Marcel BEALU
Seghers
octobre 2007
432 p.  22,50 €
 
 
 

Le pont traversé (Paris)

illustration Brigitte Lannaud Levy (Dr.)

Amoureux des poètes,  de la littérature du 20ème siècle et des livres rares,  cette librairie est pour vous. Tout promeneur du jardin du Luxembourg à Paris la connaît. Impossible de ne pas remarquer rue de Vaugirard à l’angle de la rue Madame sa majestueuse façade d’ancienne boucherie avec ses sculptures bovines et ses élégantes plaques émaillées. Elle est si belle qu’elle a été classée monument historique. En s’approchant, on aperçoit dans la vitrine des trésors de bibliophilie et un portrait noir et blanc de Jacques Prévert, cigarette au bec, qui nous lance un regard complice comme une invitation à pousser la porte pour découvrir tous ses camarades poètes ici défendus.  Bienvenue à la librairie « Le pont traversé ». Un lieu aussi magique qu’unique.

C’est un poète-écrivain surréaliste Marcel Béalu qui a créé ce lieu en 1949 et qui l’a installé à cette adresse en  1973 avec sa dernière et très jeune épouse Marie Josée Comte-Béalu. Cette étudiante, à l’époque d’une quarantaine d’années de moins que lui, est aux commandes de la librairie depuis la disparition de son époux en 1993. Elle  nous reçoit aujourd’hui avec charme et gentillesse pour partager avec nous l’histoire de ce  lieu où le temps ne semble avoir aucune prise. Une occasion pour elle aussi de défendre l’œuvre de feu son poète de mari qui fut un proche des surréalistes et grand ami de Max Jacob. « Quand Marcel a baptisé la libraire Le pont traversé du nom d’un recueil de contes de Jean Paulhan – en remerciement de  l’avoir publié chez Gallimard – ce dernier est venu à l’inauguration avec deux petits gâteaux à la pâte d’amande verte. Un geste poétique et si paulhanien pour dire merci » nous raconte Marie Josée Comte Béalu avec tendresse.  Du fait de la proximité avec l’excellente librairie généraliste « La Procure », place Saint-Sulpice, elle garde le cap en ayant recentré l’activité sur l’occasion uniquement pour continuer à défendre les grands classiques et les livres rares. «  On n’a pas la science de la petite chose et ce qui est intéressant dans la nouveauté c’est découvrir le prochain Modiano. Pas une mince affaire. Alors on se concentre modestement sur le fonds, les éditions illustrées, les livres liés aux beaux-arts et la poésie bien évidemment » nous explique cette passionnée aux vibrations communicatives. Rencontre atypique et assurément très poétique.

Quel est le livre le plus emblématique de la librairie que vous défendez avec ferveur ?w
Bien évidemment un ouvrage de Marcel Béalu « L’araignée d’eau » (Phébus). Ce livre est composé d’un bref roman et d’une quinzaine de contes. Celui qui donne son titre au recueil se passe au bord d’une rivière où une araignée se transforme en jeune fille. Béalu signifie petit ruisseau et il y a souvent de l’eau dans les histoires de Marcel.  On trouve dans ce conte un onirisme  et une dimension fantastique qui prennent  racine auprès des romantiques allemands comme Hoffmann que Marcel aimait beaucoup. C’est André Pieyre de Mandiargues qui en a fait la préface.

Parmi ses textes humoristiques, il y a aussi « Les contes du demi-sommeil» où il aime dissocier le langage, jouer des élans rythmiques. Ce travail il le doit à Max Jacob qui lui a fait trouver sa voix poétique.

Justement concernant Max Jacob, que nous recommandez-vous de lire?
Pour sortir du célèbre « Cornet à dés » dont la renommée n’est plus à faire, je vous conseille de lire  « Le cabinet noir » (Gallimard). C’est un recueil de lettres où il dresse le portrait satirique de la société et de la vie de province. Un jour, la poétesse Lina Lachgar est venue à la librairie lire des extraits de ce texte. Marcel Béalu très ému m’a alors fermement pris le bras, submergé par l’émotion et m’a dit « À l’entendre je crois voir Max Jacob lui-même, comme s’il était là … saisissant ».

Y a-t-il d’autres poètes que vous souhaiteriez nous faire découvrir ?
Lucien Becker est un poète rare à la voix unique qui a peu écrit. « Plein d’amour » (Gallimard) aborde les thèmes de la femme et de la nature de façon sensuelle. Il y a aussi le poète normand Jean Follain dans un registre plus minimaliste, qui a écrit sur les petites choses de la vie.

Mais pour en découvrir d’autres encore, je vous recommande vivement le seul livre que Marcel Béalu a véritablement bien vendu au cours de sa vie, « La poésie érotique. Anthologie » (Seghers).

Une brève de librairie
Alors que j’avais une très belle édition des « Fleurs du mal » de Charles Baudelaire, un jeune homme très intéressé m’en demande le prix, qui était aux alentours de 120 euros. C’était bien trop  cher pour  lui qui, déçu,  renonce à cette acquisition.  Un grand critique de l’époque  qui était dans la librairie a entendu nos échanges, et tout à coup me dit « Vite, courez lui après , je le lui offre ». Le garçon émerveillé est reparti avec son cadeau sous le bras. Sa mère quelques jours plus tard revient avec le livre m’expliquant qu’ils ne peuvent accepter ce geste. Et moi de lui répondre : «  C’est un geste magnifique que vous ne pouvez refuser, il a été fait avec tant de gentillesse, sans arrière-pensée ». Du coup elle a accepté et m’a juste demandé l’adresse du généreux donateur pour que son fils le remercie.

Propos recueillis par Brigitte Lannaud Levy
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Le pont traversé
62 rue de Vaugirard
75006 Paris
01 45 48 06 48

 
 
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