William Gay
traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias
gallimard
la noire
mars 2019
384 p.  21,50 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 

l e   c  r  i  t  i  q  u  e   i  n  v  i  t  é 

Michel Abescat (Télérama) a choisi
« Stoneburner » de William Gay (Actes Sud)

Avec la seconde partie, le roman change de focale. On se rapproche, on pénètre l’intimité des personnages, on en comprend les ressorts. De la troisième personne on est passé au « je ». La voix de Stoneburner, ancien du Vietnam, ancien flic devenu détective privé, envahit l’espace. Et l’on revisite toute la première partie à sa suite, parfois la précédant, parfois en parallèle, flamboyante dérive destroy d’un jeune couple, Thibodeaux et Cathy, à travers le sud des Etats-Unis, en 1974, du fric volé plein le coffre de la Cadillac. « J’avais fait tout mon possible pour effacer Thibodeaux de ma vie et de ma mémoire. Il était lié à beaucoup trop d’évènements désagréables ». Stoneburner et Thibodeaux ont fait ensemble la guerre au Vietnam, en sont revenus ensemble, Stonebuner aujourd’hui le poursuit, chargé par Cap Holder, vieux grigou débauché, de retrouver Cathy, la plus belle femme qu’il ait jamais eue. L’histoire finira mal, évidemment, variation brillante sur les classiques du genre « hard boiled », Ross McDonald en tête, auquel à l’évidence l’auteur rend hommage. Motels, whiskey, routes perdues, bagnoles de rêve, hommes fracassés, femme fatale, toute la mythologie est convoquée pour donner une sorte de chant tragique à la poésie hautement mélancolique, façon country. « Le juke-box radotait des histoires, des rêves inassouvis, des promesses non tenues, des lits désertés ». Les personnages déroulent leurs vies « comme un pêcheur laisse filer sa ligne », tous victimes de diverses déflagrations, « des nomades du coeur, entre deux boulots, entre deux épouses, entre deux vies ». Ce roman n’a certes pas la puissance du chef d’oeuvre de William Gay, disparu en 2012, « La mort au crépuscule ». Mais sa musique, désenchantée et entêtante, est de celles que l’on n’oublie pas. « Le vide, c’est fascinant. Juché sur ma corde raide, je le vois depuis toujours. Plus récemment, tétanisé, je l’ai contemplé, depuis les rochers qui le bordent, et mon regard a plongé dans ses profondeurs. En dépit de ce que prétend Nietzsche, je ne suis pas sûr qu’il ait aussi regardé en moi. Il semblait m’ignorer souverainement ».
Michel Abescat

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