moins.

Un ou plusieurs à la fois ?
Un pour le plaisir, un pour le travail.

Combien de pages avant d’abandonner ?
Quand je n’étais pas écrivain, cinquante maximum.
Maintenant, je pense à ce type qui a sué sang et eau et je lui accorde donc une centaine de pages.


CINQ LIVRES INDISPENSABLES

« La Mécanique du cœur » de Mathias Malzieu

« Beaucoup de bruit pour rien » de William Shakespeare

« L’Argent » d’Emile Zola

« La Nuit des enfants rois » de Bernard Lenteric

« Les Racines du mal » de Edmond G. Dantec

Propos recueillis par Pascale Frey
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